Saülo Mercader, né en Espagne, a eu un destin exceptionnel : Une petite enfance qui possédait toutes les promesses d'une vie épanouie ; et soudain au hasard d'un destin politique, plus rien : rien d'autre que la peur, la misère, la faim ; même pas un nom, en fait, si ce n'est "fils du diable" ; l'errance de maisons en ruine en grottes désaffectées; jusqu'au jour où, dans la rue, il trouve un vieux livre de peinture ; et c'est la prise de conscience d'un enfant qui sait désormais pourquoi il doit survivre. Plus tard, débute une nouvelle errance, aux côtés d'un portefaix sans doute un peu poète qui, ayant senti le talent de l'enfant, l'encourage à sculpter de minuscules figurines : la création au bout des doigts, peut-être ? 

En tout cas, tant de souffrances n'ont pas été vaines. Car, de ce vécu dramatique, Saülo Mercader a su extirper une vie" ; une expression picturale à la fois "vraie" et fictionnelle ;une œuvre lourde, faite par un homme écrasé d'injustice, mais qui, faisant feu de tous les manques qu'il est parvenu à surmonter, sait en rendre compte en les transcendant : 

Le siffleur angoissé
Le siffleur angoissé

Ainsi, d'avoir été "non-existant", anonyme, marginalisé par son histoire, est-il parti en quête d'une identité ; le voilà "présent" dans toutes ses toiles, les épaules carrées garantissant la présence du corps. Pourtant, chaque fois, le visage "inachevé" ou "partagé", laisse penser que cette quête est loin de son aboutissement.

Ainsi, mû par le besoin de combler un vide intérieur né d'avoir trop peu connu les caresses d'une mère, aborde-t-il souvent le thème de la Mère et l'Enfant, en un mélange de respect et d'irrévérence : femmes au visage dur, d'une beauté sculpturale, aux seins gonflés débordant de lourdes robes de velours moiré, tenant dans leurs bras un enfant nu. Ou, vierges ou déesses-mères en majesté, à la fois nues (tendant vers le spectateur leur pubis garni de poils noirs) et vêtues de nuages ; éthérées et réelles dans une vulgarité de chaises-viscères et d'herbes vermiculaires ; fortes d'un physique qui emplit la toile et fines de la toute puissance de leur foi intérieure... 

Ainsi, la défection d'un père a-t-elle fait surgir le Taureau, omniprésent dans l'oeuvre de Saülo Mercader, le ramenant à ses racines disloquées, à la violence, l'agressivité de la Bête... En même temps, taureau sacrifié, douloureux avec ses grands yeux douloureux, si humains ! Humain et pathétique, l'animal dressé contre l'homme, hurlant d'un cri muet, somptueux, amer et dérisoire, multiple en somme de tous les symboles qu'il véhicule !

Ainsi cet exilé devenu voyageur du monde et témoin de sesmultiples cultures, revient-il à sa propre culture originelle, aux couleurs de l'Espagne : il choisit les bleus de ses ciels, le rouge de son sang s'infiltrant dans le sable de ses arènes... en des rapprochements qui traduisent l'âpreté, la violence et l'enchantement d'un pays où retournent ses nostalgies,,, en des harmonies qui ont pu lui valoir le titre grave de "sorcier de la couleur" ! 

 

Faudrait-il donc connaître la biographie de Saülo Mercader pour apprécier son œuvre ? Il est impossible, aujourdhui -même pour un peintre- d'y discerner la part du réel et de l'imaginaire. Il n'est d'ailleurs nul besoin de cette information pour en sentir la présence sous-jacente dans les sujets, les rythmes, etc. Mais se contenter de la traquer serait réduire cette création à l'aune d'un journal ! Ce serait nier le talent immense d'un artiste qui, d'une petite histoire d'enfant miséreux a fait une oeuvre-promesse, sorte d'ex-voto adressé à lui-même ; dans un grand flamboiement pictural magnétisant le regard d'autrui ; un fouissement obsessionnel si profond qu'en a jailli une véritable saga à l'échelle du monde !

Jeanine RIVAIS

 

 

 

 

 

SAÜLO MERCADER, auteur de "Art, Matière, Energie" (Editions Imago).

                                               “Les Chants de l’Ombre” Editions Imago Paris. Diffusion PUF..

                                                "Saülo Mercader, Un chef de file de l’art contemporain : Entretien avec Jeanine Rivais. (Editions Guadalajara). 

 

 CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 61 DE FEVRIER/MAI 1999 DE LA REVUE IDEART.