Parfois, un lent travelling balayant l’immensité d’un paysage minéral, ouvre un film de science-fiction, tandis que le silence s’épaissit jusqu’au moment où la caméra découvre un minuscule point immédiatement familier au spectateur : Telle est la démarche de Douglas Harding dont les peintures sur papier reconstituent les “étapes” de ses “voyages intergalactiques”. Transparente, une spirale-vaisseau à l’échelle du planisphère terrestre, recouvre les continents, son centre de gravité l’Afrique, berceau des premiers maillons d’intelligence organisée. La spire s’élargit, rejoint les espaces intersidéraux en une fleur de planètes parfaitement rondes et symétriques... Là s’arrête l’imaginaire, commence la circumnavigation raisonnée. Car ce qui frappe, dans le travail de l’artiste, c’est la rigueur architecturale de l’exécution, la précision entomologique des enchevêtrements de cercles, triangles, strictes géographies, arabesques idéalement réglées comme des chorégraphies de pierres. Des voyages au cours desquels tous les éléments suspendus dans le vide semblent flotter, “ponctuels” comme des mécanismes d’horlogerie, dans une nuit sidérale sans repères. Les couleurs douces des lavis, se fondant les unes dans les autres, unifient encore ces cosmographies immobiles d’où toute vie est absente, la présence de l’homme impensable qui créerait des disruptions dans cette idéale “organisation”. Dans quelques oeuvres, des suggestions de plages à marée basse dispersent en formes infinitésimales galets et coquillages, abeilles fossilisées, ponctuant le “sable” comme des animalcules emprisonnés dans les transparences de l’ambre. Ce sont les seules “fantaisies” de ce monde figé où l’artiste pourtant, se préoccupe de possibles résonances écologiques. S’harmonisent alors sur le papier, quatre saisons ; et le spectateur passe d’une version “chaude” à une version “froide” d’un même cycle céleste. Mais dans cet univers si minutieusement réglé, ce qui pourrait être profusion de couleurs estivales, de gels hivernaux, est symbolisé par les variations colorées d’une unique feuille : la “vie” réduite à son expression minimale ! Même lorsque le regard rencontre des fleurs, ce ne sont que tiges raides, parfaitement ordonnancées, dans un jardin sans personnalité ! 

        A force d’être anonyme malgré sa connotation galactique, cet univers devient fascinant pour l’œil impatient d’y détecter une minuscule existence, la plus petite faille où il pourrait s’agripper ! C’est pourquoi le visiteur respire lorsque, enfin, comme l’aurait fait la caméra, il découvre ce petit point familier, un édifice bien terrestre que le monde entier reconnaîtrait en une fraction de seconde. Erreur ! Encerclée, triangulée, d’un gris-acier sans chaleur, cette cathédrale n’est qu’un instant du voyage, aussi impersonnelle que les sphéroïdes astraux parcourus par la spirale ! Rien à voir avec le questionnement de l’enfant cherchant dans une voûte d’un noir velouté constellé d’étoiles, la Grande Ourse ou le Petit Chariot !...      C’est pourquoi, revenu sur sa planète brouillonne et chaleureuse, il s’interroge sur les motivations qui poussent un artiste dont la définition devrait être chaos primal, folie créatrice, à dispenser son incontestable talent en une réalisation de froide logique, un impressionnant travail de non-vie ?

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1995 EN PREPARATION D'UNE EXPOSITION A L'UDAC PARIS