Reconnaissable de prime abord, le style de Père Pages atteint sa quintessence dans les œuvres d'un brun-roux lumineux, chaud et généreux, avec des "empreintes" à peine esquissées, suggérant que des millions d'années en ont érodé les reliefs. De ses murs lépreux, de ses lieux hermétiquement clos, de ses "paysages" théâtraux, rayonnent la puissance et la gravité d'une œuvre élaborée du tréfonds de soi-même.

          Car cet artiste a reçu de son héritage espagnol le sens de la mise en scène macabre ; les couleurs du sable gorgé de sang et de la terre desséchée et dure ; les pulsions d'un peuple violent longtemps opprimé ; une culture séculaire multiple, éblouissante et sobre, celle des grottes d'Altamira, de Goya ou Ribera, dans l'ombre de l'Inquisition et la mémoire des pénitents. Toutes ces influences bouleversantes de beauté et imprégnées de mort dans ses gènes, lui permettent de recréer, au-delà de leur prégnance, au-delà de la tradition, un monde à la mesure de son univers angoissé.

          Un monde fait de cryptes ; de dédales de nécropoles désespérément vides, dans lesquelles règne le silence ; de catacombes abritant des "urnes", réceptacles peut-être d'ossements ou de vieux grimoires nécromanciens : de pans de murs aux pierres gravées de signes énigmatiques, de libellules, fourmis fossilisées, arabesques courant d'un angle à l'autre, etc.

     Cette impression d'"absence" est paradoxalement accentuée par la présence répétitive d'un minuscule personnage de dos, silhouetté en noir, appuyé sur un balustre ou marchant vers le fond du tableau : "O vous qui entrez, quittez toute espérance", lit le voyageur de Dante aux portes des Enfers. L'homme sombre de Père Pages véhicule-t-il semblable désespoir ? S'écarte-t-il délibérément du monde des vivants pour se diriger vers une intimité sacrée, vers les mystères et les ésotérismes de ces mausolées désertés et muets ? 

          Tous les tableaux du peintre expriment ces dualités, incrustées dans les fibres de la toile en un long travail de gestation des fonds, nourris puis grattés, rayés de traits, rayures et entrelacs infiniment serrés et ténus. De petits espaces denses, coulures et craquelis soulignent les graffiti, se conjuguent à des morceaux de papiers tels des fragments de parchemin aux encres et aux couches de peintures. Le tout serti dans un carcan de vernis dont les brillances accentuent les variations brunes, génèrent les clairs-obscurs typiques de l'œuvre de Père Pagès. 

          Cette démarche lente et minutieuse vers son univers "lapidaire" lui permet d'élaborer avec la patience d'un archéologue cherchant à percer le secret d'un fragment mis à jour, la patine de SES "empreintes", prouver qu'elles ne sont pas, comme il semblait au début, le jeu du hasard ou des siècles, mais bien le fait d'un artiste désireux de percer le silence de son univers figé, s'opposer au passage du temps en intaillant de ses marques personnelles SES "pierres" si particulières ! 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1993 SUITE A PLUSIEURS EXPOSITIONS DES ŒUVRES DE PERE PAGES EN FRANCE ET EN BELGIQUE.