Lorsqu'une jeune femme parisienne née au Maroc d'un père juif arabe et d'une mère réfugiée espagnole rencontre une jeune femme marocaine bruxelloise aux racines aussi multiples, préoccupée depuis toujours de ses origines, elles vont immanquablement remonter ensemble vers la source de leur culture tronquée, perturbée ; pallier au long de ce parcours originel, les vides laissés par leur errance familiale ; "témoigner", "rapporter", "fixer" la mémoire des autres, la leur par voie de conséquence : non pas faire œuvre de militantes, ni de sociologues ; mais créer un lien affectif, de solidarité et d'échange. En ce sens, "Les mains de Khadouj", première photographie de Joss Dray à accompagner un texte de Leila Houari, sont on ne peut plus symboliques ! 

Désireuses de mettre à l'épreuve leurs implications similaires, les deux artistes sont, dans leurs expressions différentes et néanmoins parallèles, parties à la recherche des femmes maghrébines.  Quel chemin pour gagner la confiance de femmes parfois illettrées, souvent effrayées de braver les tabous religieux en livrant leur visage ; les amener à se raconter devant deux inconnues forcément intellectuelles ! C'est pourquoi il a fallu des années pour que naissent "intimement" ces portraits. Mais au fil du temps, les relations se sont détendues, sont devenues chaleureuses. De la cérémonie du thé, du lourd cabas au bout des bras, à la réunion syndicaliste…, des portes se sont ouvertes ; des bribes de luttes anonymes se sont exprimées ; des récits de vies ont enrichi par leur humour ou leur détresse, des rencontres devenues amicales.

 

          Toute cette démarche "vers" est inscrite dans les photographies de Joss Dray et les transcriptions de dialogues de Leila Houari. Ayant le sentiment d'avoir trouvé un écho à leur propre questionnement, elles ont appris à capter tel regard nostalgique, tel clin d'œil complice ; souligner tel petit détail ethnologique, incongru pour un regard étranger ; partager solitudes et joies de femmes qui ont réussi à faire de leur exil une richesse plutôt qu'une peur ; porter sur ces scènes de l'immigration un regard complexe, non réducteur parce que dépourvu de préjugés. Avec la certitude d'"être" profondément dans "leur" histoire, d'avoir trouvé la trace de leurs racines perdues, le sentiment, même "ailleurs" d'arriver enfin "chez elles". 

Jeanine RIVAIS

 

"FEMMES AUX MILLE PORTES" :  Sous ce même titre a été publié à l'automne de 1996 un livre édité par le Collectif "Au nom de la Mémoire" et les éditions EPO (Diffusion Syros) : photographies de Joss Dray, textes de Leila Houari.

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996 A L'OCCASION DE L'EXPOSITION "FEMMES AUX MILLE PORTES"A L'UDAC PARIS.