HENRI GUERARD : LE REGARD D’UN PHOTOGRAPHE SUR

BELLEVILLE, MENILMONTANT, CHARONNE (1944-1999)

*****

1968 Les grands-mères à Belleville. Au second plan, l'ex-cinéma "Cocorico" //Pavillon du XIXe siècle rue Pixéricourt
1968 Les grands-mères à Belleville. Au second plan, l'ex-cinéma "Cocorico" //Pavillon du XIXe siècle rue Pixéricourt

          Depuis combien de temps Henri Guérard parcourt-il le monde avec, à son côté, Simone, son inséparable épouse ? Il donne, dans cet ouvrage, en une courte préface pleine de tendresse et d’humour, un aperçu de cette complicité et de cet amour qui les lie depuis si longtemps ; et un historique de sa -de leur- vocation pour la photographie. Plus d’un demi-siècle passé à fixer en noir et blanc, des paysages “d’ici” et “d’ailleurs” ; de petites scènes citadines prises au vol, saisies à la fraction de seconde où l’essentiel sera dit, et dit profondément. 

          Quant au second texte, signé Gabrielle Althen qui fait une description narrative des photos ; s’il est plus savamment écrit, il lui manque la vague d’émotion qui submerge celui d’Henri Guérard.

 

Mon ami Justin de la rue d'Eupatoria // Un gosse de Belleville
Mon ami Justin de la rue d'Eupatoria // Un gosse de Belleville

          Pour cet album, celui-ci a choisi l’est de Paris, Belleville, Ménilmontant, Charonne, des noms qui sonnent “peuple”, depuis toujours lieux évolutifs de la capitale. De ces quartiers complètement transformés, il est devenu la mémoire ; page à page, se profile leur histoire : la guerre en quelques clichés, parmi lesquels, particulièrement émouvant, celui d’un homme armé d’un fusil, bras nus et coiffé d’une casquette, visant une cible située en off ; l’air tellement fragile, puisqu’il n’est protégé que par un grillage dont l’ombre portée se découpe sur lui... Et puis, la vie qui reprend le dessus, les “titis” grimpés sur les décombres, jouant sous les porches... Le quotidien aussi, parfois, comme cette porte misérable, portant mention :”Si un huissier vous apporte un papier, venez ici le samedi 20h30" ; le pittoresque comme ce couple inénarrable d’une mère et son fils qui paraît tellement plus âgé qu’elle ; l’intérêt ethnologique, portant un regard compréhensif sur des intérieurs modestes, du temps où les portes restaient ouvertes ; sur des lieux sinistres, comme le Passage Ronce éclairé d’un seul réverbère sous lequel luisent faiblement les pavés ; des événements catastrophiques, comme l’incendie des bâtiments de la Rue des amandiers... 

          Mais surtout, Henri Guérard  est le photographe de l’ombre et la lumière omniprésentes en des contrastes saisissants ; celui des flous, au contraire, des brumes réverbérées goutte à goutte par des lampes incertaines ; des petits matins blêmes où le brouillard livre à regret ses ombres fantomatiques ; des perspectives désormais disparues sur des clochers, des boulevards...

Bref, il est le photographe de la vie ; cinquante ans de vies, de morts et de bonheurs, d’intimités et d’indifférences : “Paris, vu par...” l’un des plus grands photographes de notre fin de siècle ; qui sait, derrière son objectif toujours vigilant, mettre son coeur et sa nostalgie pour rendre compte, et son talent pour témoigner de façon inimitable !

Jeanine RIVAIS 

 

"HENRI GUERARD : Le regard d’un photographe sur Belleville, Ménilmontant, Charonne" : Editions De l’Amandier, 22 rue des Amandiers, 75020. PARIS.  142 pages.