SARAH WIAME

UNE ARTISTE, UNE ŒUVRE

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Le voleur portait un masque… "Petite masque", dit la mère à son enfant menteuse… "Je vous connais, beau masque", dit la dame à son galant dont elle a pénétré les intentions secrètes !... "Le masque", nous dit le dictionnaire, "est un faux visage, de carton peint ou d'une autre matière, dont on se couvre la figure pour se déguiser. C'est aussi la personne masquée".

          Du masque de la tragédie grecque au loup de velours des carnavals de Venise ; du Masque de fer au masque mortuaire, cette définition prise dans l’un ou l'autre sens a une connotation mensongère, dissimulatrice. Elle corrobore une apparence trompeuse ; et c'est bien ce jeu sur l'illusion, les simulacres et les leurres qui a, de toujours, intéressé les artistes : écrivains, poètes, peintres et sculpteurs ont été, au fil des siècles, fascinés par le masque, l'anonymat qu'il garantit, la dualité qu'il favorise.

 

          C'est sur la double définition que travaille, depuis des années, Sarah Wiame. Elle a même fondu les deux en une, puisque son plus récent catalogue s'intitule MASQU€S-VISAG€S : l'être et son double ; la vérité et le mensonge, l'ombre et la lumière... Chaque facette de son œuvre part de cette dualité et l'y ramène :

 

          DUALITE dans la présentation : petites taches de couleur au centre d'une immense page blanche. "Les marges", dit le poète Guillevic, "ce sont les silences”. Et c'est bien de paroles et de silences qu'il s’agit, dans les œuvres de Sarah Wiame : souffrance, angoisse, mystère ; parfois, plus rarement, joie, ironie ; dit et non-dit s'opposant, s'apostrophant sur ces faux visages perdus dans le blanc.

 

          DUALITE, encore, dans la réalisation des masques : lourds amas de cartons ou de pâtes, solides, sûrs d'eux-mêmes ; opposés à des ajouts rapides, nerveux, griffés, croisés, rageusement infligés sur les certitudes du fond  ! Petites plages nettes, amoureusement léchées, précieuses, contre passages souillés par un pinceau chargé de couleurs mal définies. Larges pommettes, mentons soulignés, contre bouches, yeux inexpressifs, réduits à de simples fentes, voire fermés.

 

          DUALITE toujours construction-destruction, acceptation-rejet, durable-éphémère, créée par les "passages” collés, définitifs ; opposés à d'autres, collés également, puis brutalement arrachés de façon à laisser la trace de la déchirure. Volonté délibérée de l'artiste de fragiliser sa création en laissant sans protection la "blessure" ouverte par les arrachages. Béance des "plaies", accrue par de gros amas de peinture à l'huile, contre de fragiles coulées d'encres, de traces ténues de crayons de couleurs, etc.

 

          Ce cheminement fait que l'œuvre de Sarah Wiame n'est pas ''belle” au sens où l'esthétique n’est aucunement son propos. Mais ses démarches la rendent profondément sincère et tourmentée. Elles provoquent chez le visiteur une autre dualité : attraction-répulsion, analogue à celle qu'il ressent devant les "anormaux", les "monstres" de toutes natures ; mauvaise conscience peut-être ; fascination sûrement ; attachement malgré soi pour ces êtres ou ces images dont le visage est supplanté par le masque !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 36 DE MARS 1994 DE LA REVUE IDEART