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LE BESTIAIRE D’ANDRE MASSON, peintre.

(1896-1987)

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            André Masson est né dans une famille de  paysans, le 4 janvier 1896 à Balagny-sur-Thérain, petit village de l’Oise. Dès l’enfance passée à Bruxelles, où il devient apprenti-dessinateur de broderies et fréquente le soir l’Académie des Beaux-Arts, il se passionne pour le dessin. En 1912, il s’installe à Paris. Pendant la Première Guerre mondiale, il est grièvement blessé au Chemin des Dames. D’où une répulsion pour la guerre qui durera toute sa vie. En 1922, il fait la connaissance de Kahnweiler qui lui achète des œuvres, ce qui lui permet désormais de se consacrer uniquement à la peinture. En 1923, l’artiste « qui se considérait comme un surréaliste de naissance » (1), fait connaissance avec ce mouvement, par l’intermédiaire d’Antonin Artaud, Georges Limbour, Michel Leiris. Et André Breton qui lui achète immédiatement « Les quatre éléments». L’année suivante, il rencontre Georges Bataille avec qui il se lie d’amitié, et dont il illustrera plusieurs ouvrages. Il fait un temps partie du groupe surréaliste, participe aux expériences d’écriture automatique avec des « tableaux de sable ». Mais son adhésion est jalonnée de ruptures et de réconciliations, et il quitte ce mouvement, tout en continuant à participer aux expositions. Il fait de nombreux portraits à l’encre de Chine. En 1928, il réalise sa première sculpture, « Métamorphose », et à partir de 1931, une série de toiles sur le thème des « Massacres ».

            Fasciné par l’Espagne et ses paysages, il y réside de 1933 à 1936. Obsédé depuis toujours par les éléments, observateur de la nature, fidèle à ses racines paysannes, il visite à pied l’Andalousie et la Castille. Revenu en France en 1937, il crée « les Villes » et les « Portraits imaginaires ». 

            En 1940, pour échapper à la guerre, il s’exile avec d’autres peintres surréalistes, aux Etats-Unis où il séjourne jusqu’en 1945. Pendant ces années, sa peinture, d’une grande gestuelle, exerce une influence déterminante sur les jeunes expressionnistes abstraits américains de  l’« Action Painting », en particulier Jackson Pollock.

Rentré en France, il se tourne vers des peintres comme Renoir, et connaît une période d’apaisement dont son oeuvre est le reflet. Cette période de paix mentale se prolonge après son déménagement près d’Aix-en-Provence. Jusqu’à ce qu’elle commence à lui peser, et qu’il se jette dans les paysages abrupts des Alpes, ramenant le tragique dans sa peinture car il reprend des thèmes évoqués aux Etats-Unis : la migration, l’abîme, le gouffre…

Il reçoit le Prix National des Arts en 1954 ; et, en 1965 réalise sa grande décoration pour le plafond de l’Odéon, qui  constitue son œuvre maîtresse.

Il meurt à Paris en 1987 : il a 91 ans.

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Dans le cadre de sa programmation « Un timbre-un artiste », le Musée de la Poste à Paris organise, en 2009, une exposition intitulée « LE BESTIAIRE D’ANDRE MASSON », qui réunit 150 œuvres : huiles sur toiles, aquarelles, livres illustrés, dessins et gravures, dont un cabinet dédié à son bestiaire érotique.

Dès l’origine, le monde animal est présent dans l’œuvre d’André Masson. Cette passion s’exacerbe dans la campagne espagnole où tout le fascine : insectes, taureaux de corridas, animaux terrestres ou marins, oiseaux … Il passe de longs moments à les observer, noter les détails de leurs anatomies… Puis il les met en scène : non pas comme un entomologiste ou un naturaliste, non pas comme Esope ou La Fontaine, mais en leur faisant subir d’étranges métamorphoses, de sorte qu’il expriment tour à tour, cruauté, désir, mort : détresse et plaisir, en somme. Un bestiaire où les hommes sont animalisés et les animaux humanisés ; où chacun est mi-humain, mi-végétal, mi-dieu… Dans ce contexte où même les pierres et les végétaux prennent des allures inattendues, l’artiste est lui-même en continuelle métamorphose : « la clef de l’œuvre est là : tout ce qui vit, se transforme. Rien n’est jamais achevé… » (1)

Tantôt, ces êtres se retrouvent isolés au milieu de la page, tels les « Insectes matadors », la « Rascasse »… bondissent dans un jaillissement rouge sang en essayant d’échapper aux chiens qui le dévorent, dans « La mort d’Actéon »…. Ici, se déroulent des accouplements si osmotiques qu’ils donnent l’impression d’un seul animal en boule. Là avance un « Fantôme d’âne devant Avila ». Ailleurs une « Chimère » à ailes de papillon  survole une ville, un « Pianotaure » écrase une jeune fille, un taureau emporte une femme dans sa gueule ; le Minotaure encorne Pasiphaé, etc. Car la mythologie fascine également André Masson ; le taureau, en particulier, dans ses multiples confrontations avec la mort, qu’il la subisse ou la provoque. La mythologie est pour le peintre, « le moyen d’exprimer aussi bien le marasme et l’inquiétude de l’Espagne face à la guerre civile, sa révolte, ses angoisses ; qu’un élan orgiaque à la fois destructeur et constructeur » (1) .

Sentiments qui sont aussi ceux de l’artiste, et dont témoigne l’exposition. Pour ce faire, elle s’est voulue exhaustive : Après un tableau cubiste (« Bestiaire »), un tableau automatique et « Les coqs », huile sur toile et sable, le visiteur parvient à la période espagnole proposant surtout des insectes et des scènes de tauromachie dont les titres, en s’alignant, forment une véritable litanie (« Pour le mauvais taureau », « L’entrée du taureau », « La mort du taureau », « Taureau dans l’arène », « Corrida au soleil »), etc. Par ailleurs, certains tableaux supposément « innocents » deviennent des œuvres  politiques, comme « Les Régulares » qui représente une scène de bataille, à l’avant-plan de laquelle sont assis deux personnages : l’un, un singe vêtu à l’africaine, l’autre un cochon debout, portant une sorte de costume colonial, avec une large croix sur la poitrine (des émissaires ?  des militaires ? des croisés ?) Ils sont en train de parlementer avec un individu de dos (un traître ? le vainqueur ?) et lui présentent deux bourses apparemment bien lourdes.

Puis vient la période des Etats-Unis, au cours de laquelle André Masson se perd dans la nature, les forêts, l’été indien, et il peint quelques-uns de ses chefs-d’œuvre, en particulier « Méditation sur une feuille de chêne ». C’est aussi le temps où il reprend le thème des poissons (Paysage en forme de poisson », « Poissons amoureux »… et multiplie les scènes où des animaux se livrent de féroces combats. (« La chasse à l’élan », « Serpent fascinant un oiseau », « Femme attaquée par des oiseaux »…).

Enfin, de retour en France, André Masson s’essaie à l’abstraction, ayant, lui qui avait tant influencé les peintres américains, été influencé par eux. Son bestiaire s’est assagi, montrant des « Perdrix dans la brume », des dindons, une chèvre au pis gonflé, dressée sur fond d’argiles ocrées, dans lesquelles flottent des masques animaliers…

 

L’exposition propose encore un « cabinet du bestiaire érotique ». En fait, les tableaux qui s’y trouvent ne sont guère différents de ceux qui jalonnent l’exposition. La surprise pour le visiteur vient de ce qu’il se trouve entre dessins, toiles, d’un unique thème, où les protagonistes sont au paroxysme de la violence sexuelle ou érotique : taureau engloutissant une femme,  poissons/sexes, poisson entrant dans le sexe féminin d’un personnage barbu, groupes tellement entrelacés qu’il est impossible de discerner les différents protagonistes... Brutalité à l’égale de la brutalité du monde, de sa folie. Ce qui, par contre, en fait le charme, -comme d’ailleurs celui de l’ensemble de cette manifestation- c’est l’élégance du " tracé rapide, énergique, sans remords", quels que soient le support ou la technique.

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Parce qu’il a été non seulement un excellent peintre, mais également un dessinateur et un graveur de talent, André Masson a illustré nombre d’ouvrages des écrivains les plus célèbres du XXe siècle, qui constituent la suite de l’exposition. Et parce que ses créatures s’agitent, mutent comme des acteurs sur une scène de théâtre, outre ses tableaux, gravures, lithographies satiriques, André Masson a créé les décors de nombreuses œuvres dramatiques : Morts sans sépulture* en 1945, Tête d’or* en 1959…

 

La peinture de cet artiste déborde de sensualité parfois féroce. La conception est chaotique, le chromatisme somptueux. La ligne fiévreuse, saccadée, devient si évocatrice que là où elle semblait aléatoire, apparaît une aile d’oiseau, une courbe anatomique, etc. Elle griffe en tous sens la matière picturale. Et le mouvement tourbillonnant, récurrent dans les œuvres, exprime parfaitement le tempérament passionné d’André Masson. Cette belle exposition du Musée de la poste rend bien compte de toutes les… métamorphoses de cet artiste qui tient une place de premier plan dans l’histoire de l’Art.

                                                                                              Jeanine Rivais.

Musée de la Poste : 34, Boulevard de Vaugirard, 75015 Paris. Tél : 01.42.79.24.24.  Tlj. Sauf dimanches et fériés : 10h/18h.

*Jean-Paul Sartre et Paul Claudel.

1/ Jeanine Risle.

 

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE JUIN 2009.