SERGE-DAVID ANGELOFF ET SON UNIVERS FANTASMATIQUE A L'EHPAD DE TOULOUSE

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INVITE PAR CERES FRANCO ET LES AUTORITES DIRIGEANTES DE L'EHPAD ADENIS DE LA PASTELLIERE DE TOULOUSE, L'ARTISTE A PROPOSÉ UNE EXPOSITION IMPRESSIONNANTE ET ORIGINALE.

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     Serge-David Angeloff, "(est) un enfant du pays. Il grandit à Montauban dans une famille passionnée de musique et d’art. Après avoir suivi des cours dans un collège privé, il s’oriente vers des études commerciales puis s’engage dans l’armée. Cette expérience est l’occasion pour Angeloff de découvrir le goût des voyages : il visite Paris, Rome, la Martinique. Embauché par le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) en 1983, il s’installe en Californie où il aide à la construction de maisons pour personnes défavorisées. Au cours de ces quatre années passées en Californie, il fait la connaissance d’une artiste qui l’initie à la peinture. Revient en France, s'installe dans le berceau familial" (²). Et peint. 

          Des œuvres très colorées qui, de loin, pourraient paraître gaies, mais en s'approchant le visiteur constate que tous les personnages -des humains, toujours, en couple la plupart du temps, clownesques souvent- crient. Et, dans cet univers à la fois spontané et longuement échafaudé ; conçu avec un sens aigu d’une dramaturgie picturale, l’artiste les “met en scène” côte-à-côte, enlacés, embrassés... Toujours à l'avant-plan du tableau, regardant le visiteur en off de leurs gros yeux lourdement maquillés ! Et il est alors à noter que si les têtes, sans être réalistes, sont toujours "complètes", les corps sont à peine ébauchés et s'ils sont figurés, ils disparaissent derrière de petits personnages en lévitation.

           Face à un tel parti-pris, le visiteur constate que les vêtements, quand il y en a, sont toujours atemporels. Aucun détail ne permet de situer géographiquement, socialement ou historiquement, ces êtres conçus sans souci de perspective, de proportions, de réalisme. Alors, pourquoi cette volonté de n'être ni dans le temps, ni dans l'espace ? Est-ce parce que seules, la figure humaine, les relations humaines intéressent Serge-David Angeloff ? Et peu importe le contexte dans lequel se situe l'"histoire" ? D'ailleurs, s'il faut noter l'absence d'expression des rares corps, être définitif quant à celle des visages n'est pas toujours évident. Ce qui est intuition n'est pas forcément vérité ! Peut-être, même, n'est-ce qu'une fois sur la toile, que l'artiste peut réaliser la signification de telle expression, et se rendre compte de ce que son subconscient a créé ? Comprendre qu’il a foui à travers couches sur couches de matière, avant de parvenir à une histoire qui se rapporte à lui, ou à ce qu'il pense du monde. Car aussi succincts et répétitifs soient-ils, une seule certitude, ces êtres crient, comme il est dit plus haut. Les visages exprimant la peur, la curiosité, la stupéfaction…les crânes se perdent dans des foisonnements de masques animaliers, mortuaires, etc. Ils sont longuement travaillés à grands traits du pinceau, jusqu'à assurer la fixité des regards, la décrépitude des chevelures, la chute des commissures des lèvres très rouges. Leurs expressions exacerbées se fixent sur les bouches béant sur des dents apparentes, ouvertes parfois sur des crucifixions… 

          Tout cela rendu sur des fonds conçus à minima, (les protagonistes occupant généralement presque tout l'espace) en de magnifiques tonalités, car il faut aussi parler du talent de coloriste de l'artiste qui affectionne les teintes chaudes ; et, grâce à la conjonction de couleurs pures, vives sans jamais être criardes, accentue le sentiment de grande harmonie et de charme inimitable : les bleus profonds, les pointes de rouges côtoyant les verts tendres… jouant de leurs proximités, font de ces œuvres une histoire protéiforme et néanmoins toujours la même.

          Finalement, purement fantasmatiques, grâce à son savoir-peindre, à son imaginaire qui lui permet de "dire" sans réalisme voire avec du non-dit… les personnages de Serge-David Angeloff sont, par l’éternité des sentiments qu’ils expriment ou suggèrent, par leur totale adéquation entre création, réalité et fiction, par l'harmonie qui fait se côtoyer comme une composition unique toutes les variantes de sa créativité, porteurs d’un message universel d’une poésie puissante ! La précision avec laquelle s’enchaînent scènes et motifs ; et l’effet de surprise qui résulte de leurs combinaisons ; l’unité d’inspiration qui se retrouve de tableau en tableau, ne sont que des supputations supplémentaires dans la démarche de l’artiste : L’air, en somme, de donner un “ton”, mais l’art de le faire dévier, de jouer au chat et à la souris avec le spectateur : sous la (fausse) simplicité du travail du peintre amateur, la puissante élaboration d’un grand talent ! 

Jeanine RIVAIS

 

Texte écrit en novembre 2021 après la visite faite à l'Ehpad.

TEXTE PUBLIE DANS LE NUMERO 86 HIVER 2021-22 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.