HAUDE BERNABE PAR LE FEU ET LE FER
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Longtemps, Haude Bernabé a découpé dans d'épaisses plaques de métal rigide, des petits personnages très ludiques, sorte de mythologie personnelle : à l’instar des vieilles photos que l’on ressort avec un brin de nostalgie, leurs couleurs et leurs dénominations ("P’tit Zeff", "La femme du marin"…) ravivaient les souvenirs qui avaient illuminé son enfance : bleu des matelots chaloupant sur les quais du port de Brest où elle est née ; irisation des poissons frétillant sur le pont des bateaux ; vert de la mer démontée ; patine dure des épaves ramassées sur les grèves... Ainsi l'artiste errait-elle, anecdotique sans devenir narrative ; sautillant comme ses personnages, d'une réminiscence à l'autre... au point que pour chaque composition, le titre impliquait la rémanence de moments forts, tout en laissant la forme en devenir, et Haude Bernabé libre d'en jouer à son gré...
Plus tard, elle a décidé de s'arracher à sa mémoire ; se créer un monde nouveau, adulte. Pour ce faire, elle s'est mise à glaner, traquer tous éléments pensables de bois et surtout de métal ; extirper chez les ferrailleurs les éléments des carcasses de voitures ayant, à ses yeux, des formes préexistantes qui l'inspiraient. De ce bric-à-brac, elle arrachait, grandeur nature, ici un Ermite, là un Marcheur... Pas d'esthétisme dans ces assemblages. L’homomorphisme était sa seule "nécessité", mue par un grand sens de "l'évidence" qui poussait le sculpteur à "unir" telles pièces dont les bosselures, les couleurs résiduelles les liaient dans son esprit. Mais là encore, s’imposait une raideur des personnages désormais frustes, à peine ébauchés ; donnant l’impression -erronée- d’être toujours en déséquilibre ; alors qu’en fait, ils étaient solides et matures, sérieux comme des "grands", toisant de leur haut leurs minuscules aînés.
Pendant plusieurs années, elle a exploré le champ des possibilités offertes par cette démarche. Mais, tant il est vrai que pour les artistes authentiques, rien n’est jamais définitif, Haude Bernabé a de nouveau quitté les certitudes acquises. Finis les individus de haute stature et d’incertaine détermination. Elle est parvenue à la concision de la photo d’ "identité". Nouvelle définition où il n’est même plus besoin de membres, ni de ventres : elle soude de lourds cercles métalliques de diamètres différents, insère des boulons aux crantages massifs… génère, souvent évidés, des bustes râblés à peine séparés des têtes par des cous minuscules. Puis, mélangeant des huiles, des pigments bruns, des vernis et autres apprêts, elle les chauffe, afin de les opacifier. Et, une fois refroidie, cette mixture ressemble à s’y méprendre à des peaux boursouflées. Il semble que l’artiste (dira-t-on jamais assez combien le subconscient est fortement actif chez les créateurs sincères ?) n’en soit pas venue délibérément à ce travail, qu’elle n’ait pu qu’en constater les effets, et les entériner en titrant ses œuvres "La peau de la nuit", "A fleur de peau"… (Peut-être, peut-on subséquemment conclure que cette nouvelle génération est encore en gestation ? Ou que Haude Bernabé est maintenant capable de quitter son monde familier de naguère et de côtoyer avec une tendresse toute neuve, ces petits allogènes ? )
Pourtant, tout n’est sans doute pas aussi simple, ni aussi définitif. Car parallèlement à cette série couverte de pellucides épidermes, est "née" une autre "ethnie". Qui, contrairement à ses solitaires prédécesseurs solitaires, serait "socialisée". L’artiste, en effet, construit des groupes, (des familles ?), intitule ces nouvelles créations " Les égarés", "Jardin d’enfants"... Placés là, agglutinés, comme soudés côte à côte, à des hauteurs différentes eu égard à leur taille (à leur âge ? leur atavisme ? à des résurgences mélancoliques qui voudraient retrouver la photo d’école ou réveiller d’anciennes admirations pour des maîtres avérés ? ), ils regardent avec un bel ensemble de leurs gros yeux ronds dans leurs étranges visages bon-enfant, le visiteur situé en off ! Pour eux, aucune peau, nuls atours ; des lignes pesantes, vierges de fioritures. Par contre, grâce à de savants réglages de la flamme de son chalumeau, l’artiste couvre ces êtres grégaires de sobres reflets ou au contraire de brillances irisées. Jusqu’à ce qu’ils aient un petit côté humain infiniment touchant.
Et, parce qu’à ce moment-là la vie s’est faite trop dure pour l'artiste ; parce qu’il lui a fallu se libérer de son mal-être en usant de toutes ses aptitudes ; eux qui ne ressemblent à aucun autre, sont paradoxalement proches de dramatiques portraits dessinés aux pastels, récemment échappés de la main du sculpteur…
Ainsi, bravant les aléas, Haude Bernabé avance, balancée entre mémoire et aventure, redite et création pure ; une création solitaire générée par une profonde nécessité intérieure, et témoignant d’une immense force de vie. Une artiste tellement passionnée, tellement talentueuse, que son œuvre est de plus en plus personnelle, et son style toujours plus particulier !
Jeanine Rivais.
"HAUDE BERNABE DE FEU ET DE FER", PRESENTE LORS D'UN DINER-DEBAT AU LYONS CLUB PARIS DOYEN, AU COURS DUQUEL HAUDE BERNABE AVAIT ETE INVITEE A EXPOSER SES ŒUVRES.
VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES CREATURES DE METAL DE HAUDE BERNABE" : IDEART N° 54 DE SEPTEMBRE 1997. ET BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 61 DE NOVEMBRE 1997 ; ET N° 74 TOME 2 DE JUILLET 2004 : "L'ART SINGULIER A SAINT-JEAN-AUX-BOIS.
VOIR AUSSI : Site http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE ART CONTEMPORAIN.