EMMA ASH A LA VIE, A L'AMOUR, A LA MORT

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Emma Ash appartient à ces artistes pour qui créer est une question de survie. Chacune de ses peintures est un rappel que trois mots accompagnent cette pérégrination artistique : "La Vie, l'Amour, la Mort". Et comme sa "vraie" vie n'a pas été un long fleuve tranquille, chaque œuvre est un témoignage plus ou moins brûlant de réminiscences personnelles, de détails encore à vif ; mais "résumé" avec tellement de talent qu'il en devient universel ! 

Chacun sait que l'arbre est le symbole de ce que tout humain possède en lui et qu'il donne à la vie. L'arbre est omniprésent dans l'œuvre d'Emma Ash. Mais paradoxalement toujours dépourvu de feuilles, comme si c'était toujours l'hiver dans son monde ; donc plutôt que la vie existante, l'espérance du retour à la vie ! Si important dans l'esprit de l'artiste qu'elle peint parfois "la femme arbre", celle-ci étant le tronc, à la fois humaine et végétale ! D'autres fois, elle en est si proche qu'il est difficile de déterminer le point d'attache entre les deux. Ou bien, elle danse sous les ramures de l'arbre, rendant hommage, peut-être, à sa toute puissance ? D'ailleurs, il est à remarquer que seule la femme possède cette proximité avec l'arbre, comme pour en prendre la longévité, ou peut-être parce que comme lui, elle est capable de se courber dans la tempête et de résister sans se rompre, percevoir l'énergie qui monte et descend entre les racines et la cime. De plus, la verticalité aérienne et souterraine de l'arbre -et peut-être est-ce, pour la créatrice, sa façon d'exprimer son côté mystique- ne symbolise-t-elle pas l'élévation vers le ciel et la descente aux enfers ?

 

          Quant à l'amour, il est TOUJOURS là, dans chaque œuvre ! Tantôt exprimé par la fusion d'un personnage/animal/démiurge aux yeux perçants en une telle osmose qu'il est impossible de déterminer les limites de chacun. 

          Tantôt, plus proche du quotidien, elle célèbre le couple. Et il semble que, plutôt que l'érotisme, Emma Ash cherche à montrer la tendresse, l'intimité, la complicité. Amoureux se bécotant ; couple nu, assis face à face, jambes entrelacées, peint dans une sorte de bulle/paysage : seul au monde ! Ou bien, en un immense quadriptyque, deux amants allongés côte à côte, détendus, les seins de la femme dardés et ses cuisses puissantes écartées témoignant qu'elle s'offre à l'homme.  Il y a de l'émotion et de la vérité dans ces œuvres fortes, portant en elles une vraie fulgurance, l'artiste jouant avec les matières et les corps pour en renforcer le dynamisme. 

Tantôt encore, cet amour est celui de la famille (qu'elle peint nombreuse), les enfants entourant leurs parents, dans une harmonie, une ambiance douce d'entente, de calme et de rêverie. Cette partie de l'œuvre d'Emma Ash est sans doute la plus autobiographique, surtout lorsqu'elle se peint portant sur ses épaules son enfant la sucette à la bouche ; ou cet "Autoportrait" où elle se retrouve assise dans un angle du tableau, son fils peint aux différents âges de son enfance, comme si chaque bulle où il se trouve, sortait du ventre de sa mère pour se répandre dans l'espace : à la fois près et hors d'elle  ! 

Ces différents aperçus de l'Amour vu par Emma Ash sont sa façon bien à elle d'explorer, célébrer le corps humain, peindre sa beauté intrinsèque et capturer une personnalité, tout en rappelant chaque fois que la femme est celle qui accompagne mais aussi celle qui crée : la femme, source de vie, en somme. En un univers poétique et fascinant, riche de symboles !  

 

 

          Et la mort ! Jamais "présente" picturalement dans l'œuvre d'Emma Ash. Mais comme elle lui a souvent été confrontée, elle est là, en sourdine, subrepticement ! Et pourtant,  il n'y a jamais de violence dans cette œuvre où l'artiste applique, semble-t-il, ce que le sociologue Norbert Elias nommait "un déni de la mort", "la mort interdite". Mais elle sait donner à ses images l'art de prendre le relais, suggérer l'idée de la mort : Elle a effectué un lent processus de mûrissage pour adapter son expérience personnelle, et la traduit par de multiples contours ténus de silhouettes désincarnées, devenues presque immatérielles, réduites à un trait, une tête sombre, un cou tendu… Ce faisant, elle "sait" que de toutes façons,  l’œuvre d’art est sensée dans notre culture donner l’immortalité et sera un moyen privilégié de permettre sa survie, de conjurer sa propre mort. Que la mort, comme l'affirme Yves Bonnefoy, "pour autant qu’elle fut pensée, depuis les Grecs, (…) n’est qu’une idée". Au contraire, la peinture est "présence" sensible.  Loin de dissiper ou d’expliquer les mystères de la mort, elle fixe sur la toile les sentiments mêlés que ce passage inspire aux vivants : effroi ou dérision, répulsion ou attirance, regret de ce qui est ôté ou curiosité de ce qui est promis. La peinture, en mobilisant les moyens graphiques et chromatiques propres à son art, donne une existence plastique au mystère, elle rend visible l’invisible. 

          Enfin, pour représenter l’irreprésentable, faire œuvre d’art face à une telle réalité, occulter le souvenir de cette expérience, elle donne une omniprésence à la chouette qu'elle considère comme un esprit de la forêt (rappelons que l'arbre est dans la majorité de ses œuvres) ; qu'elle symbolise la mort et le renouveau, la sagesse, la magie de la lune et les initiations, l'aidant de ce fait à exprimer tous ses questionnements face à sa toile et à sa vie. Ainsi, l’art et la mort qui ont  partie liée depuis la nuit des temps se conjuguent-ils dans l'œuvre d'Emma Ash pour traduire ses espérances et ses peurs ! 

 

           "La Vie, l'Amour, la Mort", donc. Comment l'artiste exprime-t-elle ces sentiments si forts dans ses œuvres ? Elle "sait" installer ses scènes, ses personnages devant ce qui pourrait être des paysages ? Mais le paysage chez Emma Ash est toujours indéfini, mélange sylvestre, enlacements de lianes, à la fois isolant l'homme, la femme et son enfant, les protégeant, peut-être ?  En fait, l'architecture et la végétation se referment sur eux, au premier plan, renforçant à la fois l'aspect théâtral et la profondeur de champ. 

          Et puis le choix des couleurs, le sens de leur harmonie instinctif et inné l'amenant à choisir des teintes douces toujours remarquablement complémentaires, allant des beiges presque blancs aux ocres foncés ; ou des nuances de bleus devenus sous son pinceau couleurs chaudes ! 

          Et puis le travail de la lumière, faisant jouer les unes par rapport aux autres les couleurs nettes ou transparentes ; les formes et les empreintes, etc. et  qui, placées de manière intuitive sont imprégnées de sa personnalité, de son état du moment, de sa sensibilité. A tel point que cette quête de la lumière la plonge parfois dans un état particulier, un mode créatif qui, lui faisant oublier la réalité, la rend encore plus inventive. 

       Une œuvre témoignant d'un grand talent. D'une créativité, d'une subtilité attachante. célébrant la vie pour en chercher le sens ; célébrant l'amour parce que ce sentiment est celui qui traduit et suscite le plus l'émotion ; célébrant la mort, parce qu'Emma Ash étant une visionnaire sait qu'elle-même est vouée à l'au-delà, mais que son œuvre sera assurément pérenne ! 

Jeanine RIVAIS

MARS 2017

 

Récemment, Emma Ash en est venue à des couleurs plus vives. Attendons !
Récemment, Emma Ash en est venue à des couleurs plus vives. Attendons !