UNE SEMAINE TRES CULTURELLE

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Nous voulions profiter des vacances pour emmener Emma, notre petite-fille, en un périple culturel. Elle aime infiniment voyager et "se culturer" avec nous, dit-elle avec un brin d'amusement. A propos de ce mot, le dictionnaire dit qu'il n'est pas admis, sauf par ironie, pour montrer justement, que l'on n'est pas cultivé !! Mais quand Dubuffet parlait des créateurs "aculturés", il était on ne peut plus sérieux !!! A méditer ! 

 

Partis tôt le matin, mercredi, nous sommes allés directement au Palais idéal du FACTEUR CHEVAL. Nous y étions déjà allés en février, mais nous attendions néanmoins un plaisir renouvelé, et pour Emma une découverte. Dire qu'il y avait la foule, serait un euphémisme, car il était vain d'essayer d'avoir le plus petit espace du monument non partagé !! Mais surtout, en février, nous avions profité du palais intact, avec ses belles lignes et ses ornementations multiples ; mais en ce moment, il est littéralement envahi par un certain Othoniel dont les œuvres pourraient être décoratives dans un lieu approprié, mais qui pollue le plus petit recoin du bâtiment avec ses briques, fussent-elles phosphorescentes ! Honte pour les responsables du Palais ! Honte pour cet intrus qui se croit sans doute bien supérieur au courageux facteur qui construisit ce monument ! Tas de briques ici, vasques portant des boules de verre (dont le commentaire officiel dit que c'est la spécialité de cet importun), entrées obstruées par des "portes" de verre, mur de briques et autres cimaises couvertes d'aquarelles, etc. Triste cheminement, lorsqu'est disparu le plus petit respect pour une œuvre tellement attachante et originale !!  Tape-à-l'œil ; et discrétion et beauté.

VOIR TEXTE DE JEANINE RIVAIS EN FRANÇAIS ET ANGLAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ LE PALAIS IDEAL DU FACTEUR CHEVAL. Rubrique MUSEES ET COLLECTIONS.

L'après-midi était bien avancé lorsque nous avons quitté le site pour nous rendre à Romans où était notre location. Ancienne ville riche et bourgeoise du fait des usines de chaussures (dont quelques souliers publicitaires égaient encore certaines rues, d'ailleurs). Ville devenue, d'après certains autochtones, "Romans sur Misère" ; et à en juger par le nombre de maisons vides et en mauvais état, il semble bien que la situation ne dénie pas cette appellation. 

 

Jeudi matin, nous sommes allés visiter l'atelier de MARYSE LEBASTARD, sculptrice qui, longtemps a sculpté dans la terre, -le grès surtout traité au raku-, des petits portraits animaliers en pied, d’un réalisme surprenant, à ceci près que tous ses animaux ont conquis la station debout ! Qu’ils sont chaque fois surpris par le visiteur, en des attitudes humanoïdes tout à fait surprenantes ! Car tout n’est que tendresse, dans le monde de Maryse Lebastard, conciliabules intimes entre l’animal, un petit singe, un tarsier ou un lémurien le plus souvent, ses grands yeux réfléchissant la lumière, portant ou protégeant … un petit humain, souvent féminin, d’ailleurs… (A suivre) 

…     Aujourd'hui, inquiète, peut-être, du rôle de l'homme dans l'anarchie du développement climatique, elle a souhaité changer la relation entre ses humains et ses animaux. Ses humaines, plutôt, car tous ses personnages sont féminins ! Mais se sentant sans doute impuissante à jouer seule les redresseuses de tort, elle a fait appel à des déesses, dont la principale serait Artégénia. Entièrement née de la propre imagination de la créatrice. (A suivre)

VOIR ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : FESTIVALS BANNE 2014. Et ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : FESTIVALS BANNE 2016. 

Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "BETES ET GENS LES SCULPTURES ZOO-HUMANOÏDES DE MARYSE LEBASTARD" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ SAINT-ETIENNE BIENNALE DES ARTISTES SINGULIERS ET INNOVANTS 2022. Rubrique FESTIVALS LIEUX ET EXPOSANTS. 

t 2e texte : " HUMAINES ET DEESSES, UNE NOUVELLE PERSPECTIVE DANS L'OEUVRE DE MARYSE LEBASTARD" : Rubrique ART SINGULIER.

 

          L'après-midi, nous sommes allés -enfin, après tant d'années où nous souhaitions la visiter- voir la maison décorée de ROLAND DUTEL. 

          Nous nous sommes rencontrés pour la première fois "chez" Louis Chabaud, au IVe Festival d'Art brut de Praz-sur-Arly. Et pendant vingt-trois ans, nous ne nous sommes pas revus. C'était donc une véritable redécouverte de l'artiste et de son œuvre. Car sa vocation de peintre l'a amené, au fil de ces années, à créer des œuvres multiples, et toujours des scènes narratives. Il a évolué en une œuvre très colorée, imprégnée à la fois de mysticisme et d’érotisme : Mysticisme de la lumière, cernée de plombs et de remplages souvent peints, entre lesquels elle paraît jouer comme à travers les vitraux des églises, les jours de grand soleil. Mysticisme généré ici par un arbre qui, tel de celui de Jessé, semble jaillir d’un ventre, et lance jusque dans les nuages son feuillage compact et cruciforme, au sommet duquel se trouve une minuscule statuette ; là par des personnages aux silhouettes très primitives, aux têtes inclinées comme celles des chapiteaux romans ; ailleurs, par la présence répétitive de petites niches qui, à l’instar des reliquaires, renferment des objets ou des têtes microscopiques. Mysticisme encore … (à suivre).

Nous nous sommes donc retrouvés au milieu d'une œuvre protéiforme, située fondamentalement hors du temps, parce que de tous les temps.  Une belle aventure, parfois risquée, parfois fragile. Une formulation sans entraves, où s’exprime pleinement son talent. Enfin, émane de ces œuvres toutes bâties sur des symétries verticales, la poésie innée des gens qui ont le ciel pour ultime but, et l’oiseau omniprésent comme véhicule pour y parvenir ! L’oiseau, autre symbole cher à Roland Dutel, lien entre la terre et le ciel -encore ! -générateur des rythmes et du mouvement qui animent ces cadres stricts ; et qui donne à son travail une liberté, une spontanéité et une grande fraîcheur... (A suivre).

          Et puis, et surtout, nous avons enfin pu admirer la façade de la maison.

          Il y eut, bien sûr, Danielle Jacqui dont la façade possède l'antériorité sur la plupart des façades décorées. Mais au cours des années 1980, Roland Dutel commence la décoration de la sienne. Et, s'il est désormais une catégorie à laquelle il appartient, c'est celle des Bâtisseurs de l'Imaginaire, les Tatin, les Picassiette... Comme eux, il a un jour éprouvé le besoin irrépressible de rompre avec la banalité, embellir son cadre de vie, rendre à sa façon si personnelle et talentueuse, la culture qu'il a glanée aux hasards de sa vie, tout en gardant à ce cadre, une dimension humaine. 

Sa façade est donc un foisonnement d'objets personnalisés, individus devenus sous ses doigts somptueusement "exotiques", où nous avons pu plonger nos yeux dans ceux, immenses, de quelque Alien venu nul ne sait d'où ; repérer chaque plage originale où le regard a envie de fouiner, s'attarder, rêver, toucher du doigt la chevelure d'une femme, s'exclamer ou rester coi devant une femme tête en l'air tandis que son "mari" est tête en bas : dénombrer les individus côte à côte sur l'arcade d'une porte ; nous dévisser la tête pour dévisager des cariatides tête-bêche, monstres-gargouilles, masques grimaçants ou hilares, gentils pierrots blottis sous le manteau d’une cheminée, amoureux tendrement enlacés, ou chat qui se mord la queue... ! Car Roland Dutel aborde avec le même délire toutes les apparences imaginables ; adapte chacune à son gré, recrée des émotions, transcende son environnement. 

          Toutes ces possibilités se retrouvent sur les murs de sa maison, à l’assaut desquels il est parti il y a plus de quatre décennies, un jour où l’impossibilité pour l’habitant d’y effectuer des travaux a libéré le peintre-sculpteur qui s’est peu à peu pris au jeu et a transformé des murs anonymes en fresques vivantes ; céramiques et poteries récupérées, bétons intégrés... 

          Ainsi, tour à tour bâtisseur de l’imaginaire réalisant des sculptures souvent monumentales ; et sculpteur de fantasmagories intimes, Roland Dutel est-il apparemment en perpétuelle mutation ! Pourtant, aucun hiatus entre ces deux créations : au contraire, chaque trouvaille de l’une l’emmène loin, encore plus loin sur le chemin de l’autre !

Et génère chez le visiteur le plaisir simple d'un désir enfin réalisé !! 

VOIR : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "RETABLES ET FRESQUES MURALES DE ROLAND DUTEL : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 67 de JANVIER 2000. 

Et http://jeaninerivais.jimdo.com/  RETOUR (s) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE (s).

 

          Les yeux encore pleins des belles heures passées chez Roland Dutel, nous avons envisagé de visiter quelques SITES D'ART BRUT pour terminer la journée. Hélas, la plupart se trouvent à l'autre bout du département ! Nous avons donc dû nous limiter aux éléphants de CLEON D'ANDRAN (Drôme). 

          Avez-vous déjà vu trois éléphants se frotter le derrière sur une colonne au milieu d'une fontaine (d'ailleurs à sec !?). Trois éléphants ? Vous aurez beau regarder, vous n'en verrez que deux sur la photo ! Mais si vous insistez, vous apercevrez les oreilles et les rondeurs de la croupe du troisième ! Ces trois énormes bêtes sont sur la place du village depuis 1970. Elles sont façonnées en ciment non lissé, de facture brute ou naïve. 

Et, bien sûr, ces éléphants sont visibles tous les jours, à toute heure ! 

          Vendredi matin, jour du retour : Nous avions décidé d'aller visiter LA DEMEURE DU CHAOS à SAINT-ROMAIN AU MONT D'OR. Depuis bien des années, nous sommes adhérents de l'association. Nous avons signé la pétition quand les choses allaient très mal pour le site. Nous avons acheté l'énorme livre que les organisateurs ont publié : Des milliers de photos, textes, croquis, plans, visuels intimes sont dans ce grand livre bilingue (français et anglais). 

          Bref, il nous restait à visiter les lieux !  Google disait "ouvert le vendredi" ! Nous arrivons donc, et… trouvons porte close ! Désespérée, je sonne au portail. Une jeune femme vient vers nous. Je fais valoir tous les arguments précédents et elle a la gentillesse de nous ouvrir !! Certes, nous ne pourrons pas visiter le parc, mais elle nous laisse un peu de temps pour prendre les photos que nous voulons. Michel et Emma mitraillent à tous les échos !! Pendant que je m'emplis les yeux de ce lieu étrange, avec certaines constructions métalliques un peu agressives, d'autres sociétales témoins de l'air du temps ; d'autres enfin, comme un appel à penser que cette "galerie" puisse être l'image du futur terrestre ? Un lieu insolite, fantastique et fantasmatique. Pas étonnant que le maire, effaré par cette plaie ouverte au milieu du village, soit monté sur ses grands chevaux. Pour les amateurs d'insolite dont nous sommes, il est bien qu'il ait été débouté et que cette œuvre monumentale soit restée "vivante" ! 

          Le Musée d’Art Contemporain la Demeure du Chaos situé à Lyon, créée en 1999 par Thierry Ehrmann, sculpteur plasticien, est un musée à ciel ouvert qui s’étend sur 9 000 m2 et se matérialise par un parcours muséal unique au monde ouvert gratuitement au public. Composé de près de 6 300 œuvres d’art dont principalement 4 500 sculptures en acier brut pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de tonnes…

          Et voici comment, aux débuts de cette aventure, le définissait Thierry Ehrmann : 

"Mille fois la première question de mes visiteurs abasourdis par la Demeure du Chaos est “Pourquoi ?”

          La réponse me replonge en 1999 quand, après avoir dévoré le veau d’or dans le grand festin paganiste du siècle dernier, je cherchai à nouveau ce monde gnostique.

            Ma seule rédemption passait de nouveau par cette terrible épreuve, renaître par ma damnation première, la démence que l’on reçoit comme une onction suprême à la naissance pour se transcender dans l’art. Cette fureur maniaque, ma sulfureuse maîtresse, sera de nouveau ma complice avec ses troubles de l’humeur.

Elle donnera la vie à ma plume pour écrire une longue, une très longue histoire qui naît de la nuit des temps, s’abreuve du chaos alchimique, prima materia de ce XXIe siècle tragique et somptueux pour s’incarner dans ma chair et mes œuvres et retrouver le monde des demeures philosophales.

Il fallait accomplir ce Grand Œuvre, quel qu’en soit le prix, le hurlement des gueux, la vindicte des hommes en noir, l’anathème des moralistes. Mais tous oubliaient que depuis la naissance du droit, il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu est en état de démence ou contraint par une force majeure.

Cette démence de l’acte artistique, cette force majeure qu’est la folie créatrice permet à l’homme depuis des millénaires de bâtir des temples, des catacombes, des charniers, des lieux de génuflexion, des calvaires, des labyrinthes, des Golgotha, des oratoires, des chemins de croix, des sanctuaires, des prieurés, des cathédrales de lumière.

Tous ces mots, fidèle lecteur, désignent la Demeure du Chaos dont la dualité est l’Esprit de la Salamandre, le souffle alchimique de la Demeure.

Alors, à ta véritable question, “pourquoi cette noirceur ?”, je te réponds simplement : quand tu verras la noirceur, réjouis-toi car c’est le début de l’Œuvre"… Thierry Ehrmann, 9 décembre 1999

 

C'était la fin de notre périple ! Dire qu'en rentrant à la maison, nous étions épuisés mais heureux serait une bonne définition de notre état d'esprit. 

jeanine RIVAIS

 

Surtout, si vous passez devant l'un de ces lieux, ne manquez pas de vous arrêter et prendre le temps d'une belle visite !!

 

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