LES SCULPTURES ANTHROPOMORPHES DE GOSTI
*****
Certains artistes parviennent -et Gosti, autodidacte, y est parvenu très tôt, puisqu'il n'a pas encore atteint la quarantaine- à une forme si évidente de création qu'elle leur est une véritable signature, reconnaissable entre mille, malgré de possibles variantes : chez lui, c'est la tête qui "fait la différence", hypertrophiée, large au minimum comme la carrure des épaules, mais généralement davantage si elle est de marbre, pleine au-dessus des corps à claires-voies, si elle est de fer !
Homme tourmenté ; et créateur angoissé à la manière des Romantiques ; un peu masochiste aussi, puisqu'il "a besoin d'un petit côté dépressif pour travailler" ; Gosti transfère-t-il sur ces têtes, le mal de vivre qu'il évoque ? Ou, au contraire, ces oeuvres "perturbées" sont-elles les racines lui rappelant sans cesse qu'en lui, stagne son mal ? Quelle que soit la démarche, délibérée ou inconsciente, elle se veut libératoire. Et confère à ses créations qui suivent de près la friche de sa biographie émotionnellement bouleversée, la beauté un peu poignante des oeuvres-témoignages.
De cette gravité existentielle et paradoxale, naissent deux catégories d"'individus" totalement différents et pourtant très proches ; avec un point commun qui s'impose de prime abord : massifs et imposants parce que taillés dans le marbre, ou lacunaires d'être découpés dans le métal, tous les personnages de Gosti sont soudés sur d'immenses supports : tôles burinées, morceaux de pierres éclatés, ou tiges filiformes... donnant tantôt le sentiment de les tirer vers la terre, tantôt celui de générer une fragilité ascendante. Car, chez cet artiste, le socle n'est pas un ajout gratuit : il "appartient" à la sculpture, la complète, la charge parfois de sens, comme "La N'Havrée" qui, l'air dubitatif, semble avancer en crabe sur le sien ; ou tel le clown de "Souvenir de Saint Cricq", Cupidon matamore qui lance sa flèche-coeur et, en équilibre sur sa roue, semble faire le paon au bénéfice du monde entier ! Ou encore la créature à la tête duelle de "Par où passent les anges ?" qui, du haut de son échelle sans barreaux se livre à des mimiques gravement métaphysiques, etc. D'ailleurs, l'importance psychologique des socles va grandissant, lorsque le sculpteur leur confie le soin de "confirmer" sa propre histoire : Ainsi, à l'occasion de l'arrivée imminente d'un second enfant, ce qui l'angoisse apparemment beaucoup et l'excite terriblement, son support se fait arbre ; du pied jaillit un surgeon ; des bourgeons s'épanouissent ; sur une branche trône un petit bonhomme pas plus haut que trois pommes ! Car il y a beaucoup d'humour et de tendresse dans les oeuvres de Gosti ! Et, qu'il travaille l'un ou l'autre matériaux, on le sent très proche d'eux, en totale harmonie !
Il prend des risques, pourtant ! Accepte a priori, que la tête ait la forme que lui donnera le coup de burin fendant la masse. Et joue ensuite de cette cassure aléatoire : une fois l'aile du nez en relief, l'arcade de l'oeil profondément creusée ou simple amande, la bouche et les dents dessinées, commence sur le "visage", un long travail pour matir ou polir l'espace : fausse simplicite de la partie terne qui donne l'impression d'être laissée en l'état, alors que chaque petit relief, chaque effet d'ombre ou de 1umière sont longuement élaborés. Finition parfaite de la partie polie, si brillante, jouant des veines du marbre au point qu'instinctivement la main du visiteur s'approche pour "caresser" !
Résultat différent lorsque le sculpteur affronte le métal : ses créatures sont alors silhouettées avec seulement quelques "pleins", le reste -sauf la face- raide et linéaire, "vide". Et pourtant, ces lignes primaires génèrent des personnages "évidents" paradoxalement plus réalistes que le marbre ! car il existe un autre double choix esthétique, outre l'énormité et la plénitude de la tête déjà évoquée : d'un côté le corps est minuscule ; et, alors que la tête n"'existe" que côté visage, le corps est traité en ronde-bosse, bien implanté malgré sa petitesse, bien proportionné, bras écartés comme en plein élan, sexe petit mais conquérant ! Par opposition, les corps de métal sont longilignes, donnant aux oeuvres une connotation totémique. Et les bras sont serrés sur la poitrine, ramenant les personnages à eux-mêmes, introvertis, silencieux !
Parfois, taraudé peut-être par ses démons, ou poussé par une volonté ludique exacerbée, le sculpteur abandonne à la forge incandescente une partie de l'anatomie en gestation : le métal s'allie alors aux scories de charbon, ressort couvert de plaies scrofuleuses qui forment des plages noires malsaines, très jubilatoires aux yeux de Gosti, parce qu'elles détruisent la régularité des lignes habituelles. A ce stade, il faut d'ailleurs ajouter qu'il déteste tout ce qui peut ressembler à un train-train rassurant ! A peine est-il satisfait d'une série, le voilà en quête d'une nouvelle trouvaille ! Mais, comme si lui étaient indispensables le-jour-de-marbre épanoui, esthétique, et la-nuit-de-métal étique, sinuée, c'est avec eux qu'il continue son exploration anthropomorphe : sans doute leur dureté, la froideur originelle de leur contact, leurs transformations si antithétiques et néanmoins complémentaires lui sont-elles garantes de son propre équilibre ?
... Encore que cet équilibre ne soit point acquis, si l'on considère -ce dont l'artiste n'avait jamais pris conscience-- qu'aucun de ses "autoportraits"... ne possède de pieds !
Jeanine Rivais.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 64 DE JUIN 1999 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.
Humour : Il semble qu'en 11 ans, certains personnages de Gosti aient acquis des (tout petits) pieds. Il est sur la bonne voie !