Lorsque, à vingt ans, elle commence à peindre  ses rêves, faisant  entre autres “scènes” inattendues,  émerger un bébé complètement nu d’une ville-bulle dont elle propose la réalité et le reflet, statiques entre un ciel moutonnant et une voûte bleu de nuit constellée d’étoiles, Michèle Despretz témoigne d’emblée du mal-être qui va caractériser toute son oeuvre ! Depuis, chaque tableau redit cette obsession de l’espace manquant, de la claustration... qu’elle choisisse d’illustrer par trois grenouilles-trompettes cernées de groupes humains immobiles, un conte pour enfants ;  qu’elle rende dans une facture semi-abstraite, les jeux du soleil sur une surface aquatique glauque ; ou  fasse à la mort  un pied de nez en titrant Chat de blé une oeuvre très malsaine qui montre cet animal manifestement mort, en train de se réincarner en des épis  émergeant de son pelage ; etc.

        Travaillant par thèmes, elle accepte une idée venue elle ne sait d’où, mais qui s’impose sans refus possible. Elle ne peut que la développer, comme ce fut le cas lorsque “surgirent” “les coeurs” ! Variation sérielle sur la tentative réitérée de l’artiste de libérer de son enfermement sa charge de froide émotion , à partir de compositions picturales à la fois similaires et différentes :  Sur chacune, un coeur, en lévitation dans un espace supposément ouvert ( pouvait-elle choisir plus évidente représentation que cette forme fermée sur elle-même mais  dotée d’issues vers  l’extérieur , et symbole  universel  du don de soi, de l’amour pour autrui) ? C’était compter sans l’inconscient du peintre : Le premier, intitulé Obsession et xénophobie, littéralement bardé de fils de fer barbelés “aurait pu” voyager à l’avant-plan de nuages gris-bleutés, n’était qu’il est solidement arrimé au sol par des piques dardant  leurs pointes aiguës vers un ciel d’encre ! Par opposition, le second rougeoie comme le magma terrestre ! Passion, violence, brûlent de leurs feux les plus ardents que le visiteur souhaiterait voir  exploser en une gerbe somptueuse, sauf que cet organe, le plus réaliste de tous, est entouré de couches concentriques  de  “glace” ! Du troisième, baignant dans un éther de belles nuances bleues,  émane  un sentiment reposant et positif. Il a même en son centre un petit nuage blanc flottant au-dessus d’un “paysage” de montagnes enneigées ; Hélas !  de solides bambous entrecroisés le maintiennent inerte... Et le dernier, le seul à être “plein” comme un organe prêt à vivre, gravite dans un liquide (est-ce un liquide amniotique ? à tout le moins de l’eau,  source de vie ?)...  Mais, la scène se déroule dans  un champ de  cactus  ; et le fond de cet  élément aqueux  parcouru de poissons présente la texture craquelée des sols brûlés de sécheresse !  Progression angoissante à travers les quatre éléments ; description quasi-clinique d’un monde sans joie, d’une impossible avancée vers la liberté ! 

    Heureusement  -mais ce mot convient-il vraiment au monde de Michèle Despretz ?)-  après cette série de grande désespérance, l’artiste a eu envie de “vivre”. Symboliquement, comme pour se venger, elle a “accroché” une multitude de coeurs dans un Arbre de Vénus,  parmi des oiseaux et des fleurs-papillons ! De cette création intellectualisée qui pourrait n’être qu’esthétique,  naît, d’ailleurs, une nouvelle surprise ! Tel l’arbre émergeant du ventre de Jessé, le tronc élégant jaillit d’un amas rose-chair de seins de femmes, naissances de cuisses,  flancs nacrés,  mêlés à des pénis prêts à copuler lors d’une grande bacchanale ! ... Mais l’érotisme n’est-il pas, lui aussi, synonyme de mort ? Et comme pour boucler la boucle, ce grand arbre projette autour de lui, une pluie de  branches retombantes, plongeant  telles  autant  de racines aériennes, dans ces fragments humains !... Le spectateur n’a-t-il pas déjà rencontré cette idée, dans une oeuvre conçue des années auparavant ?

    De toute sa volonté, l’artiste lutte donc contre sa fascination-répulsion liée à la mort ! En vain ! Les fleurs magnifiquement épanouies auxquelles elle est aujourd’hui parvenue, aux pétales veloutés, aux couleurs chatoyantes contrastant avec des bleus sombres voulus comme de puissants cris d’amour  ne sont inconsciemment  rien d’autre que  vulves dans  lesquelles  sont  enserrés,  comme prisonniers,  des sexes masculins ! 

    Ainsi, cycle après cycle, Michèle Despretz se trouve-t-elle aux prises avec des rêves qui tournent la plupart du temps au cauchemar ; des fantasmes qui avortent ; de grandes velléités de sortir d’elle-même, de sa difficulté existentielle, pour aller vers autrui ! Mais, chaque fois, ses oeuvres violentes, réalistes sans jamais être choquantes, sont  génératrices d’un malaise ressenti de loin par l’oeil... et de près par le coeur de quiconque tente de fouir cette démarche si psychologique !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998 ET PUBLIE DANS LE N° 60 DE DECEMBRE-FEVRIER DE LA REVUE IDEART.