Brève escale des foudres
Brève escale des foudres

          La petite ville de La Verrière, en grande banlieue parisienne, fait depuis deux ans un effort considérable pour attirer vers des expositions de qualité, un public qui avait peu l’habitude de fréquenter les musées. Ainsi finit-elle l’année et le siècle avec des peintures et aquarelles d’Ody Saban. Quelques semaines avant l’exposition, cette dernière a animé deux séances avec des volontaires de sept à plus de quatre-vingts ans qui ont pris en mains, souvent pour la première fois, plumes et pinceaux, et réalisé de gentils tableaux-souvenirs de ces moments apparemment très conviviaux. En manière d’introduction à la soirée inaugurale, était proposée une chorégraphie de Jean-Christophe Bleton, intitulée Oukiva en hommage à Gaston Chaissac : quelques jeunes filles dansaient sur le thème de “l’artiste et son matériau ; comment appréhender la création picturale ? Quelle sorte de va-et-vient s’établit-il entre le créateur et son support ? etc.” Et, bien sûr, le public était venu pour vernir les œuvres d’Ody Saban, bien mises en scène dans un lieu agréable, à la fois théâtre et salle d’exposition.

(aquarelle) Les deux semblables
(aquarelle) Les deux semblables

          D’abord une série de grandes peintures assez anciennes (la plupart antérieures à 1989), très colorées, alternant passages finement ouvragés et larges plages “vides” ; porteuses déjà, bien qu’encore incomplètement, de toutes les caractéristiques qui allaient, au cours de la dernière décennie, devenir sa création tellement personnalisée.

          Mais surtout, y étaient proposées des aquarelles récentes, sorte de récitatif de ses voyages réels ou imaginaires ; où l’artiste donnait la mesure de l’originalité à laquelle elle est parvenue. Ainsi, le visiteur passait-il des Deux lunes de Louxor, où deux personnages sont face à face, portant comme des tiares sur leurs têtes-casques, deux croissants de lune, leurs corps faits de milliers de traits sinueux, ondulant par-dessus des taches de couleurs très vives ; aux Trois protecteurs, les Hopi, où un couple (thème récurrent chez Ody Saban), déployait ses anatomies tatouées de ribambelles de minuscules individus accrochés dans les masses de cheveux, des dragons, des fleurs et des monstres... ; ou encore à L’abandon de Camille Claudel, aux têtes chargées de leurs fantasmes et de leurs délires créatifs et érotiques... ; à Lilith vainquant Dieu, issue d’un dragon, etc.

          Bêtes tapies, monstres bondissants, serpents dressés, couples lovés en des attitudes surprenantes, tendres et complices...   Ody Saban exprimait dans leur plénitude sa frénésie picturale, son érotisme, ses angoisses de femme face à la difficulté de se libérer des tabous sociaux et faire exploser les carcans ; ses culbutes entre civilisations occidentale et orientale ; ses angoisses personnelles, etc. Bref, elle donnait, avec cette série d’aquarelles, le meilleur d’elle-même.

 

          Un regret : qu’elle soit en train de se couper du public qui la suit depuis parfois très longtemps parce qu’il admire son talent (malheureusement, cette situation est de plus en plus fréquente dans le monde singulier !), en proposant ses œuvres à des prix... rédhibitoirement hors-les-normes !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1999, SUITE A LA VISITE DE L'EXPOSITION DE L'ARTISTE A LA VERRIERE.