De la Corse, Maddalena Rodriguez-Antoniotti a refusé l'insularité et réagi dans une double démarche : faire connaître au monde son village et son œuvre de peintre.
Dans son village, elle a créé LE PARCOURS DU REGARD, manifestation annuelle qui draine désormais des centaines de visiteurs : Ainsi offre-t-elle des propositions alternatives à ces artistes corses qui se sentaient souvent isolés. Et, comme elle invite des plasticiens du continent, (l'an passé, Hervé di Rosa), elle ouvre à un public qui n'y avait jamais eu accès, la culture internationale. Pédagogue, elle a inclus dans son "PARCOURS…" un travail avec les élèves de l'école, impliquant de ce fait toutes les familles du village par le truchement de leurs enfants : de voûte en voûte des caves séculaires qu'elle a investies pour sa manifestation, elle offre au visiteur une gamme d'œuvres choisies sans autre apriori qu'une gamme d'œuvres d'une qualité indéniable.
Bien que ce travail "vers les autres" implique une très grande disponibilité, Maddalena Rodriguez-Antoniotti est à l'origine d'une œuvre fort curieuse : Après une période figurative, hyperréaliste où elle peignait de magnifiques drapés soyeux et moirés, elle a "rencontré" Rimbaud et s'est lancée dans une longue série semi-abstraite, intitulée ABSINTHES.
Peinte sur des papiers datant de 1746 et 1789, pour leur capacité à "boire" la peinture, cette série-hommage au poète maudit reprend des mots, des vers, des titres, entraîne le spectateur dans une sorte d'itinéraire mythique. Les fonds sont très travaillés, patinés à longs coups de pinceau sur lesquels l'artiste revient à petites touches, dans les tons gris-pâle et blancs (la seconde précise où l'au tombant sur l'absinthe provoque sa transformation en un liquide laiteux). Sur la plupart des "papiers", une étroite plage verticale partage les œuvres en deux parties ; dualité de l'artiste vivante, fascinée par l'artiste mort ? D'un présent culturel tentant de faire revivre une culture passée ?... Cette médiane porte de façon répétitive un texte manuscrit : les bords en sont striés d'étranges brisures, ruptures de rythmes. Comme ce "fleuve entre deux vies" symbolisant l'absinthe qui coulait à flots, remède au mal de vivre du poète, le peintre nous entraîne de "la vie" à "la mort", en variations et répétitions de couleurs, rythmes, citations… L'absinthe troublait-elle le poète ? En tout cas, le peintre passe à la couleur, en de nouvelles séries où se côtoient, se chevauchent, rouges, bleus, jaunes violents, traits incrustés grattés dans la matière, jusqu'à ce qu'apparaisse le papier. Violence et folie du poète, peut-être ; nouvelle dualité probable du peintre, car cette partie très vive, contrepoint de l'autre, semble à la fois porteuse des pulsions du référent et du témoin ; et une façon pour cette dernière de se rééquilibrer en retrouvant ses racines : rouge (des couchers de soleil), mer (d'émeraude), vert intense (des lauriers de l'île)…
Etrange périple, constitué de centaines d'étapes, à travers l'œuvre d'Arthur Rimbaud. Au cours de ce voyage initiatique, le visiteur a tout le temps de s'interroger sur la façon dont le poète aurait perçu ce fervent hommage qui l'aurait transporté des fumées des tripots et des vapeurs de l'absinthe, à l'intense luminosité de la Corse ?
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT A L'ETE 1994, APRES LA VISITE DUPARCOURS DU REGARD A OLETTA.