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          Né à Paris de parents émigrés espagnols, son père étant ouvrier imprimeur, Jean-François Ortiz a été, dès l’enfance, plongé dans une tradition culturelle forte ; à laquelle s’est ajouté un bain pictural inconscient puisque, d’aussi loin qu’il se souvienne, sa chambre a été tapissée d’affiches reproduisant peintures et sculptures, ses étagères chargées de livres d’art ! Pas étonnant que Picasso et Guernica aient été pour lui de vieux amis, un tandem sur lequel s’appuyer lorsque est née sa vocation artistique ! Mais ce transfert d’une discipline à l’autre aurait semblé paradoxal, n’était que le sculpteur déclare sans ambiguïté ne s’être jamais senti à l’aise dans ses tentatives de peindre.

     Il a donc décidé de mettre en relief cette œuvre-culte. Il l’a “reproduite” avec une fidélité remarquable pour un créateur autodidacte qui découvrait petit à petit, à la fois les matériaux et les techniques pour les dompter !  Toutes ses œuvres du début sont des bas-reliefs polychromes et non des sculptures en ronde-bosse. Par la suite, ont vu le jour sur le même principe que Guernica, Les Demoiselles d’Avignon, hommage à Torres Garcia, etc. 

          Pétrissant la terre, expérimentant des pâtes, des gommes-laques... de plus en plus familières, Jean-François Ortiz s’est livré à des exercices de style, s’appuyant sur ces référents célèbres. Et le temps a passé. Psychologiquement plus serein, il a un jour franchi le cap : sans délaisser la terre avec laquelle il crée des bustes très réalistes de personnages qu’il admire, il a abordé la pierre et le marbre, et commencé de “vraies” sculptures ! De ses voyages, il a rapporté de nouveaux critères culturels (il a appris à travailler le marbre à Cuba, s’est documenté sur les civilisations précolombiennes, etc.). Et, depuis la création d’une pyramide très sobre, annonciatrice de la récurrence du triangle dans son œuvre, il évolue parmi ces dominantes récentes. Ainsi, les ailes éployées de ses hiboux sont-elles parfois gravées à l’instar des “capes” de plumes multicolores des cérémonies indiennes ; d’autres fois, elles se rejoignent au sommet, symbolisant par leur pointe l’essor de la pensée, une naissance spirituelle... Bien qu’encore jeune dans le monde sculptural, l’artiste a donc intellectualisé sa démarche, manifesté en “érigeant” ses oiseaux, sa volonté de les humaniser tout en s’abritant derrière leur zoomorphisme. Et le couple “humain” idéal conçu par son imaginaire féru de chiffres, s’élance en un mouvement vers le haut, enlacé par eux et lové autour d’eux dont les arabesques et les brisures donnent à l’œuvre une élégance et une lascivité extrêmes.

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Lui qui sait, par ailleurs, donner à ses formes un poli parfait ; remplacer la connotation glacée du matériau par une douce brillance, a des impatiences qu’il canalise au moyen de ces deux gammes antithétiques : le calcaire, tendre, granité, mais friable ; le marbre, dur, précis, pour lequel il a éprouvé un amour immédiat ! Pour en venir à bout, il a choisi non pas une approche progressive comme le suggère la tradition du burin, mais un contact rapide, d’autant plus risqué : une machine, avec laquelle il réalise un travail d’usure plus que d’impact ; outil qui, par son symbolisme brutal libère en lui des instincts de violence, de contrastes ; mais l’oblige en contrepartie à des délicatesses infinies !

Devenu expert dans l’art de maîtriser l’esthétique, Jean-François Ortiz peaufine à présent l’esprit de sa recherche. Une chose est sûre : s’il a découvert dans la terre chaleur et sensualité, dans la pierre il a appris la modestie ! Gageons que cette dernière lui permettra d’aller très loin ! Son talent naissant l’emmène déjà dans la bonne direction !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2001.