Comme l'assoiffé va à la fontaine, Jacques Pibot va quotidiennement à "la ligne verticale" ! Cette phrase qui pourrait sembler une boutade résume dans son cas la conclusion d'une longue réflexion de l'artiste sur son travail pictural : il dessinait autrefois des paysages dans lesquels on aurait dû lire les signes avant-coureurs de sa démarche actuelle ; car "paysages" était déjà trop fort : tel un photographe qui resserrerait son objectif sur un point infime, Jacques Pibot plantait au centre de la toile une unique tente perdue au milieu de l'immensité ondoyante de la steppe : l'essentiel, en somme, le lieu minimal où régnait la vie ! 

 

C'était encore trop pour l'artiste Mal à l'aise dans les arcanes des styles, des modes…, sa création lui était aussi inconfortable que porter la veste d'un autre ! Il a donc décidé de se dépouiller de ses "oripeaux", entrer dans un espace pictural abstrait, dont il s'est précisé les règles fondamentales : "Répéter chaque jour le même trait ; s'enfermer dans une contrainte telle qu'il soit OBLIGÉ d'y trouver une totale liberté". Cette démarche, considérée par un tiers, semble a priori stérile, en tout cas restrictive. Mais c'est le premier paradoxe de l'œuvre de Jacques Pibot que, plus il réduit les signes, plus il se sent libre et épanoui ! C'est pourquoi, depuis huit ans, sans souci de répétitivité -s'y complaisant au contraire- il travaille sur papier à partir d'une ligne verticale, dressée sur un fond pré-travaillé au pinceau encré. L'absorption irrégulière du liquide par le support, crée un "monde" aléatoire sur lequel cette ligne nettement affirmée apporte une double connotation : la première est évidemment le "partage" strict de la feuille, l'autre étant que cette ligne nécessairement verticale devient totem, colonne, arbre, impliquant un artiste debout, agissant. 

          Le second paradoxe, comme la lutte de la vie et de la mort, appelle la ligne horizontale : le dessin ainsi quadrillé, l'incommunicabilité solidement établie, la prison "dûment grillagée", l'artiste commence à trouver sa respiration. Il part en quête de lui-même par une série de très fines scarifications qui entraînent son œil d'un "lieu" à un autre, établissant ses droits de passage. Et le voilà sûr de lui, dans la sérénité d'une journée bien commencée, puisque, en supprimant la nécessité narrative, il a du même coup supprimé l'angoisse de la page blanche ! Il peut alors se permettre quelques "sorties" inattendues : surligner telle tache, coller telle surface-contraste, s'autoriser telle page de guillochures, etc. Tout cela se passe dans le cadre d'un rituel bien établi comparable au retour cyclique des saisons, sans risque de bousculer ses certitudes, de l'extraire du "vaisseau" dans lequel il effectue son parcours quotidien. 

 

Cette circumnavigation lui permet d'user d'un dernier paradoxe, le choix des titres de ses œuvres : non des redondances ou des justifications de ses créations abstraites, mais des images très "visuelles". Ces sortes d'échos poétiques, "bruissement nacré", "Désert scarifié par un géomètre", "gris, soyeux vent de steppe", etc. corroborent le fait qu'en ses murs volontaires, l'artiste est vigilant, tous les sens en éveil ! 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1995 A L'OCCASION D'UNE EXPOSITION DE L'ARTISTE A L'UDAC Paris.