La terre comme aux origines des temps, les entrelacs de décorations argileuses de quelque enclos archaïque, des végétations maigres et sèches : le décor est planté, les a priori psychologiques déployés. Louise de Solages peut désormais y intégrer une faune composée de loups, choisis pour leur capacité à se transformer en humains ; ou au contraire des sauriens, fascinants par leur aspect primitif et l’impossibilité où se trouve l’homme d’établir avec eux le moindre dialogue; ou d’humains, justement, qu’elle campe à l’avant de la toile et qui s’intègrent au décor.

          Pour réaliser cette concordance, Louise de Solages a le talent de se mettre en état d’hypnose afin d’accéder à la pureté émotionnelle qu’elle juge indispensable : homme ou femme, ils sont nus allongés, ou debout à proximité d’arbres aux racines aériennes. Ce rapprochement permet à l’artiste d’effectuer, via l’Afrique de ses fantasmes, une sorte de rétro-voyage vers ses peurs enfantines, vers les contes qu’elle aimait, vers sa naissance, vers son Paradis terrestre ; développer une symbolique autour de la rencontre chair/minéral, en traduisant avec des pigments couleur de terres ocres ou brunes, le jeu intérieur/extérieur, corps/âme; jouer de ce corps nu en lui déniant tout érotisme pour exprimer un état de vulnérabilité mentale, d’instabilité physico-psychique. Parallèlement, la racine omniprésente symbolise par son aspect de sablier renversé, le passage du temps, mais rappelle que sa fragilité ne l’empêche pas d'être solidement enfoncée dans le sol. Ainsi s’établit une dualité nudité/chasteté, formes plantureuses/incertitudes, frayeur/enracinement, etc., s’installe une harmonie issue de ces déséquilibres.

          Aucun travail préparatoire ne vient gâter ces rapports complices : au contraire, Louise de Solages procède, dans l’état second où elle se trouve à une sorte de peinture automatique mais, et c’est paradoxal, à la fin de son sommeil pictural, les “constantes” sont bien là : un lourd trait noir délimite les silhouettes, les ocres galbent les formes et répandent (et non l’inverse), une lumière “vers” le décor ; les mains de l’artiste ont malaxé, patiné les poudres, écrasé les acryles sur le support ; les visages sont inexpressifs le plus souvent, ou manifestent une grande souffrance... Dans toutes ces nuances brunes, les yeux, humains ou animaux, sont blancs : porte d’entrée dans le corps ou l’âme des êtres, ils sont le seul élément vivant dans cet univers pétrifié !

          Ce travail est le contrepoint de grands moments d’angoisse et de souffrances physiques dans la vie de Louise de Solages, mais comme un enfant fasciné par le danger, elle y retourne sans cesse. Ce va-et-vient de ses rêves éveillés à la vie monacale qu’elle mène, à la discipline de fer qu’elle s'impose dans son travail, concourt à faire naître ces peintures tellement concentrées, à rendre irréfutable leur primitivité si évidemment authentique.

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT   EN 1994 ET PUBLIE DANS LE N° 41 DE FEVRIER-MARS 1995 DE LA REVUE IDEART ET DANS LE N° 14 D'AVRIL-JUIN 1995 DE LA REVUE FEMMES ARTISTES INTERNATIONAL (SOUS LE TITRE "TROIS FEMMES TROIS AFRIQUE ")