LES MANNEQUINS DE SUZAN LARRIEU.

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A l'automne de l'an 2000, le petit Musée Adzak, à Paris, présente les mannequins adultes, idéalement galbés, de SUZAN LARRIEU, et “leurs ?” “enfants” souvent dépourvus de bras. Tous ont le corps maculé de taches, dégoulinant de traînées de peinture, surchargé de collages d’articles de journaux, de plages publicitaires ou de photos. Leurs lèvres barrent d’un trait compact de couleur violente leurs visages parfaitement proportionnés qui disparaissent eux-mêmes sous une épaisse couche de peinture unie, blanche ou jaune citron. Cet excès de “maquillage” leur donne des airs de clowns tristes plutôt que de femmes coquettes, même si l’élan de leur corps tourné “vers” le visiteur suggère leur désir de contact... Leurs ventres sont tatoués de quadrillages structurés comme des tableaux d’ordinateurs ; ou fendus en des béances peuplées de “super-boys” ou de poupées Barbie. Ces “femmes” sont seules au milieu de la salle, “en représentation” ; et les enfants sont souvent associés en des clonages inquiétants.

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Il semble évident que cette artiste se veuille dénonciatrice de la civilisation de consommation basée sur l’uniformité de l’apparence et le rejet de la différence ; mais que ses personnages stéréotypés ne soient préoccupés que d’eux-mêmes et non de la Terre qu’ils tiennent d’ailleurs à pleines mains comme pour la lancer au loin, où sur laquelle ils sont assis. Sa volonté paradoxale de prendre des corps parfaits et de les avilir, les enlaidir, les rendre criards et agressifs... montre qu’elle met du coeur à l’ouvrage et que son éthique est parfaitement honnête. Peut-être se heurte-t-elle aussi au même problème que tous les créateurs soucieux de militantisme politique pictural, car elle est à l’âge où l’on se doit d’être paroxysmique pour se croire crédible, avoir le sentiment de démontrer l’exemplarité de sa “résistance”. Il lui faudra donc apprendre la sobriété pour en venir à être irréfutable. D’ores et déjà, elle serait beaucoup plus résistante et crédible si, au lieu de prendre simplement des mannequins, certes produits symboliques de cette société qu’elle critique, elle réalisait elle-même ses personnages. Le spectateur rêve de la liberté qu’elle pourrait alors s’autoriser au cours de cette gestation ; les “cris” de révolte qu’elle pourrait leur arracher...Il sera bon de revoir dans dix ans, comment cette artiste à l’évidence talentueuse aura fait grandir son oeuvre en gestation.

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Dans l’immédiat, il s’agit-là d’une belle exposition, soufflant tour à tour sur le visiteur, l’émotion, la violence et l’angoisse métaphysique et existentielle dans un monde où l’on se remet personnellement en cause ou auquel, au contraire, l’on n’est peut-être pas assez attentif : bref, offrant tous les ingrédients puissamment exprimés d’une bonne crise de conscience individuelle et d’un pied de nez à l’égard de la société.

                                                                                  Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 69 DE JANVIER 2001 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

A l'automne 2010, soit dix ans exactement plus tard, il semble que Suzan Larieu soit devenue SUZANNE LARRIEUX, et soit toujours préoccupée des mêmes problèmes?