LES MASQUES DRAMATIQUES DE JEAN-JACQUES BAILLY

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          “Au commencement était le Verbe...”, cite Jean-Jacques Bailly. Et, depuis qu’il a commencé à sculpter, il poursuit une démarche très littéraire amorcée avec ses peintures : il pose ses “têtes” sur des socles cubiques dont toutes les faces sont porteuses d’une longue litanie d’extraits du Cantique des Cantiques. Ce message d’amour, le plus extraordinaire jamais écrit, est devenu la référence essentielle de l’artiste, pour la compréhension d’une éthique personnelle qu’il s’est forgée depuis l’enfance, et qui le pousse à “être vivant harmonieusement sur cette terre”.

          Pourtant, de l’amour, il n’y en a guère, en apparence du moins, sur ses masques de terre, à mi-chemin entre moulages funéraires et faciès de ces grotesques jadis exhibés dans les fêtes foraines ! Visages difformes, aux symétries détruites comme par quelque accident, aux gros nez épatés, fendus au bout ; fronts aux proéminences générées par des sortes de bourrelets de chairs violacées ; mentons couturés. Visages effrayants, mais beaux finalement de toute cette laideur ; un peu pitoyables à cause des yeux d’un bleu intense, fixés sous les paupières lourdes, nul ne sait vers quel horizon. Pas de cheveux, par contre, dissimulés sous des capuchons informes dont la doublure colle aux joues glabres, tels les bandeaux que portaient naguère sous leurs cornettes, les religieuses. D’ailleurs, partent de ces coiffes disgracieuses, des lanières, barrant les figures comme des muselières ! Et, s’il est, en ces mornes visages, une tentative de vie, elle naît à l’encontre de ces brides sans doute destinées à priver de parole les bouches aux lèvres tuméfiées autour de dents plantées de guingois, gâtées et sanguinolentes. Car, en un dérisoire sursaut de défi ou de révolte, nombre de ces bouches tirent la langue !

          Visages intemporels, masques de tous les âges, sans aucune définition sociale, à la fois fantasmes et obsessions d’une sombre réalité ; bâillonnés ou transgressant l’imposition du silence, reflétant peut-être les états d’âme ou les angoisses de l’artiste ? Conçus, en tout cas, à l’image de la vie, dans cette zone d’ombre un peu mythique, entre deux états aux frontières mal définies, de la condition humaine !

          Alors, contradictoire, l’oeuvre de Jean-Jacques Bailly ? Paradoxe entre ce message d’amour omniprésent, long chant poétique et imagé, relié à toutes les cultures du monde ; et ces visages mal-aimés, symboles de souffrances infinies, mais empêchés de parler ? Sur ce dernier point, aucun doute n’est possible. Mais il est pourtant, de l’un aux autres, un indéniable lien : lyrisme ou silence, liberté ou carcan, la recherche de l’absolu ! 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN DECEMBRE 1999.