MICHEL NEDJAR ET MARC EAGER COMMENTANT LA DONATION
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"Madeleine était omniprésente. Mon rôle se limitait à aller chercher des visiteurs à la gare et à distribuer des prospectus !! Je me souviens par exemple d'être allé chercher Raphaël Lonné et sa femme qui étaient déjà âgés. Je les avais emmenés à leur hôtel, puis à l'Aracine. Pour me remercier, Raphaël Lonné m'avait donné des dessins et des petites cartes postales.
Il y avait une chose incontournable à l'Aracine, que nous, les trois membres fondateurs, Madeleine, Claire et moi, avions établie : une loi qui impliquait que nous ne devions absolument rien garder de ce qui touchait l'Aracine : le courrier, les cadeaux qu'on nous faisait, etc. C'est toute cette documentation que j'ai donnée au Lam.
Dès le début, l'Aracine n'a pas été une collection privée. C'était une collection publique, que le public a commencé à visiter. Nous ne devions rien garder pour nous. Quand Madeleine est décédée, en regardant beaucoup de choses que j'avais encore, pour être fidèle à son esprit, je n'ai voulu rien garder pour moi. Marc avait aussi quelques œuvres qu'il a données. Il est vrai que dans mes voyages, quand on m'avait donné des adresses, j'allais voir des auteurs et des personnes qui s'occupaient d'Art brut, et nous avons fait beaucoup d'échanges. Et souvent, quand j'exposais dans une galerie, je demandais au galeriste s'il avait des œuvres d'Art brut ? Si c'était oui, parce qu'il n'avait pas tout vendu, je faisais avec lui des échanges. C'est de cette façon que j'ai obtenu les premières œuvres. Et comme j'avais déjà un petit nom dans le milieu de l'art, je précisais bien que c'était pour l'Aracine, et plus tard pour le Lam.
J'étais très insistant à préciser que l'échange n'était pas pour moi ; parce que j'ai connu des collectionneurs, un surtout, qui disait que c'était pour l'Aracine, alors qu'il ne nous a jamais rien donné. Je me souviens que, quand je passais dans certaines galeries à New-York, on m'objectait : "Mais vous avez déjà cela à l'Aracine". C'est comme ça que j'ai compris que certains, en utilisant le nom de l'Aracine, pouvaient se procurer à bon prix des œuvres. Dès le début, j'ai donc respecté cette déontologie.
Et voilà le résultat : plus de trois-cents œuvres au départ ; et encore trois cents que nous fêtons aujourd'hui. Et je vous dis tout de suite que ça fait du bien de donner ! On est heureux, il n'y a pas d'histoire de fric ! C'est vraiment fantastique de faire des dons !
(Texte enregistré par J.R.)
Les résumés ci-dessous sur les artistes sont du Lam.
SALIM KARAMI (Iran) : "Deux personnages de face, poissons". Après avoir travaillé de nombreuses années dans une usine textile Salim Karami commence à dessiner de façon totalement autodidacte à l'âge de soixante ans, réalisant ses premières œuvres sur le revers d'affiches de publicité. En 2008, il présente pour la première fois ses dessins dans une galerie à Rasht, au nord-ouest de l'Iran. Les dessins de Salim Karami se remarquent par leurs combinaisons de couleurs vives souvent contrastées, ainsi que par la juxtaposition de tracés, évoquant les techniques de broderie. Végétaux et animaux se mêlent, s'entrelacent, rappelant des arbres de vie et des miniatures persanes.
CLAIRE TELLER : "Visages marron, bleus, orange, noirs". "Visages". Membre fondatrice de l'Aracine, en 1982, Claire Teller a rencontré Madeleine Lommel vers 1953, lorsque cette dernière habitait à Liège, en Belgique. Une amitié très forte va naître entre les deux femmes qui vont partager le même intérêt pour l'art et, plus particulièrement, pour l'Art brut. En 1984, Claire Teller est à l'initiative de la présentation d'une exposition d'œuvres de l'Aracine à Bruxelles ainsi que dans le cadre du colloque international Raymond Queneau à Verviers, la ville d'André Blavier. Elle a permis l'entrée dans la collection de l'Aracine, d'œuvres d'Art brut originaires de Belgique comme celles de Martha Grünenwaldt, Pascal Tassini, Louise Tournay ou Théo Wiesen. Claire Teller commence à dessiner au cours des années 1960, encouragée par Madeleine Lommel. "C'était pour moi comme un jeu. Je dessinais des arbres, des oiseaux, m'inspirant des dessins de Rifi que j'aimais beaucoup. Mon appartement était situé sur les hauteurs de Liège, j'avais vue sur la ville et la ville me questionnait ou l'inverse".
MICHEL NEDJAR : "Bas-relief". L'artiste réalise des œuvres pour exorciser les images qui l'obsèdent, celles de l'horreur des camps de concentration découverte par le film d'Alain Resnais, "Nuit et brouillard" (1956), vu à la télévision en 1961. Lors d'un séjour au sanatorium en 1968-1969, il commence à dessiner. Puis, de 1970 à 1975, il voyage avec Téo Hernandez en Europe, en Iran, en Inde, au Mexique, où naît sa fascination pour les poupées liées aux rites magiques. De retour à Paris, il s'installe à Belleville, et commence à confectionner des poupées qui, peu à peu, vont prendre la forme de corps torturés à l'aspect carbonisé. Leurs membres sont atrophiés ou arrachés, leurs visages ne sont animés que par les trous des orbites vides, des narines et de la bouche. Vers 1980-1985, il réalise des bas-reliefs en papier mâché, où visages et corps sont collés les uns contre les autres, comme engloutis dans la matière.
MADELEINE LOMMEL avait formellement interdit que ses œuvres entrent dans la collection. Tout de même, le temps passant, Michel Nedjar et Bernard Chérot ont estimé qu'"il y avait prescription" et ont souhaité ajouter ces belles œuvres à la donation.
(Lire à propos de cette histoire l'entretien de Jeanine Rivais avec Madeleine Lommel, et autres textes sur la collection : http://jeaninerivais.fr Rubrique Art brut).