ENSOR : L'entrée d'Ensor à Londres
ENSOR : L'entrée d'Ensor à Londres

          Cette exposition remet en mémoire l'intense activité artistique qui régna en Belgique à la fin du XIXe siècle. Y sont présentées quatre-vingts œuvres triées dur le volet, illustrant la démarche des trente plus prestigieux artistes de cette époque, dont Ensor. 

Au cours des dernières décennies du XIXe siècle, la Belgique, soucieuse d'affirmer son identité nationale récemment acquise (1830), connut une véritable évolution sociale, économique, politique, parallèlement à de profonds changements dans toutes les formes d'arts. La proximité des avant-gardes européennes ; des lois libérales sur la presse ; l'intime conviction des artistes que l'art joue un rôle social capital, furent à l'origine d'une série de manifestations moins rigides, plus folles même, que partout ailleurs en Europe, le point commun à tous ces artistes, étant leur volonté d'échapper à l'académisme pictural. Certains, désireux néanmoins de rester fidèles à la tradition flamande, (à Rubens notamment), transposèrent de façon très personnelle l'Impressionnisme français. D'autres, peintres et écrivains, en vinrent à créer diverses formes de Symbolisme. 

En 1883, apparurent à Anvers et à Bruxelles, deux groupes "contestataires" : le groupe d'Anvers se nomma A.I.K.(¹). Il comprenait notamment Henri Van de Velde et Charles Mertens. Son pendant bruxellois s'intitula XX (²) : les principaux fondateurs en furent Khnopff, Ensor et Van Rysselberghe. Tous plongèrent dans les rêves, la sexualité, la littérature et la musique, pour produire dans des styles tout à fait nouveaux, des œuvres allant de natures mortes aux portraits et aux paysages. L'impact de leur mouvement s'accrut du fait qu'ils ouvrirent leurs portes à des artistes étrangers (Seurat, Gauguin, Cézanne, Toulouse-Lautrec, Whistler…), à des écrivains et des poètes (Maeterlinck, Mallarmé…). Les XX se quittèrent, et sous l'impulsion d'octave Maus, certains d'entre eux créèrent la LIBRE ESTHETIQUE qui devait disparaître en 1914. 

 

ROPS FELICIEN  : Neige à Thosée
ROPS FELICIEN : Neige à Thosée

L'exposition londonienne est présentée en trois salles : Cette concentration permet de constater à quel point les différences entre les artistes correspondirent à leur définitions ; combien leur évolution esthétique , leurs approches de la vie et de la lumière, furent antithétiques : franchir la porte du réalisme pictural et social (Ensor, Rops), pour retrouver le luminisme et le Néo-impressionnisme, c'est passer des gris-noirs aux bleus-rouges, de l'enfer rural et industriel de Constantin Meunier à la joie de vivre d'Alfred-William Finch, Georges Lemmen, Emile Claus, ou Guillaume Van Strydonck…

KHNOPFF
KHNOPFF

          C'est en même temps suivre avec étonnement les arcanes de la création de tel ou tel artiste, Ensor notamment : "Nature morte aux légumes, "Enfants à la toilette", "Nuage blanc", colorés, clairs, presque optimistes, ne laissant en rien présager "L'entrée du Christ à Bruxelles" ; mais dans le même temps, presque la même année, "Squelettes en train de se chauffer", "Femmes de pêcheurs mélancoliques" dans lequel trois crânes à la fenêtre, crient : "A mort, elles ont mangé trop de poissons", prouvant que l'artiste a déjà fait une incursion dans son monde masques et de squelettes ! 

VOGELS : Orage
VOGELS : Orage

      Apparaissent enfin clairement les influences jouées ("Neige à Thozée" de Félicien Rops annonce l'Expressionnisme) ; les influences reçues ("Orage" de Guillaume Vogels aurait pu être peint par Whistler)… Et bien sûr les cimaises de la deuxième salle portent témoignage que l'Impressionnisme français est passé par là !

De l'une à l'autre salles, le visiteur est confronté à un travail sur la lumière (Khnopff, Mertens…) ; à des contre-jours impressionnants (Mellery, Le Brun…) ; à des émotions exacerbées (Meunier, Larock, Deville, Minne…) ; à une poésie des plus délicates (Khnopff ; la poésie de Mallarmé "En écoutant les fleurs") ; à un humour des plus macabres (Ensor) : à un compte-rendu des plus virulents sur la misère populaire (Van Lemputten, Meunier…).

Une très pédagogique, très "historique" et très belle exposition A voir absolument par toute personne visitant A espérer voir dans un proche avenir en France. 

Jeanine RIVAIS

 

(¹) A.I.K. : Als Ik kan (comme je peux).

(²) les XX : Les Vingt.

ROYAL ACADEMY OF ARTS LONDRES

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1994.