JACKY MOUVILLAT, musicien et architecte

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais.

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Jeanine Smolec-Rivais : Jacky Mouvillat, voilà trois ans que nous nous côtoyons. Mais jusqu'à présent, c'était pour vous entendre jouer de cet instrument original, le stick Chapman.

            Jacky Mouvillat : Oui. J'accompagnais Anaka¹ au cours de ses expositions. Mon métier est le dessin. Je travaille dans l'architecture, et je fais surtout des beaux dessins pour attirer les clients. Jean-Luc Bourdillat est venu chez moi, il a vu mes dessins, et m'a incité à faire quelque chose pour son festival. Il m'a poussé à présenter un projet. Ma première idée a été de réaliser un petit théâtre en carton et de jouer du stick à l'intérieur. Mais comme le festival ne dure que deux jours, cela me semblait un peu court pour réaliser ce projet. J'ai donc soumis l'idée de réaliser une boule en carton que j'ai appelée "Tripode Musicool". J'ai créé une musique avec des vers que m'a offerts Anaka, des mots que je dirai à la fin du festival, afin de créer un évènement, une performance. Je vais me placer au milieu de la salle, demander aux gens de m'aider à découper le carton, et se mettre ensuite dans la boule afin d'écouter la musique que j'ai créée spécialement pour le festival. Avec des vers, des voix et le stick Chapman. C'est une aventure, parce que c'est quelque chose que je n'ai jamais fait. Je me suis contenté d'envoyer quelques petits dessins que j'ai faits chez moi. Cette sphère mesurera 1,50 mètre de diamètre. Posée sur trois pied, le tout en carton recyclable, que j'ai récupéré dans des magasins. Une aventure bien singulière !

jacky mouvillat au stick chapman en 2009
jacky mouvillat au stick chapman en 2009

         J.S-R. : Le rapport entre cette boule très sophistiquée et esthétique et l'Art singulier, serait donc la Récup' ?

            J.M. : Oui, la récup'. Et puis c'est une œuvre singulière qui n'a jamais été faite.

 

         J.S-R. : Oui mais "singulier" est employé au sens de "original". Tandis que, dans le festival, le mot singulier a le sens de "marginal".

            J.M. : Je comprends. Et puis, surtout, mes dessins sont très précis, comme ce qui se fait en architecture. J'en ai fait un pour la Bézubanq², mais je ne les voyais pas très bien dans le festival. Par contre, une réalisation singulière au sens d'original me paraissait un bon gag, et Jean-Luc a été enthousiasmé par cette idée.

 

         J.S-R. : En même temps, cette boule que vous appelez "un petit théâtre", ressemble beaucoup à l'Atomium ?

            J.M. : Oui. En fait, il ne s'agit pas de l'Atomium, mais d'une construction indienne. Je rentre de l'Inde où je suis allé faire avec des Indiens, des enregistrements pendant un mois et demi. Nous nous sommes réfugiés à Auroville, une "Utopie-ville" qui a été créée autour de Sri Aurobindo par les soixante-huitards partis en Inde et regroupés autour d'un gourou. La ville est au bord de la mer. Le centre en est une boule de feu appelée "matrimandir", une vraie cathédrale recouverte d'or. Des savants du monde entier se sont retirés à Auroville. Les gens qui y vivent essaient d'y vivre sans argent, sans toutes les relations faussées que nous avons dans notre société. C'est ce matrimandir qui m'a inspiré, et donné l'idée de créer une cabane musicale.

le tripode musicool en construction
le tripode musicool en construction

         J.S-R. : Cette boule que vous êtes en train de réaliser est constituée uniquement de bandes circulaires entrecroisées, de croisillons sur lesquels vont être fixées des plaques.

            J.M. : Oui, la difficulté venant de ce qu'il s'agit de carton ; que les trois pieds également en carton sont très légers et le centre de gravité se situe très haut. Tout cela s'écrase. Alors, j'ai triché un peu, je suis allée chez Karianne¹ et je lui ai emprunté des tendeurs qui vont fixer le tout, le temps du festival. C'est vraiment une œuvre éphémère que je ne vais pas remmener chez moi !

 

            J.S-R. : Peut-être pourrait-on envisager de l'accrocher quelque part, lors d'un prochain festival ?

            J.M. : Oh non ! L'idée était de faire participer des gens à la construction. Cet aspect-là est réussi. Cela les amuse parce qu'ils ne comprennent pas ce que je veux faire à la fin, alors ils posent beaucoup de questions !

 

         J.S-R. : Mais, puisqu'ils n'ont qu'une "vue" partielle de l'œuvre finale, ne risquent-ils pas de mal œuvrer ?

           J.M. : J'ai pensé à l'avance à la façon dont il faudrait procéder. En fait, cette construction est juste une utopie, elle aussi. Nous verrons bien. Finalement, même si elle s'effondre, il n'y a aucun risque, le carton ne pouvant blesser personne.

 

         J.S-R. : En somme, demain où elle est supposée être terminée, les "visiteurs" qui vont s'introduire dans cette boule, seront invisibles. Seuls, leurs pieds dépasseront ! Ce sera une vraie aventure !

            J.M. : Nous verrons !

 

         J.S-R. : Sur ce projet ou sur d'autres sujets comme votre musique par exemple, y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je pose, et que je n'ai pas posées ?

            J.M. : Il pourrait y avoir des tas de choses, mais dans ce cadre de l'Art singulier où je me trouve, nous ne sommes pas là pour parler musique. Je veux seulement dire que, depuis trois ans que je viens à ce festival, j'ai découvert cet Art singulier qui me touche vraiment. J'étais allé à Lausanne au Musée d'Art brut, et j'avais été très touché. J'avais donc une petite notion de ce que l'on pouvait trouver ici, mais j'ai été surpris par la beauté et la diversité des œuvres, et je suis très fier de participer à ce festival.

 

         J.S-R. : Donc, vous êtes un artiste heureux ?

            J.M. : Oui. Pleinement !

¹ ANAKA : VOIR ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : GRAND BAZ'ART A BEZU 2009

KARIANNE : VOIR ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : GRAND BAZ'ART A BEZU 2010

² En 2011, Jean-Luc Bourdillat a décidé de demander aux artistes de créer des billets de banque appelés "bézubanq" (seul le format étant imposé) qui sont installés sur le site du festival.

Entretien réalisé au GRAND BAZ'ART A BEZU, le 11 juin 2011.