MEMOIRE, ART ET TRADITION DANS L'ŒUVRE DE JEAN-CHRISTOPHE HUMBERT, sculpteur 

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Vers monstrueux, flagelles, vermiculures...
Vers monstrueux, flagelles, vermiculures...

Quel visiteur ne s'interroge sur l'origine, chez Jean-Christophe Humbert, de cette passion des assemblages qu'il réalise depuis si longtemps, à base de bois, écorces, objets métalliques, colle, papier, "planches de dictionnaire sur les plantes, squelettes d’animaux préhistoriques, insectes, fossiles"( ²), etc. ? Inutile de se poser des questions ! C'était tout simplement inscrit dans ses gênes : Bien avant sa naissance, il a baigné dans le milieu de récupération, accumulation, collages, collection… qui ont été depuis des décennies le quotidien de sa famille. Et comme disait sa mère à propos des tableaux de son père : "Nous avons besoin de vivre avec eux, de les apprendre, de les comprendre avant de les transmettre”. 


Pour les parents comme pour l'héritier de cette fièvre récupératrice, deux choses ont toujours été essentielles : D'abord, réaliser des œuvres, ce qui semblait ou semble participer de leur respiration tant la création (était) est présente dans leur ordinaire.  Chacun a organisé ou organise son chaos. Un chaos réfléchi, pour Jean-Christophe car si ses créations peuvent, au départ, sembler hétérogènes, jamais elles ne tombent dans le surcroît. Profusion mais pas abus, voilà son maître mot et celui de toute la tribu !  Pour ce faire, il leur (fallait), il leur faut récolter sans cesse des objets rejetés par d'autres… Se baisser souvent "pour ramasser des choses qui étaient par terre et sur lesquelles on allait marcher avec indifférence” ; car “La connaissance du passé n’a de sens que si elle permet à un véritable savoir de se perpétuer.” (¹) 

Et puis, savoir œuvrer pour leur insuffler une nouvelle vie chargée de sens, en laissant chaque fois en évidence la trace du passage du temps !

Jean-Christophe Humbert entomologiste crée des insectes géants
Jean-Christophe Humbert entomologiste crée des insectes géants

Aucun hasard, dans le cheminement de Jean-Christophe Humbert : le nœud du bois, l'entrelacs d'un fil de fer, la cassure d'une chaîne… déterminent le sens du travail et la destination de ce fragment. Peut-être pourrait-il en rester au stade de l'objet brut, l'utiliser tel quel  ? Mais alors, entre en jeu le sculpteur qui travaille, torture tous ces matériaux, les imbrique, les indente, les remodèle… les "intègre" si complètement à la trouvaille originelle, que les éléments disparates forment bientôt un tout en complète harmonie. Puis, intervient le peintre. Un réseau inextricable de lianes enchevêtrées, de taches, de plages… (à l'encre ? à la peinture ?) couvre alors le support. Enfin, survient le coloriste. Celui qui assure la parfaite unité de l'ensemble : Car, hormis quelques œuvres présentant un passage bleu outremer, les couleurs sont "celles de la terre autour de chez (lui). C'est une terre à glaise, puisqu'il s'agit de la Puisaye, d'ocre jaune, rouge. Et puis, (il) fabrique (sa) peinture à partir de pigments qu'(il) mélange avec du sable, avec un liant de cire…"(²). De sorte qu'à la fin, chaque partie de ces œuvres est devenue possession de l'artiste. Car il s'agit bien d'une prise de possession, une sorte de voyage initiatique vers un "dit" personnel. 

Deux oratoires
Deux oratoires

Personnel, ce "dit" l'est incontestablement ! Car il ne faudrait pas croire que le travail "physique" effectué sur les apports, ne vise qu'à créer des œuvres décoratives ! Bien au contraire : Elles racontent "l’histoire des hommes, l’origine, la maternité, l’enfantement, le couple, la famille. Et ce monde habité, à la croisée de plusieurs chemins, est plein de souvenirs d’enfance…" (²). Tandis que tous ces symbolismes témoignent de l'infinie culture et du savoir-exprimer de Jean-Christophe Humbert.

La culture qui, au sens littéral le fait profiter, comme il l'a exprimé ci-dessus, du milieu rural de la Puisaye. Mais cette relation à la terre qui l'entoure fait de lui tantôt un entomologiste créant des insectes humanoïdes géants… tantôt un zoologue clonant des sortes de vers monstrueux, flagelles, vermiculures, anatomies humaines ou animales… tantôt un botaniste étudiant des plantes bizarres, etc. 

Mais aussi la culture au sens littéraire qui lui fait dresser au pied de quelque pilier gothique, des oratoires de cuivres vert-de-grisés, parfois aux portes nues à peine ornées de clefs vétustes, au fond recouvert d'une telle profusion de racines entrelacées qu'il est difficile d'y "voir" une crosse pontificale, quelque minuscule reliquaire … D'autres fois, au contraire, il sera austère, facetté par quelque dinandier, parsemé de spirales fildefériques ; aux portes ornées d'un personnage masculin ou féminin… tous ces choix laissant le visiteur perplexe, curieux de comprendre comment ces éléments éminemment païens peuvent parvenir à une connotation si évidemment religieuse ? 

Hathor, déesse égyptienne
Hathor, déesse égyptienne

Culture historique, aussi, archéologique peut-être, l'amenant, par exemple, à mettre en scène dans son mastaba, Hathor la déesse égyptienne de l'amour, la beauté, la musique, la joie et la maternité.

Ce qui, par enchaînement logique l'amène à la psychologie vibrante dans ses œuvres ; aux émotions fortes ressenties lors des grossesses de sa femme et la naissance de ses enfants. Qu'il a combinées au sentiment que notre monde actuel espionne, envahit, scanne chacun de nous : D'où une récurrence dans la plupart de ses œuvres, d'intestins lovés, toronnés dans des poches ventrales hyperréalistes. Et d'où, subséquemment, le sentiment pour le spectateur d'une création tripale, bordant le morbide ! 

Duocephalus et Triocephalus
Duocephalus et Triocephalus

Il est une autre récurrence, dans l'œuvre de Jean-Christophe Humbert : la dualité des formes et des personnages. Dualité qui se découvre en deux temps : De loin, le spectateur se dit :"Tiens, il a mis côte à côte une tête humaine et une tête de cheval !" Et de broder, peut-être, sur les influences rurales déjà évoquées, de Jean-Christophe Humbert ?  Jusqu'à se rendre compte qu'il est totalement dans l'erreur ! Car, s'approchant, il réalise qu'il a en face de lui deux bustes, prenant appui sur deux tronçons de cuisses, qui s'épanouissent en deux fesses symétriques, à partir desquelles sinuent deux colonnes vertébrales terminées par deux têtes similaires hors du cadre. Remontant ce ventre-à-ventre qui peu à peu s'évase, l'œil franchit deux "intérieurs" anatomiques de poches cellulaires, œsophages, cœurs, etc. et parvient à deux seins sur l'un des protagonistes ! Logiquement, il redescend et découvre sur l'autre ce qui avait échappé à sa vigilance… un minuscule phallus pendant piteusement ! Et, par jeu sans doute, pour bien insister sur l'idée de dualité, l'artiste ajoute un titre, "Duocephalus", qui fait donc redondance avec le tableau, le préfixe "duo" confirmant –s'il en était besoin- que les deux "personnages" sont bien interdépendants ! Bizarrement, "Triocephalus" qui constitue la "tête humaine" est conçu sur le même principe, mais totalement inversé ! Les deux colonnes vertébrales s'évasent pour servir de support à un sternum plus vrai que vrai, lequel porte une tête médiane, de sorte que le "duo" est bien devenu "trio" ! 

Pour aller encore plus loin dans l'idée de dualité, Jean-Christophe Humbert sculpte et peint ses têtes similaires. (Mise à part la médiane du trio qui, avec son allure de forban ne semble pas symboliser la paix des ménages !). De sorte que le visiteur pense d'emblée au dieu Janus ; et, sauf en de rares occasions où elles sont espacées, il peut sans contresens affirmer que celles qui se touchent sont  toutes janiformes ! 

Récurrence d'intestins lovés...
Récurrence d'intestins lovés...

Enfin, pour terminer sur l'idée de liberté liée à l'artiste, il faut en venir aux formats de ses œuvres. Certes, il a utilisé naguère les traditionnels carrés ou rectangles. Mais il semble bien que, désormais, il s'en soit dégagé, et vagabonde en des œuvres ovales, ovales-pointues, voire carrément asymétriques, informelles… Les unes accrochées aux cimaises, les autres devenues totems parce que perchées sur des branchages. Au gré de ses humeurs, peut-être ? 


Ainsi, grâce à son indéniable talent, Jean-Christophe Humbert est-il le maître d'œuvre d'un univers puissamment narratif. Qui le situe en marge des grands courants contemporains, dans une dissidence prévenant toute classification. Qui le pousse à agir résolument dans le prolongement des œuvres familiales, tout en se voulant "ailleurs", non plus dans la tradition, mais dans la modernité. Tandis que, pour le visiteur qui, au cours de son périple et au gré de sa subjectivité a tour à tour aimé/questionné/acquiescé/dénié ce qu'il avait devant lui… les points d'exclamation et de perplexité demeurent majuscules Mais n'est-ce pas l'apanage de toutes les œuvres puissantes, qu'elles ne se laissent jamais tout à fait pénétrer ?

Jeanine Rivais

Janvier 2015.

 (¹) Raymond Humbert.

(²) : Jean-Christophe Humbert :  Voir ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS. NOTTONVILLE 2007.

Totem
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