LES “MATER DOLOROSA” DE SYLVIA KATUSZEWSKI, sculpteur

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"Je suis née de la cendre", dit l’artiste, parlant de ses origines persécutées, de ses racines coupées. Et il lui a fallu beaucoup de talent pour créer symboliquement avec de la terre, ses sculptures féminimorphes, blanches ou polychromes, susceptibles de conjurer ses incertitudes ; sorte de lignée personnelle dans laquelle elle exprime ses difficultés existentielles et ses paradoxes.

Ainsi, chaque réalisation est-elle un hymne à la vie, à la perpétuation de la vie, “Maternité” à la fois reliquaire et relique. Mais la mère est toujours une “Mater dolorosa”, visage crispé, bouche béante sur un cri muet, grands yeux tristes et apeurés, souvent creux, d’où coulent de grosses larmes ; tandis que “la relique” est un enfant aux traits imprécis, qu’elle tient dans ses bras, sur son sein ou devant elle, en un geste sacramental de consécration. Parfois, l’enfant devient fleur ou oiseau, mais l’attitude ambivalente demeure, d’amour exclusif ou de fierté, protection ou offrande.

Les cheveux nimbant de lumière les visages douloureux, les voiles brodés ou les tiares ornant les têtes apportent à ces mères une connotation virginale. Mais elles sont flanquées d’improbables ailes-corolles qui sèment la perplexité et introduisent un soupçon d’humour : les créatures de Sylvia seraient-elle finalement des anges ? S’il en est ainsi, elle les veut “féminines”, qui plus est en âge de procréer !

Paradoxe subséquent, l’absence de ventres, remplacés par des niches-frontispices dans lesquelles la femme-châsse blottit son enfant. Seuls, sont “physiquement” élaborés les bustes galbés, en une unique ligne, expressive sans être réaliste, tandis que le bas des corps est vaguement enjuponné, plus souvent informel, voire inexistant, comme si l’idée de sexe n’effleurait même pas l’artiste. Paradoxe enfin, l’élégante sobriété des sculptures blanc-nacré, par rapport au foisonnement baroque des oeuvres polychromes guillochées, indentées, rebrodées d’oiseaux et gravelées de fleurs !

Corollaires de son amour de la vie, et antithèses des souffrances et des angoisses exprimées par les visages, la fleur et l’oiseau sont en effet omniprésents dans l’oeuvre de Sylvia ; liés à de possibles souvenirs d’enfance, de paradis terrestres explorés dans un jardin, de sécurités récurrentes qui l’amènent à renoncer à “la niche” où elle abritait l’enfant, pour investir un nouveau mythe : celui de “la grotte”. Car, pour la première fois, apparaît un décor ; et, dans son monde pictural sans homme, surgit enfin l’idée du couple (sans que pour autant l’enfant quitte le sein de sa mère).

Néanmoins, ce couple est installé “devant” la grotte et non dedans, comme incertain de posséder ce refuge ; et seule la forme ovoïde des sculptures les plus récentes permet de penser que la créatrice parvient peu à peu au bout de sa quête, qu’elle s’est construit avec son oeuvre attachante et puissamment psychologique, un havre de paix, même si les antennes-gargouilles qui le flanquent garderont longtemps encore à sa démarche, son caractère dubitatif.

                                                           Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 58 DE SEPTEMBRE 1996 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA ET DANS LE N° 47 DE NOVEMBRE 2002 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.