Dans ses tableaux aux personnages toujours “rétros”, Sylvie Thybert allie l’imaginaire fantasque et souvent érotique de Félicien Rops ou Daumier ; le riche fondement populaire et le réalisme vigoureux de Ribera ; le talent saisissant de Goya d’exprimer des moments particuliers, combiner la coquetterie et la hideur caricaturale d’une décrépitude ; l’équilibre enfin des œuvres de Rubens, l’aptitude à modeler les chairs, souligner les effets bleutés d’une cuisse couverte de cellulite, mettre en relief la chute d'une épaule ou l'épaisseur d'une silhouette ventripotente. Néanmoins, de cette culture assimilée, pétrie avec un humour noir et un sens inné du grotesque, jaillit une œuvre tout à fait personnelle qui, à chaque exposition, "oblige" à s'arrêter et à prendre parti le visiteur ébahi ou choqué. Car, s'il ne se reconnaît pas, "bien sûr" dans ces personnages tellement laids, il reconnaît "forcément" un voisin, un inconnu ayant, devant lui, trituré son grain de beauté dans le huis clos d'un ascenseur, un indiscret venu s'asseoir près de lui dans le bus, ou tel groupe bruyant brimbalant à une heure de pointe dans le métro : ce sont ces moments qui intéressent l'artiste, ceux où, dans la solitude et l'anonymat pesants de la foule, les individus, ne se croyant pas observés, laissent s'affaisser les traits veules de leurs joues, trembloter de rires rentrés ou de sanglots refoulés, les commissures étrécies de leurs bouches ; pendre les fanons sous leurs bras de vieilles coquettes, etc. 

          Il ne s'agit pas de portraits "conformes" : n'ayant aucun moyen de les peindre sur le vif, Sylvie Thybert transmet les impressions qui lui sont restées en mémoire. Et comme elle procède certes sans complaisance, mais aussi sans méchanceté, elle sait donner un peu d'humanité ; "rattraper" en quelque sorte le rire spontané du "voyeur" ; l'obliger à comprendre le décalage entre l'apparence grotesque ou dérisoire de ses personnages populaires, et leur réalité profonde. Parfois, elle s'approche des faciès, emplit sans gentillesse la toile du visage austère, diabolique et impitoyable d'une nonne ou d'une mariée ; présente avec la crudité surexposée d'une image de photomaton des femmes dont les yeux ne rient jamais. Sans pour autant supprimer de ses œuvres la narration : ces yeux cadrés au plus près disent sans faiblesse leur gêne d'être surpris sous ce déguisement de féminité conventionnelle ou de respectabilité sacerdotale !

 

 

Mais, si tout est "dit" dans l'arête claire du nez d'une maîtresse femme ; s'il est évident que ces nonnes-là ne sauraient être en odeur de sainteté ; les véritables créatures de Sylvie Thybert sont ces pitoyables monstres humains sur qui elle pose avec tendresse des luminosités suaves ou un peu fanées, dans une gamme de tons brillants ; les scènes dont les graduations infiniment variées fondent ou juxtaposent les gris, les ocre, les blancs ou les roses défraîchis ! 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996.

TEXTE PUBLIE DANS LE N° 49 D'OCTOBRE 1996 DE LA REVUE IDEART