Sera-t-il jamais possible à Jean-Claude Luton -en aura-t-il jamais le désir ?- de “quitter” le verbe pour ne plus faire "que” peindre ?

        Depuis longtemps, son travail d’enseignant tient dans sa vie une large place. Pendant des années, il a, par ailleurs, collaboré à des magazines, créé des affiches, illustré des romans pour adultes et pour enfants : Mais, dans cette activité qui aurait pu n’être que redondance de l’histoire écrite, il a dès le début, assuré son indépendance de dessinateur. Fidèle à l’esprit, bien sûr ; respectant la continuité du texte ; mais libre et serein ; de façon à donner au “duo” écriture-image une nouvelle continuité parallèle à l’ambiance originelle. Capable de concevoir différemment ses interventions, selon qu’il entrait dans l’univers descriptif du XIXe siècle, comme l’épopée populaire d’Erckmann-Chatrian... ; donnait une actualité et une épaisseur psychologique au désespoir ou l’absurdité de l’existence chez Kafka ; ou encore créait des portraits quasi-photographiques des protagonistes de La Revanche de Bruno de Lewis Carroll, avec leur logique désarmante et leur imaginaire enfantin, etc. Tout cela exprimé avec la douceur du crayon ou la nervosité de la plume...

          Un jour, las de soumettre son propre imaginaire au service des autres, il s’est lancé dans la peinture, le collage, le travail avec le verre pour support, etc. Une longue progression de décryptage des équilibres entre les lignes et les surfaces ; des courbes des corps toujours placés dans des attitudes très mobiles. Et, pour les œuvres récentes, encore en gestation d’ailleurs, un très intéressant travail sur la déchirure. Lambeaux de papiers ou de tissus, raidis de colle et de peinture, servant de “fond”, s’opposent désormais à la fantaisie des corps lourds mais néanmoins en mouvement. Et, conditionné peut-être par l’obligation des formats de naguère, il fixe ses toiles dans des cadres. Ce qui ne serait guère original, n’était qu’ils sont longuement choisis au hasard des marchés aux puces, pour le travail artisanal réalisé dessus par des mains anonymes ; pour leur taille, leur forme, leur aspect qui conditionnent l’approche picturale de Jean-Claude Luton ; tout ce qui, dans leur aspect peut le provoquer...Frôlant parfois la caricature, lorsqu'il s’agit de bords de sièges dépaillés, les œuvres dont ils deviennent partie intégrante n’y tombent pourtant jamais à cause d’une certaine préciosité apportée par ces objets, de leur utilisation inattendue, et d’une réflexion grave du peintre sur son travail.

          Et puis, comme si le tableau n’était pas encore équilibré dans son œil ou son esprit, celui-ci ajoute des phrases -ses propres phrases- qui font référence à un état d'âme, à une situation précise, passée ou future, et donnent le caractère définitif à la scène.

          Ainsi, la boucle est bouclée ! Jean-Claude Luton plasticien continue d’avoir “besoin” de l’écriture ! Il est donc peu plausible qu’un jour il lui soit possible -qu’il en éprouve l’envie- de quitter le verbe pour ne plus faire “que” peindre !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2000.