LES " SUJETS ORDINAIRES " de PATRICK BEZZOLATO, photographe
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Ce n’était sans doute pas un spectacle banal, que de voir un petit garçon de huit ans marchant le long des rues, s’arrêter parfois et, tel un professionnel mettre ses mains autour de ses yeux afin de "cadrer" ce qui venait d’attirer sa sensibilité et son cœur ! La vocation de Patrick Bezzolato était née... Avec peut-être la frustration de n’avoir pas d’appareil photographique pour immortaliser ce qui venait ainsi d’arrêter son cheminement ! Cette vocation et cet amour obsessionnel de l’image déjà évidents à un âge aussi tendre, ne se sont depuis lors jamais démentis, bien qu’il aborde la quarantaine !
Depuis, son rêve s’est concrétisé, et il parcourt les rues "en prenant des photos". Et si une grande partie du monde est passée à travers son objectif, c’est néanmoins Paris qui est l’objet de tous ses soins. Le Paris d’avant-guerre, échappé aux bombes et préservé de l’avidité des promoteurs et de la progression inexorable du béton ; celui des cours discrètes et (par chance) oubliées ; Paris dont il lui faut à tout prix conserver la mémoire parce qu’il n’est déjà, trop souvent, qu’un souvenir évanescent dans l’esprit de quelques nostalgiques.
Bien sûr, comme ces derniers qui naguère s’asseyaient en rond avec leurs voisins et parlaient des jours révolus, Patrick Bezzolato œuvre sans aucune recherche du spectaculaire. Mais si, dans son cœur, nostalgie il y a, elle n’a rien à voir avec un "bon vieux temps" dont il sait très bien qu’il était fait de cartes de rationnement, de logis insalubres et surpeuplés, d’ouvriers rongés d’alcool et de femmes dont les escaliers cassaient les dos épuisés par les grossesses, etc.. Il ne s’agit pour lui que d’aller à la rencontre de ces quartiers reculés, en sauvegarder la mémoire, en retrouver la convivialité, partant la poésie désuète : prouver en somme que pour lui, tellement familier de ces pavés usés dans l’ombre des arbres centenaires, la photographie n’est pas une manière de se pousser du col, que la défense des vieilles pierres n’a rien d’un phénomène de mode : SA photographie, face à la magie évocatoire des lieux surannés qu’il hante, face à la trace indélébile du temps, à la beauté particulière des vieux murs dégradés, est une manière d’être ; un rideau qu’on écarte pour découvrir par hasard une ambiance saisissante, d’un réalisme transcendant : c’est pourquoi, dans sa démarche, ni effets spéciaux, ni bâtisses sophistiquées : chaque œuvre ne "peut" évoquer qu’un endroit ou un sujet ordinaires.
Auxquels il faut ajouter, bien sûr, le talent de Patrick Bezzolato. Poursuivi par les fantômes qui peuplent ces vieux quartiers où parvient à peine la rumeur de "la ville", il sait jouer des contrastes entre les ombres et les friselis de lumière gouttant à travers les feuilles "Neuve de Garonne", à Bercy lorsque vivaient encore les entrepôts si pittoresques, "Pont de Tolbiac"...) ; saisir l’opposition entre les masses ombreuses des toits des matins naissants et l’éclat des ciels tourmentés, ou l’alternance des grandes flaques de lumière et des noirs aveuglants sur des perspectives d’encadrements de portes cochères aujourd’hui effondrées ("Rue de l’Yonne", à Bercy, "Rue de Lappe"...) ; sentir derrière l’humour d’un nom de rue ("Rue des Partants") et d’un pochoir appliqué par quelque artiste anonyme, la gravité et la poésie mourante du commentaire : "Ne cassez pas nos maisons" ; montrer, envahies de chats, des sentes mystérieuses coulées sous les arbres, tandis qu’au fond, une vieille église surplombe les frondaisons ("Cour Louis Proust" ; "Villa des Boers"... ) ; créer un suspense à la Léo Mallet en saisissant l’amorce d’un passage étroit dont l’ombre donne le frisson ("Rue des Ursins" ; "Rue Arthur Rozier"... ) ; s’extasier ou s’attendrir sur les milliers de fleurs d’un rosier anachronique s’opposant, à l’angle de deux rues, au réalisme strict d’une "Cordonnerie" ("Passage de la Duée") ; etc.
C’est grâce à pareille complicité entre l’homme et les paysages, que les oeuvres de Patrick Bezzolato sont sans âge ( pour cette raison, il n’oublie jamais d’en préciser la date) : il a en somme trouvé la clé d’un Paris de l’imaginaire, intemporel, éternel mais sans arrêt menacé, paradoxalement réaliste et onirique. C’est pourquoi chacune de ses photographies suscite chez le spectateur la tristesse inconsciente éprouvée en tous lieux par les témoins des beautés de mondes finissants.
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2001.