HERVE THAREL, sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

*****

            Jeanine Smolec-Rivais : Hervé Tharel, pourquoi est-ce que je lis "Schmimblock" sur vos œuvres ?

            Hervé Tharel : C'est le nom de toutes mes œuvres. Quand je les montre, ce sont des Schmimblocks. D'où vient ce nom ? C'est à force de les regarder. Il faut savoir que la plupart mesurent 19 x 25 cm. Mais à la base, c'étaient de petits osselets, des petits cailloux que je façonnais avec de l'argile. En les regardant, le nom est venu.

            Les gens font souvent un rapprochement avec le jeu télévisé du Schmilblick, mais ici c'est "Schmim" qui est pour moi un peu une abréviation de peinture ; et "block" représente le bout de terre.

 

         J.S-R. : J'ai vraiment cru que c'était votre nom de famille. Et je m'apprêtais à vous demander de quelle origine vous étiez !

            H.T. : Souvent, les gens pensent que c'est un nom allemand !

 

         J.S-R. : Venons-en à vos œuvres. Elles sont toutes en terre. Elles donnent l'impression qu'à chaque fois, vous prenez un bloc de terre ; que vous vous acharnez à en enlever des parties ? Il me semble que vous fonctionnez en enlevant, en grattant, en creusant ? Ensuite, vous adoucissez les griffures, vous commencez à les décorer et en même temps à les peupler ?

            H.T. : Oui, il y a de cela, bien sûr. Mais, en fait, il y a deux accouchements : le premier, au niveau du modelage, se fait toujours très rapidement. Parce que c'est une terre auto-durcissante. Mais à la base c'est vraiment de l'argile française, je tiens à le dire, naturelle, dans laquelle je mets une résine pour qu'elle durcisse. Je n'ai donc pas besoin de four, et au bout de huit heures, le durcissement est terminé.

            Il est sûr que cette étape se fait avec une certaine violence. Pour ce que vous dites de "l'arraché", c'est vrai pour certains; pour d'autre, il y a du collage ou de l'assemblage. Cela dépend vraiment des œuvres. Il y a différentes approches pour chaque œuvre.

            Je ne sais pas forcément où je vais, mais cela n'a pas vraiment d'importance. En tout cas, la deuxième partie est bien plus longue. Le deuxième accouchement est la peinture. Et là, je peux travailler sur huit/dix mois !

         J.S-R. : Quand vous avez façonné le bloc de terre, avez-vous une idée de ce qu'il va devenir ? Parce que, pour l'un je vois un bec d'aigle ; un autre m'a fait penser à un crocodile. Est-ce volontaire ? Ou la forme reste-t-elle aléatoire ?

            H.T. : Pour ces deux œuvres, la forme n'est pas aléatoire. Pour le "crocodile", je suis parti d'un morceau de bois, travaillé par l'eau, qui m'avait été rapporté de la Réunion. J'ai tellement aimé cette forme, et cet objet qui est pour moi très fort, que j'ai voulu la reproduire. Je me suis imposé de respecter ce point de départ. Après, au niveau de la peinture, libre à moi !

            Pour d'autres œuvres, comme celle que j'appelle "Schmimblockkor'o" qui fait un peu penser à la mer avec ses petits monticules, là, c'est le hasard. Mais mon point de repère, c'est la nature, toujours. Chez moi, j'aime regarder pendant des heures un arbre, une branche, un détail de fruit pourri, une aile de papillon…C'est ce qui m'interpelle, et c'est ce que j'essaie de recréer dans mes œuvres.

 

         J.S-R. : Parlons de celui qui domine la situation et qui me semble à part parce que vous avez une petite tête qui sort de chaque protubérance : les avez-vous sculptées sur la tête originelle ? Ou les avez-vous recollées après ?

            H.T. : Celui-ci est un bon exemple de ce que nous disions au début : c'est du modelage, de l'assemblage. Mais aujourd'hui, je travaille beaucoup plus sur un bloc que sur de l'assemblage. Celui-ci est particulier, parce qu'il a des visages qui ne sont pas peints.

            Dans la vie, je suis comédien ; et j'ai voulu redonner un peu de mes origines ; et c'est le rôle de cette œuvre-là. Et puis il y a aussi beaucoup de prétention, c'est une œuvre très remplie, très décorée. Je devais la présenter pour une exposition, et on m'avait défié de faire des gros objets ! Vexé et prétentieux, j'ai voulu mettre le paquet ! Je n'aime plus vraiment cet objet-là, parce que j'ai mis dedans beaucoup de prétention et d'orgueil ; et aujourd'hui je pense faire des choses plus sereines, plus tranquilles.  

J.S-R. : L'un d'eux, que vous avez peint en noir et blanc, me semble construit exactement sur le modèle d'une sculpture de Dubuffet qui se trouve en banlieue parisienne.

            H.T. : Cela me fait plaisir ! J'ai vraiment découvert Dubuffet quand j'ai commencé à présenter mes Schmimblocks, parce que les gens m'en parlaient beaucoup. Ce n'est pas étonnant que je m'en sois inspiré, parce que je m'y suis beaucoup intéressé.

Ce qui m'intéresse aussi, c'est que mon travail évolue en fonction des gens que je rencontre, artistes ou visiteurs dans les marchés ou les expositions. Il y a une évolution, mais je ne force pas le trait. Les choses viennent tranquillement. Comme ma création, parce que ce n'est pas un travail fait du jour au lendemain, c'est vraiment un travail de longue haleine. Chaque objet que vous voyez là a une année d'histoire.

 

         J.S-R. : Cet objet est également conçu différemment des autres sur lesquels vous avez des petits passages avec des traits, des petits points, des yeux, des motifs presque floraux, etc. Tandis que celui que vous venez d'évoquer est plutôt thémique, avec le côté obsessionnel du point (points qui font penser à des petits œufs de grenouilles). Sur celui-là, vous n'avez pas des sujets variés, vous n'avez que cette progression à partir de ces petits œufs.  

            H.T. : Oui, c'est bien cela. Et on reste encore dans la nature. L'arrondi est important, surtout qu'il a la forme d'une colonne, plus ou moins cassée, abîmée… J'ai voulu de l'arrondi dans cette colonne abîmée. Il y a aussi des taches dont quelqu'un m'a dit qu'elles ressemblent à des petites cellules.

 

         J.S-R. : Quand vous me dites que l'une de vos œuvres s'intitule "Kor'o" qui est un jeu de mots avec les coraux : est-ce à dire que, dans votre esprit, ce bloc est un bloc de coraux. Ou est-ce seulement un jeu de mots ? Une assonance ?

            H.T. : Les sous-titres -les prénoms que j'ai dû leur donner, puisqu'ils s'appellent tous Schmimblocks- l'ont été à mon corps défendant. Je ne voulais pas leur donner de prénoms. Puisqu'ils avaient tous un nom, je voulais laisser aux gens la liberté de définir eux-mêmes l'objet. Mais quand on m'appelait pour des commandes, ou que certaines personnes voulaient revoir certains Schmimblocks et voulaient les définir, c'était très compliqué. Du coup, ils ne comprenaient pas, parce que pour moi, ce n'est pas forcément du corail. Ce peut être tout autre chose.

         J.S-R. : Si c'est autre chose, qu'est-ce que c'est ?

            H.T. : A vous d'interpréter. Vu l'orthographe que je lui ai donné, je laisse la liberté au corps, à toute autre chose. De toute façon, ce n'est pas facile de dire vraiment, parce que ce serait se dépouiller totalement.

           Pour moi, ce sont des assemblages de pierres, et chaque petit univers peint sur cet objet, sont de petits villages, etc. Ce n'est pas forcément un objet à part entière, mais plein d'univers dans d'autres univers, dans d'autres univers, dans… Ce sont plutôt des peuplades, en fait.

 

         J.S-R. : Mais cela est votre fantasme. Parce que, à la limite, je dirais que c'est de l'Art abstrait. A partir du moment où vous y voyez des villages ou des peuplades, c'est votre fantasme, et cela devient de l'ordre du discours.

            H.T. : Oui. Je suis d'accord avec vous. Pour moi, dans une œuvre, il y a différents univers. Un univers ne correspond pas à un autre. Sur une pierre, sur un nuage, chacun voit ce qu'il veut. Du coup, le fait de ne pas vouloir absolument "donner quelque chose" me laisse une liberté de travail.

 

         J.S-R. : Je regrette que vos œuvres soient placées aussi hautes, parce que certaines présentent de très nombreux trous : pour vous, les trous sont aussi importants que les pleins ou les protubérances ?

            H.T. : Oui. Je trouve intéressant que vous releviez ce détail, parce que je vais travailler de plus en plus sur l'espace vide. C'est-à-dire que mes œuvres vont être amenées à être moins en bloc, mais plus ouvertes, éclatées, avec des espaces vides, de l'air qui circule. Travailler le creux.

Pour répondre à votre remarque sur la présentation, on m'a proposé d'être sur ce bar qui a été magnifiquement habillé de blanc. Comme j'avais des socles noirs, je les ai mis. Du coup, je suis très content d'être ici, parce que c'est l'entrée de l'expo, et mes sculptures sont vraiment mises en valeur. Il est vrai qu'après, si on veut vraiment les observer, il faut les toucher, ce que je permets dans les expos. Pour moi, c'est important. Le Schmimblock a été créé pour cela au départ. J'ai remarqué que les gens touchent plus facilement les sphères que les blocs, sans doute à cause de leur côté boule, un peu universel.

         J.S-R. : Je trouve que vous êtes vraiment un très bon coloriste. Il y a des harmonies de couleurs remarquables dans votre travail. Et je ne parle pas de cette espèce de dentelle que vous créez, je ne parle que des associations de couleurs. Ce que vous avez appelé "des îlots". Des couleurs différentes qui déterminent vos îlots. J'éprouve un plaisir très esthétique à regarder ces harmonies.

            D'après ce que je vois, c'est que, lorsque vous avez placé par exemple un fond de bleu, vous allez ajouter dessus de minuscules particules, des points, de toutes petites formes géométriques… Donc, en fait, c'est un travail infiniment précis, infiniment minutieux : à quel moment décidez-vous que vous avez mis le dernier point ?

            H.T. : Ce que vous dites là est intéressant, parce qu'en fait, je ne le sais pas ! A un moment donné, je "sais" que c'est fini. Je m'étonne toujours, parce que j'ai l'impression que ce n'est pas moi qui décide. Que je suis arrivé au bout, mais je pense que c'est une vraie gymnastique, parce que je peins tous les jours, deux ou trois heures par jour. C'est presque un rituel. Et, à un moment donné, dans le rituel, "ma prière se termine". Il y a une pause. C'est la fin.

 

         J.S-R. : Donc, pour vous, votre œuvre irait beaucoup plus loin qu'une importance sociologique, autour des populations que vous y introduisez, cela deviendrait de l'ordre du rituel, comme vous venez de le dire ?

            H.T. : Oui, dans ma façon de travailler. Dans la cadence.

 

         J.S-R. : Vous avez prononcé le mot "prière", tout de même. Ce n'est pas innocent.

            H.T. : Oui, mais je ne travaille pas en termes de peinture avec la vitesse et la brutalité du modelage. Pour la peinture, il y a quelque chose de serein, je travaille surtout la nuit. Dans le calme de la nuit.

 

  

         J.S-R. : Vous passez de la boule, c'est-à-dire par définition une œuvre géométrique très régulière ; à ces formes où on ne peut savoir ni où est le début ni où est la fin, comment réagissez-vous face aux uns et aux autres ?

            H.T. : Il n'y a pas d'ordre. Parfois, je me fais penser à ces insectes qui butinent d'une fleur à l'autre. Mon pinceau fait un peu comme eux. Il butine, il se balade, il se promène, il laisse quelque traces. D'ailleurs, je ne sais jamais trop ce que je vais faire en terme de peinture sur l'objet. Il n'y a donc pas de début, de fin. Jusqu'à ce que j'aie l'impression que j'ai fini un voyage entre moi et l'objet. Quant à la signature, je la mets à un moment donné, mais je ne sais jamais où elle est ! Cela intrigue beaucoup de gens ! Mais il y a tellement de crevasses, de trous, de protubérances, comment la retrouver ? Sur certaines, il y a au moins cinq signatures, parce qu'à un moment donné, je ne sais plus si j'ai ou non signé !

 

         J.S-R. : En fait, on pourrait donc dire qu'à part cette notion de base concernant les populations, et les îlots, vous travaillez dans des harmonies aléatoires ?

            H.T. : On va dire ça, c'est bien !

 

ENTRETIEN REALISE A LA BIENNALE HORS-LES-NORMES DE LYON, LE 2 OCTOBRE 2011.

 

Détail
Détail