"En visite" et "Dans les coulisses"
"En visite" et "Dans les coulisses"

          1833 : A Paris, Daumier condamné l'année précédente à six mois pour un dessin intitulé Gargantua, sort de sainte-Pélagie alors que naît, à Namur, Félicien Rops ! A vingt-cinq ans de distance, les deux hommes vont, l'un à travers "La Caricature, l'autre dans "Le Crocodile, le Charivari belge", puis "Uylen-Spiegel", exploser de facétie, d'humour grinçant, d'ironie voire de méchanceté ; s'attaquer aux tabous ; caricaturer les bourgeois, les cocus, les hommes politiques, les dignitaires, les ecclésiastiques… bref, tout ce que les deux pays comptent de têtes puritaines ! Nul doute qu'à leur dernier souffle, tous les vilipendés voient le doigt d'une justice immanente faire mourir à quelques années l'un de l'autre, les deux vilipendeurs devenus aveugles pour s'être brûlé les yeux à dénoncer trop de bêtise et de laideur, à encenser trop de rondeurs assassines et d'intimités luxurieuses! 

"La tentation de Saint-Antoine" et "Ne faites pas aux autres..."
"La tentation de Saint-Antoine" et "Ne faites pas aux autres..."

Au printemps 1995, l'Hôtel de Ville de Bruxelles présente deux-cents caricatures sur papier de Félicien Rops. Cent ans après leur parution ou l'interdiction de leur parution, les dessins politiques semblent un peu désuets. Ceux de femmes, sont très connotés parce que l'artiste avait déclaré : "Je n'étais resté à Paris que trois jours pour faire poser une demi-douzaine de petits modèles que l'on ne trouve que là. J'estime que, pour les études de nu moderne il ne faut pas faire le nu classique mais bien le nu d'aujourd'hui qui a son caractère particulier et sa forme à lui qui ne ressemble à nulle autre. Il ne faut pas faire le sein de la Vénus de Milo mais le sein de Tata, qui est moins beau mais qui est le sein du jour". En revanche, les scènes érotiques, ou pornographiques n'ont pas pris une ride. Elles sont d'autant plus jubilatoires que, parfaitement exécutées, d'un hyperréalisme exacerbé, elles attestent d'un immense talent, une imagination débridée, une sensualité à tout va ! 

Et même si le spectateur est aujourd'hui blasé, il ne peut retenir un mouvement de surprise, devant Pornokratès, plantureuse créature, vêtue de bas, de gants, d'un chapeau et d'un bandeau sur les yeux, tenant en laisse un cochon (le diable, bien sûr) qu'elle suit aveuglement vers… quelles turpitudes ? 

D'une approche plus intime parce que plus petits, les autres dessins sont de la même veine, agrémentés de conseils judicieux pour militaires mal dégrossis, de titres sans équivoques comme "La messagère du diable", "Etude pour le doigt dedans", "Le calvaire" (où le diable a pris la place du Christ), etc. ; rappelant que l'imaginaire "littéraire" de Félicien Rops ne le cède en rien à l'irrévérence du dessinateur ! 

 

"Médecine, docteurs" et "Les menus gourmands de Félicien Rops"
"Médecine, docteurs" et "Les menus gourmands de Félicien Rops"

Une exposition à voir à Bruxelles : ou cet été à Menton (jumelée avec Namur dont le musée a prêté la plupart des œuvres) ; pour y rencontrer la fameuse trilogie ropsienne, le diable, la femme et l'homme dans leurs rapports de force ; y suivre les audaces d'un trublion dont le talent fait, en 1864, écrire à Baudelaire : "En Belgique, pas d'art ; l'art s'est retiré du pays ; pas d'artistes, excepté Rops…".

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1995.

 

 

          "Pornocratès" est une œuvre phare, d’un artiste belge incontournable : Félicien Rops. Et celle-ci fait partie de la collection permanente du Musée Félicien Rops situé à Namur, la ville natale de l’artiste.

          "Je sais que je ne respecte pas assez les notaires, que je suis étourdi comme un hanneton et insouciant comme un moineau, je sais que je ne suis pas "utile au bien de l’État" mais ce dont tu ne te doutes pas et ce qui ferait tomber en syncope tous "les gens sérieux" jusqu’à la cinquième génération mâle, c’est que je suis heureux et presque fier d’être ainsi et non aultre".

          Félicien Rops aimait choquer, transgresser les règles. Son « Pornocratès » n’est qu’un exemple (parmi tant d’autres) de son goût pour la provocation.

          Réalisée en 1878, cette œuvre n’a été exposée que bien plus tard, en 1886, lors du Salon du groupe d’avant-garde les XX à Bruxelles. Les visiteurs s’indignent et vont même jusqu’à demander au bourgmestre que l’œuvre soit retirée de l’exposition.

          On y voit "une grande femme nue sur une frise, les yeux bandés, conduite par un cochon à queue dorée". Ce qui choque à l’époque, ce n’est pas tant la nudité du modèle mais bien le fait que ce modèle (dénudé, certes) soit paré d’accessoires. Le corps féminin est par ce biais érotisé. Pire encore, il ne s’agit pas ici d’un nu académique lié à l’une ou l’autre mythologie. Non, Félicien Rops a représenté une vraie femme, séduisante, voluptueuse et… désirable !

          Quel sens Félicien Rops a-t-il voulu donner à cette œuvre ? La "Femme au cochon" semble libre, assurée, mondaine et provocante. Elle symbolise la modernité. Le cochon, les instincts, les plaisirs. Les deux piétinent une frise, symbole des arts classiques figés dans la pierre, de l’académisme (qu’il méprise). A leur passage, trois angelots prennent la fuite. C’est la victoire du modernisme sur l’académisme.

          Avec « Pornocratès », Rops signe le point de départ du Symbolisme belge.

 

Texte extrait de Ma petite Histoire de l'Art (Musée félicien Rops à Namur)