La Maison d'Enfance
La Maison d'Enfance

Rencontrer seulement aujourd'hui un artiste que l'on aurait "dû" connaître trente ans plus tôt, est difficile à admettre ! Les rencontres donnent sens à notre vie. Connaître un artiste alors à ses balbutiements, le suivre au long des avatars de sa vie et de sa carrière ; et lorsque c'est un grand, le voir vaincre ses questionnements, ses peurs, le savoir avancer avec eux, aurait été un privilège ! Certes, les rencontres tardives, sont non seulement possibles, mais souvent intenses, magiques et elles éclairent la vie ! Ma rencontre récente avec Marcel Hasquin en est la preuve ! Mais il reste des regrets, des reproches ! Qu'il faudra apaiser !!

 

Né en Belgique, entouré d'amour toute son enfance, mais démuni d'argent au point de ne pouvoir fréquenter les écoles d'art comme il le souhaitait si fort, cet artiste a su faire grandir son art, s'écarter des chemins trop fréquentés, se changer en une sorte d'ermite vivant pour et par sa création ; en même temps, devenir un conquérant de la matière, un créateur fantasmatique.

          A six ans, Marcel Hasquin dessinait si bellement le château de son village, que le châtelain lui achetait ce premier dessin ! Et ce talent inné lui a permis, à lui l'autodidacte absolu par faute de la vie, de créer à son gré ; et même de se consacrer, dès l'adolescence, aux arts "sérieux", ceux qu'il aurait dû apprendre dans les écoles. Au point qu'à seize ans, il commence à s'intéresser aux Expressionnistes allemands, aux Surréalistes belges et français, etc.

La légende de Lucie
La légende de Lucie

          Les années passant, marié et père de famille, il décide de venir en France, fantasmant sur ce qu'il allait y trouver ! La dure réalité lui remet les pieds sur terre, car là encore, tenu de travailler, il reste peu de temps pour sa peinture ! D'autant qu'il en est encore à ce qu'il appelle "en aveugle", ne sachant trop comment combler cette envie, ce besoin de peindre, trouver le chemin de vie qui est en lui et le taraude. Mais déjà, il pense bien entendu, à la peinture comme expression des formes, des couleurs, des lumières, et non comme moyen de représenter des sujets ou des anecdotes. Car il s'agit d'ores et déjà pour lui, d'"aller au plus profond de soi et au plus loin dehors", comme l'écrivait naguère à propos des artistes, le poète Antoine Emaz. 

          Fort de cette avidité, cette nécessité empêchée de peindre ce qui l'obsède, Marcel Hasquin aurait pu ne devenir qu'un reproducteur d'une vérité réaliste, et non le "témoin", le poète de l'angoissant, de la réalité de la condition humaine dans sa grandeur spirituelle. Mais depuis toujours, il fut un chercheur, explorant à SA façon l'univers. A SA façon, sachant en rendre raison. Néanmoins, il n’a jamais eu ni un esprit simple, ni un cœur léger. En attestent ses œuvres, mettant à nu son mal-être existentiel, et les aléas de son environnement, questionnant son passé et son présent. Générant ainsi un monde bien à lui, au fil duquel le visiteur avance, perplexe, sans avoir jamais la certitude de détenir la bonne clé. D’autant que ne respectant aucune tradition artistique, mais ayant créé son style éminemment personnel, l’artiste ne lui a jamais livré tout prêt ce qu’il exprimait. 

 

La Piéta
La Piéta

          Car très tôt, son œuvre était déjà largement mise en forme. Le passé de Marcel Hasquin, a toujours été son enfance, son amertume de n'avoir pu fréquenter des écoles d'art, la mort de deux de ses frères, de son père… tout cela alors mêlé, confondu même, avec le Surréalisme. C'était depuis son plus jeune âge, de façon évidente, la quête de sa vérité intérieure ; sa quête d’autrui, également ; de tout être vivant, miroir de lui-même, de ses rêves et de ses aspirations d’homme qui, chaque fois, retombaient dans les rêves et les aspirations du poète qui sommeillait en lui. La quête métaphysique de son espace cosmique susceptible d’étayer ses fantasmes et d’en assurer la plénitude : Ce qui n’excluait nullement le choix d’une éthique rigoureuse, d’un engagement de l’homme et du peintre indissociables. 

         L'absolu, l’auteur l’a, au fil des décennies, cherché comme le Graal à travers l’espace et le temps, dans tous les moments ; tantôt charnel, tantôt platonique, tantôt dans son ambivalence, entre instinct et sacré ; de la plus pure extase à la cruelle souffrance née de la conscience que même l’amour le plus authentique, le plus profond ne supprime pas la solitude, ne génère pas l’éternité. 

          Mystique, Marcel Hasquin a donc sans trêve, cherché imperturbablement son Dieu à tous les horizons, dans les échos de tous les personnages qu’il déposait sur le papier ou la toile, pour dire ses joies et ses peines ; à défaut de cette impossible découverte, son esprit passionné de beauté totale s’immergeant dans la lumière et se nourrissant de sa chaleur.

 

Résurrection
Résurrection

          Déjà, et malgré la vie qui lui était bien chienne, l'esprit de sa création s'était dessiné autour de "La maison d'enfance" œuvre forte, rêve nocturne réalisé en des bruns tantôt brillants, tantôt ternes, aux fenêtres à peine éclairées. Cette maison conçue en des sortes de clairs-obscurs aux passages mystérieux ou difficiles à définir, à peine émergée du brouillard, ne symbolise-t-elle pas la sécurité abandonnée, le havre en somme, au moment où l'artiste la quitte pour s'expatrier, aborder les aléas d'une destinée inconnue !? 

          Des œuvres majeures vont suivre, très colorées dans des couleurs glauques, tel "Le festin carnavalesque", sorte d'entrée de mausolée peut-être, dont le centre d'un vide sidéral est cerné de visages de personnages imbriqués les uns dans les autres, semblant issir de la roche. Au sommet de l'ouverture, légèrement déjeté, l'un d'eux, les yeux clos, le visage bon-enfant, un léger sourire sur ses lèvres, l'épaisse chevelure blanche flottant, une barbe se perdant dans le vide, ne serait-il pas un Dieu, dans son omnipotence et sa bonté ? A gauche, quelques humaines vêtues de robes blanc-rosé, semblent observer, au bas de ce gouffre, des sortes de monstres aux contours ectoplasmiques, aux faciès tourmentés, bouches ouvertes, langues pendantes, dents en évidence, peints dans des ocres bruns, yeux dilatés, mains ouvertes comme prêtes à serrer, mais quoi ? Que faut-il retenir de ce titre, dans cette scène où reste invisible la table du festin ? Ces femmes vêtues de blanc, symbole de pureté, ne sont-elles pas plutôt en train d'observer la lutte du bien et du mal ?  

Destin carnavalesque, le Prophète, le golgotha
Destin carnavalesque, le Prophète, le golgotha

          Même questionnement pour "Le Golgotha" où semblable béance entourée de semblables rochers devient un huis clos où Jésus et les deux larrons, crucifiés sur leur colline, sentent se rétrécir leur environnement, les vapeurs rouges qui les cernent paraissant sur le point de les étouffer ! 

          Même questionnement encore, pour "Le Prophète", aux yeux clos, au long visage perdu dans une immense auréole dont le bleu rivalise avec celui du vide qui, contrairement aux deux autres œuvres, est posé au-dessus de lui, dans des bleu-marine laissant à peine percer un coin de ciel ! 

      De ces trois œuvres assurément influencées par le Surréalisme, où la nature est déchirée, déformée, tourmentée, où les personnages crient leur besoin de pardon, de pitié, ou d'harmonie, en butte à leur désenchantement, se dégage, de la main et du cœur de Marcel Hasquin, une impression de grande tendresse.  Subséquemment, émane de chaque œuvre un fort sentiment de souffrance et d'angoisse, créant chez le visiteur une très intense émotion.

 

Le Christ de Fatima
Le Christ de Fatima

          Par bonheur, aux heures sombres, c'est le moment où surgit dans la vie de l'artiste, un jeune étudiant appelé Didier Benesteau, fou des œuvres qu'il a déjà exposées, et qui, lui en achetant, le libère des contraintes qui l'étranglaient. Libre enfin de créer, doté désormais d'une amitié indéfectible, il donne la bride sur le cou à son insatiable curiosité, sa soif de savoir. 

          C'est au début des années 80, que se situe la rencontre salvatrice de l'artiste avec celui qui deviendra son ami et son mécène ! Cette rencontre qui a joué sur la paix intérieure du peintre, lui a-t-elle permis, au cours des vingt années suivantes, de se libérer de l'influence surréaliste, aborder de nouvelles règles, créer son style si particulier ? Toujours est-il qu'avec le "Voyage initiatique", sur un fond d'images carrelées, gravées avec un soin et une économie infinie, un personnage/médaillon à la tête énorme, au minuscule corps géométrique, un serpent murmurant à son oreille droite, un personnage silhouetté baissant la tête à sa gauche, est figé à l'intérieur d'une auréole lourdement gravée. 

          A l'inverse de cette retenue picturale, avec "La légende de Lucile" et "Le Christ de Fatima", les personnages s'emparent de l'espace et Marcel Hasquin profondément mystique, confie à la toile de bien complexes alchimies. Semblant avoir en tête ses deux personnages, il va leur donner corps : Et pour commencer, créer le magma duquel ils vont "naître". Il pose donc, superpose, appose à longues traînées de pinceau surchargé ou au contraire presque sec, épaisseurs sur épaisseurs lourdes et chaleureuses de peinture rouge ou bleu-vert. Ici, encore humides, elles vont se mêler en flaques informelles ; là une traînée très vive va faire vibrer les autres ; ailleurs, s'étagent des transparences d'où va se dégager le visage souffrant du Christ, celui légèrement blanc, paisible et introverti, de Lucile. Aucun élément de décor. Aucune rupture. Il semble que la main vienne d'elle-même vers le centre de la toile ; fouisse ces non-formes préalables ; compose un immense Christ, bouleversant, et/ou le visage délicat de Lucile.

 

La condition humaine, Mon Enfant
La condition humaine, Mon Enfant

          A l'approche du XXIe siècle, apparaît le trait qui, à ce jour, n'a jamais quitté Marcel Hasquin. Toujours aucun décor. Avec "L'innocence", "Danse mystique", "La Femme des Iles", "Visages de feu", etc., les protagonistes sont tassés, les têtes sont penchées, comme s'apitoyant sur elles-mêmes ; de gros yeux observent le visiteur, et les bouches de guingois sont closes. Les personnages sont désormais plein cadre ! Mais surtout, ils sont linéarisés, un trait noir souple et fluide suit chaque contour. Des taches rouges ou vertes dominent, faisant vibrer les autres, blanchâtres. Ces gens-là sont habillés de vêtements imprimés de figures géométriques couvertes de cercles qui deviennent des yeux, d'apostrophes qui font les nez… Oserait-on dire que ces œuvres contiennent un doigt d'humour ? A peine ! Elles semblent être plutôt le repos du guerrier ? Le moment où il réfléchit, médite sur leur sens, sur leur impact si loin des œuvres précédentes ! 

 

          Le résultat de cette période de latence a permis à Marcel Hasquin de s'engager dans un présent différent ; de réfléchir sur la représentation sur une surface, de la forme et des valeurs de lumière et d'ombre, d'un objet ou d'une figure, plutôt que de leur couleur. "Par un tracé hardi, simplifié, continu, la forme est affirmée" écrivait le philosophe Alain.  "C'est la ligne qui en est l'essence, continue ou discontinue". Et c'est ainsi que de "Jésus au Jardin des Oliviers", "L'élan", "le Christ portant sa Croix" ou "La résurrection", les personnages sont surlignés de minces traits noirs. Série profondément mystique, où la matière semble jouer une place primordiale sous les embrouillaminis de ces traits qui peuvent, au profane, paraître parfois aléatoires, mais sont essentiels pour l'artiste !  

 

Stani Nitkovski 1/2/3.
Stani Nitkovski 1/2/3.

          De là à ce que le trait soit le déterminant de toutes ses œuvres, il n'y avait qu'un pas, franchi avec "La condition humaine, Mère et Enfant", œuvre déchirante, d'autant plus qu'autobiographique, où le peintre engendre les boursouflures des deux êtres, surligne la désespérance des yeux, des bouches aux commissures affaissées… S'ensuit, intitulée "Les rides du temps" toute une série de personnages en pied (ou dépourvus de pieds, voire de tous les membres, d'ailleurs), de toute évidence handicapés physiques ; presque ou tout à fait monochromes ou carrément en noir et blanc sur fonds colorés, le summum de cette série semblant être les deux œuvres titrées "A Stani Nitkowski" où l'on voit l'artiste (qui est entré dans sa peinture), portant son ami sur son dos, avec son fauteuil vide, lequel restera vide puisqu'il l'envoie, seul, saluant de la main, vers le ciel. Est-ce à dire que, l'âge venant peut-être, la généralité a fait place à la personnalisation de ses sentiments ? Qu'il lui faut se débattre, crier, partager avec ses créatures, tout ce qu'impliquent ses peintures ? 

 

          Il reste qu'à hanter son atelier, le visiteur peut conclure que créer, créer… a été –continue d'être- chez Marcel Hasquin une véritable boulimie ; que ses compositions polychromes sont un régal générant une puissante empathie pour ses yeux, qu’immense est son respect pour le talent et la constance d’une telle création. Que son émotion est puissante… Et qu'il ne sort pas intact de cette œuvre inclassable, irrationnelle, puissamment perturbatrice par la violence et le désarroi manifestes tout au long de la vie de l'artiste. Qu'il a traversé un grand moment situé bien au-delà de la simple préoccupation picturale ! Qu'il a "rencontré" une œuvre dont il lui est, longtemps après, difficile de se libérer, tant reste bouleversant, cet appel du peintre devenu au fil des ans, par son grand talent et son implication, un grand parmi les grands ! 

Jeanine RIVAIS

TEXTE ECRIT EN OCTOBRE 2022, SUITE A L'INOUBLIABLE VISITE D'ATELIER DE MARCEL HASQUIN..

Jeanine Rivais, Didier Bénesteau, Marcel Hasquin dans son salon, le jour de l'entretien.
Jeanine Rivais, Didier Bénesteau, Marcel Hasquin dans son salon, le jour de l'entretien.