Dans des tonalités voisines de très haut niveau artistique, trois artistes proposent au public de la société Volvo de Gand, des "sujets très différents : Jean-Pierre Stora "Beaubourg", André Maigret "La femme", Jocelyne Deblaere "Les prêtres".

          JEAN-PIERRE STORA peint parfois des ports aux heures glauques où seule subsiste dans la pénombre ou le contre-jour, la géométrie d'horizons dépourvus de vie. Mais il excelle dans la peinture de foules : Depuis qu'un jour, il a, du haut de Beaubourg, repéré un (tout petit) cercle de badauds autour d'un bateleur, ont fleuri sur ses toiles des multitudes de minuscules personnages ! Un microcosme grouillant d'"individus" groupés mathématiquement, défilant en parfaits losanges ou convergeant vers un point invisible. La minutie descriptive de ces agglomérats est telle qu'elle est lisible de fort loin, qu'elle crée à la fois une notion d'espace aérien et d'espace au sol ; l'impression qu'entre le sol et l'œil, il y a du vide et une perspective éthérée. Ces "vues", traitées en panoramique et en plongée comme le cinéma hollywoodien, sont peintes en couleurs douces, deux au plus par œuvre, avec toujours les nuances de ces deux couleurs ; et, disséminées, faisant chanter les autres, d'infiniment petites touches de rouge vif. 

Fourmillante de vie, vibrante de couleurs, cette œuvre est structurée comme une ruche ou une fourmilière dont la géométrie et la stricte ordonnance conditionneraient l'harmonie. 

 

"Je me trouvais en agréable société. En face de moi, assise, était Vénus… Elle était blottie dans un fauteuil". Cette phrase de Sacher Masoch décrit la femme que, depuis des années, ANDRE MAIGRET s'obstine à conquérir sur sa toile. L'artiste peint des boudoirs, lieux clos sur une intimité à la fois lascive et grave. Les mimiques souriantes et désabusées de ses hétaïres semblent le reflet des humeurs du (peintre ?) de (l'amant ?) toujours hors champ. Mais tout se passe comme si l'œil ou la main invisibles caressaient une cuisse, s'arrondissaient sur une hanche, suivaient l'aréole d'un sein coquettement tendu : Cette présence devinée, sans réalité physique, rend celle de la femme de la toile d'autant plus vivante.  Et la complicité, l'intimité de la scène sont accentuée par les tons de peintures gris-bleuté, par le travail du crayon qui souligne à petits traits fins, les plus d'une fourrure jetée sur le bras d'un fauteuil, les contours d'un pied replié sous le corps, l'orbe de lumière tamisée qui rosit une épaule…

Parfois, deux ou trois fores féminines enlacées, ensommeillées, comme repues de plaisir, laissent penser que le protagoniste incognito, enfin parvenu au terme de ses fantasmes, va poser son pinceau pour se reposer à son tour ! 

 

          Le moraliste affirmant que l'habit ne fait pas le moine n'avait pas assisté au "Défilé de prêtres à porter" de Jocelyne Deblaere ! D'étranges prêtres, en vérité, non pas guindés comme ceux du célèbre défilé de Fellini, mais véritables curés de Cucugnan, gros, gras, joviaux, ironiques ou bon-enfant, se balançant mollement au bout de fines tiges d'acier ! 

Retour aux sources de cette artiste d'origine belge qui, après de nombreuses années passées à envelopper dans des bandelettes des sous-structures métalliques très sophistiquées, pour créer de sombres bien que très esthétiques personnages tournés vers la terre, la sculptrice explose littéralement dans une série truculente (conçue pour l'exposition de Gand) de dérisoires prélats coiffés de tiares tout à fait folles ; à la fois attendrissants par leur joie de vivre et choquants par leur laideur très breughélienne 

Pour Jocelyne Deblaere, le changement de lieu a généré le changement de sigle ; confinée au début de sa carrière dans une petite pièce sous les toits de sa maison, il semble que la conscience d'être cernée par des murs très proches, l'ait amenée à créer des personnages qui reproduisaient son enfermement : toujours en contact du sol, bleus ou ocres sombres. Aujourd'hui, installée dans un bel atelier au milieu des arbres de son jardin, de nouvelles matières comme la poudre de marbre ou la pierre-line ont donné naissance è une sculpture monumentale destinée à orner un immeuble actuellement en construction ; et à ces prêtres burinés, patinés, gris-bleu ou blanc rosâtre, dont chaque "pièce unique" porte sur son visage épanoui le propre épanouissement de sa créatrice !

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1994. ET PUBLIE DANS LE N° 38 DE JUIN 1994 DE LA REVUE IDEART.

 

 VOIR AUSSI : 

DEBLAERE JOCELYNE : http://jeaninerivais.jimdo.com/ : ENTRETIEN ET DISCUSSION A TROIS : Les Cahiers de la Peinture N°275 et 276 de 1992. Art contemporain. Texte "DE L'ENFERMEMENT A L'EPANOUISSEMENT" ART CONTEMPORAIN. Texte "LE PRINTEMPS DE GAND" ART CONTEMPORAIN.

 

STORA JEAN-PIERRE : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : CAHIERS DE LA PEINTURE N° 274 DU PRINTEMPS 1992. Et TEXTE "LA FRESQUE PEDAGOGIQUE DE JEAN-PIERRE STORA" : N° 38 IDEART JUIN/AOUT 1994. Et aussi : "NECROLOGIE" : IDEART N° 50 DECEMBRE 1996/JANVIER 1997. Tous textes regroupés :  Site : http://jeaninerivais.fr RUBRIQUE RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S) " LE PRINTEMPS DE GAND" : RUBRIQUE RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S)