"LA VIE ETRANGE DES OBJETS" (¹)

De BILLY RENOIR

***** 

          Le rideau se lève. Lumière bleutée venant de la droite. La scène représente un enchevêtrement d'objets disparates : sièges, vieux daguerréotypes, instruments de musique, vases… Le silence règne.

          Ce descriptif d'avant-scène pourrait résumer chaque œuvre de Billy Renoir qui, d'entrée de jeu, définit ses choix : Depuis des années, il explore sans trêve sur la toile cette sorte d'alphabet pictural qu'il a créé à son usage. Il le parcourt dans une double démarche : goût de la culture, attachement au passé d'une part ; esprit iconoclaste, goût du paradoxe d'autre part, qui situent résolument son œuvre dans la modernité. 

          Comme un adulte qui serait allé explorer le vieux grenier de son enfance, Billy Renoir extrait du sien tels instruments de musique, vieux pianos ou violoncelles, et les campe sur la scène de façon à recréer un univers hétéroclite. Resserrant son œuvre, renforçant ou atténuant les détails ajoutés de premier jet, il les repousse ou les rapproche, les place dans un rang de subordination ou de premier plan que réclame l'unité de l'ensemble. De sorte que, dans le "décor final", chaque chose paraît "à sa place", impossible à imaginer ailleurs ou autrement. Et le choix d'objets patinés par le temps, l'ajout de lourds drapés à la Vélasquez ; d'inquiétants mascarons de la Renaissance ; de vieilles motos rétros ou des fauteuils d'osier donnent au visiteur le sentiment que, comme pour le poète, les "objets inanimés" ont bien pour lui "une âme" et que, parmi eux, Billy Renoir se plaît et se complaît… 

 

          Surgissent alors les paradoxes : 

        D'abord "peupler" ses œuvres d'objets et les "vider" de personnages : si les violoncelles sont capables d'"exister" dans de curieux désordres, les rares individus glissés dans quelques tableaux sont totalement statiques : des mannequins, en fait, des "objets" côtoyant d'autres objets. Seules œuvres vivantes, totalement à part dans l'œuvre de Billy Renoir,  : ses aquarelles dans lesquelles les couleurs appliquées à longs gestes nerveux, linéaires ou pointillés, créent des rythmes jazzistiques extrêmement dynamiques…

       Paradoxe encore, son désir de contemporanéité. Une citation de Ionesco résume bien sa démarche dualiste (²) : "On est de son temps ou on ne l'est pas… plus on est de son temps, plus on est de tous les temps". Ionesco pour qui "composer, en peinture, une œuvre majeure, c'est donner une vision objective du monde, découverte dans sa profonde subjectivité, c'est-à-dire dans l'esprit qui reflète le monde, ou qui est lui-même à l'image du monde"… Ionesco à qui Billy Renoir rend un hommage appuyé, mettant en scène "Les Chaises".

          Paradoxe subséquent : la démarche de cet artiste est beaucoup plus littéraire que picturale (³)  : Comme Delacroix, il n'essaie pas de "composer une chose de beauté, pas davantage une chose de vérité, mais essentiellement une chose de poésie". Une poésie un peu acidulée, d'ailleurs, du fait que les "lumières" soient projetées par des spots et non par les bougies de La Tour ; que des grattages au rasoir mettent des éclats vifs sur la trame de la toile ; que les bleus froids et les bruns assurent un équilibre entre les demi-teintes et les noirs, les plages sereines et les passages torturés ; que la tonicité du présent serve de contrepoint au charme désuet du passé ; que le souci de réalisme contraste avec la volonté de peindre des objets inutiles ou ludiques… 

 

          Tout serait dit peut-être, n'était la présence répétitive de l'eau sur laquelle flottent souvent ces objets : Billy Renoir se tire d'affaire avec humour ; il affirme qu'étant "Cancer", cette eau qu'il peint traduit son goût de l'action, son aptitude à lutter contre… vents et marées ; sa volonté de réussite. Acceptons-en l'augure ! 

Jeanine RIVAIS

Ce texte a été écrit en 1994.

(¹) Titre emprunté à un livre de Maurice Rheims, dont chacun connaît le culte pour les objets anciens.

(²) Ionesco, "Notes et contre-notes". Editions Idées-NRF.

(³)  La preuve en est, indubitablement, qu'au cours des quelque vingt ans écoulés depuis l'écriture de ce texte, Billy Renoir semble avoir illustré un nombre considérable de livres d'écrivains réputés!!