Avril 1868 : Par un printemps pluvieux, débarque en Corse un Anglais qui a déjà visité la plupart des pays du Bassin méditerranéen. Exigeant, un peu avare, très maniaque, ce paysagiste voyage avec son valet et… son lit pliant ! 

Désagréablement surpris par le temps, l'absence d'architectures et de richesses artistiques, par le manque "d'originalité et de couleurs", il a le sentiment d'accoster "dans un monde terne et lugubre…"

JOURNAL D'UN PAYSAGISTE ANGLAIS EN CORSE est l'histoire de la conquête d'un homme par une île. Au cours de ses itinéraires minutieusement préparés, effectués en carriole tirée par des chevaux, il va "découvrir" la plus chaude convivialité, la dignité et le respect derrière les visages fermés, la suprême beauté des montagnes, des forêts, la munificence de la flore, etc. Peu à peu, l'humour reprend le dessus, la morosité disparaît ; l'acceptation des différences fait régresser l'agacement ; notre paysagiste s'humanise. Début juin, il quitte à regret l'île qu'il a appris à aimer, emportant trois-cent cinquante dessins des sites qui l'ont conquis.

De nos jours, où l'œil exercé dépasse la pensée, où l'image a remplacé les mots, écrire un tel livre est impensable. Et cependant, comme le paysagiste, le lecteur se laisse conquérir par le journal d'Edward Lear. Il se lit avec le plus grand plaisir, car il fourmille de détails ethnologiques, d'appréciations personnelles, d'anecdotes et de descriptions. Il nous apprend qu'el 1868, Bastia (vingt-mille habitants) terminait sa digue ; que Corte était la ville la plus sale de l'île ; Calvi décadente mais belle ; Ile-Rousse une ville montante, Ponte della Leccia la localité la plus lugubre de toute la Corse ; la Balagne un véritable enchantement ; Lavattogio, Catteri, Avapessa des villages neufs ; que notre auteur était le premier Anglais à visiter Vescovato, etc. 

Surtout, à mesure que le lecteur avance dans chaque itinéraire, il ressent une intense jubilation : "Ah oui ! J'ai vu ceci ! J'ai retrouvé cela ! Comme cet endroit a changé ! ". En fait, comme le paysagiste a cédé au charme de l'île, le lecteur cède à l'attrait du livre. 

Quelques remarques négatives à l'encontre de Véronique Emmanuelli : en français, attention, la conjugaison existe ! La ponctuation logique également ! La traductrice aurait dû être très attentive aux incorrections (le cui-cui des perdrix !), surtout l'emploi répété du mot "chauffeur" dont le sens était alors différent de charretier ou conducteur ; "Lorraine" au lieu de Claude Lorrain ; quelques petites négligences (Lui au lieu de Lumio), etc., qui agacent au long du "parcours". Mais ne faisons pas de terrorisme ; elle a, dans l'ensemble, su rendre le ton incisif du paysagiste qui se révèle également être un narrateur très séduisant.

Un livre à mettre absolument entre toutes les mains !

Jeanine RIVAIS

 

Traduit de l'anglais par Véronique Emmanuelli.240 pages. Edition La Pensée universelle.

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1994.