LES MALHEURS DE LA GUERRE” DE MARCEL KATUCHEVSKI, peintre

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Ne pas avoir vécu la guerre. Etre né juste après, dans une famille décimée, incapable d’oublier les terreurs de l’Holocauste. Etre “un enfant du miracle” et du deuil, au point d’en devenir comme par héritage génétique, si imprégné, que son seul recours soit de peindre “son” histoire... Tel a été le “destin” de Marcel Katuchevski.

Pourtant, son oeuvre infiniment sombre, n’essaie pas d’être réaliste : N’en pouvant mais, l’homme a un jour commencé à dessiner ses obsessions, sans se soucier de canons picturaux -jamais appris, d’ailleurs-, avec la liberté, le volontarisme des créateurs de l’Art brut ; avec une inusuelle liberté spatiale aussi, puisque -sans être ni gaucher ni ambidextre- il peut développer sa progression picturale indifféremment de droite à gauche ou l’inverse ; en une création où il est impossible de démêler la part de souffrance personnelle et de projection intellectuelle.

Au début, il a peint des “œufs”, tachetés de “noyaux”, tels des visages inachevés ou avortés ; puis des petits ectoplasmes, “personnages” embryonnaires aux figures indistinctes directement rattachées aux troncs ; aux membres-moignons filamenteux ; aux corps incertains, variant d’une opacité lactescente à des transparences radiographiques ; fluctuant à tous les stades de l’être et du non-être dans des sortes de liquides amniotiques noirs, surchargés de bruns, à longs traits de pinceau.

Puis, comme ces individus à peine ébauchés, donc trop peu porteurs de vie, étaient incapables peut-être, de conjurer la pression des images récurrentes, il a commencé une série de “portraits”, souvenirs déchirés aux visages hâves ; borgnes souvent, leur unique oeil au regard vide quasi-enfoui sous des paupières boursouflées ; aux pommettes décharnées striées de rides ; aux rares cheveux malsains, raides et secs : témoins de quelles souffrances, revenus de quels abîmes?

Ce long travail de fouissement a finalement amené Marcel Katuchevski à une oeuvre plus structurée, plus figurative, où reviennent comme des symboles gravés sur ces visages iconologiques, de terribles croix de la non-signature, des stigmates de la mort programmée. Et puis des mots : "rouge" comme un leit-motiv de sang répandu ; ou "blanc" sur tableau noir, en français et en allemand ; réminiscence de quelles puretés souillées, de quels linceuls profanés ? Et, dont la concision et la crudité semblent entraîner vers sa phase finale l’inexorable descente du peintre vers ses enfers personnels...

En effet, ses oeuvres récentes, très grandes, menées simultanément, proposent chacune un personnage central, tantôt masculin au visage blanc, tragique et glacé ; aux yeux caves et à la bouche dure ; la ligne du corps évidente, mais l’intérieur réduit à l’état de gribouillages, de griffures comme pour maculer une masse noire trop anatomique. Tantôt, présentant un corps apparemment féminin ; mais un visage déliquescent, tuméfié, comme d’avoir été trop longtemps battu, et au crâne éclaté. Chaque fois, leurs pieds disparaissent dans des sortes de charniers, comme si ces “êtres” encore “vivants”, appartenaient déjà à la mort... Comme si leur apparence charnelle n’était qu’accidentelle... Que malgré quelques “certitudes” spiralant à l’entour d’eux (boules dures, formes géométriques... reliées par des rubans) auxquelles se raccrocherait l’artiste pour “remonter”, “résister”, lorsqu’il n’en peut plus de cette chute vertigineuse vers sa propre destruction ; ces entités presque “vraies” participaient de l’inéluctable travail de décomposition, du cheminement vers la disparition, l’effacement définitif de leur individualité ou de leur histoire?

Définitif? Non, car reste la mémoire, sous l’aspect de cette création violente, en forme de témoignage qu’a entreprise, à son cœur et son esprit défendant, Marcel Katuchevski !

                                   Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 61 DE NOVEMBRE 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.