JOSIANE COSTE-COULONDRE, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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         Jeanine Smolec-Rivais : Josiane, vous affectionnez les petits personnages tendres, un peu naïfs, sans cou la plupart du temps, donc la tête rentrée dans les épaules, toujours vus de face lorsqu'ils sont seuls, et de profil seulement lorsqu'ils sont en couples ; la tête un peu penchée comme s'ils réfléchissaient avant de dire quelque chose d'important : Que nous disent-ils ?      

            Josiane Coste-Coulondre : Je crois qu'ils expriment surtout la naïveté. Je rentre bien dans le cadre du thème du festival : "Nul ne guérit de son enfance". Chacun est un petit personnage émerveillé, qui observe le monde qui l'entoure.

            Le fait qu'il soit sans cou tient à une petite anecdote : cet été j'ai montré mes tableaux à une dame qui m'a dit : "Ah ! Vous avez vu ? Vous avez oublié de faire les cous !" Je n'ai pas osé lui dire que ce n'était pas un oubli ! Je lui ai dit : "Vous avez raison. Je vous promets qu'au prochain tableau que je ferai, mes personnages auront des cous !" Je l'ai fait, et je l'ai intitulé "Les cous". Mais cela a été le seul ! Aussitôt après, j'ai recommencé à faire mes petits personnages sans cou!

 

         J.S-R. : Alors la question incontournable est : Pourquoi les voulez-vous sans cou ?

            J.C-C. : Je ne sais pas ! Je n'ai aucune explication.

 

J.S-R. : L'expression "rentrer la tête dans les épaules" s'emploie généralement lorsque l'on a un peu peur.

            J.C-C. : Mais peut-être est-ce parce qu'ils sont dans "leur" monde ; qu'ils observent celui qui les entoure, et que ce qu'ils voient les effraie un peu ? Mais je n'ai pas vraiment la réponse.

 

         J.S-R. : Sauf un, ils sont incomplets. Au mieux, on les trouve jusqu'à hauteur des jambes, mais ils n'ont jamais de jambes. Ce qui m'a fait penser, l'autre soir, en regardant vos œuvres, que si vous leur aviez mis des jambes, ils auraient pu entrer dans un œuf. Comme s'ils avaient juste terminé leur gestation.

            J.C-C. : Exactement. Et ce sont quand même des morphologies de bébés. La plupart ont de très grosses têtes. Il est vrai que je leur fais rarement des jambes. A la maison, j'en ai quelques-uns qui sont entiers, mais en fait, ils sont presque tous en buste.

 

         J.S-R. : Comme des photos d'identité, en somme.

            J.C-C. : Voilà.

 

         J.S-R. : Mais alors, le problème est que l'on peut penser qu'ils sont des oves, des œufs atrophiés, incomplets ! La tête est bien le sommet de l'ove, mais il manque le bas, justement par absence de jambes. Puisqu'ils ont des bras, certes, mais atrophiés donc sans mains, ils ne peuvent rien prendre ; et puisqu'ils n'ont pas de jambes, ils ne peuvent aller nulle part. Pourquoi sont-ils condamnés à l'oisiveté sur place ?

            J.C-C. : Peut-être parce qu'être observateurs leur suffit ? Je ne me suis pas posé toutes ces questions !

J.S-R. : Oui, mais elles sont là ! D'autant plus qu'ils sont sur des fonds non signifiants.

            J.C-C. : Cela dépend : par endroit, si l'on regarde bien, il peut y avoir de petits monstres ; de petites têtes ; ils peuvent s'embrasser sans que personne ne les voie. Ceux que j'ai intitulés "Les sans papiers" sont observés par tout le monde. .. Le fond a parfois une importance.

 

         J.S-R. : Examinons-les physiquement : nous avons dit que ce sont des personnages incomplets. Que le corps est un corps-tronc avec juste une amorce de bras, sans mains. Ce corps n'est jamais linéarisé de façon à ce que l'on puisse savoir si c'est une fille ou un garçon. Alors sont-ils asexués ?

            J.C-C. : Ah non ! Ils sont sexués. Pour moi, il n'y a pas de doute, je sais spontanément si ce sont des garçons ou des filles.

 

         J.S-R. : C'est donc intuitif.

           J.C-C. : Oui. Cela nous fait beaucoup rire avec mes enfants, lorsqu'ils me parlent de l'un de mes personnages, et qu'ils disent "elle…" et que je m'insurge en affirmant que c'est un garçon ! Non, non, ils ont leur sexe !

 

         J.S-R. : Mais où est-il ? Il est bien caché ! D'autant que vous ne descendez jamais jusqu'à lui !

            J.C-C. : Oui, mais quand je les peins, je sais si ce sont des garçons ou des filles !

 

         J.S-R. : Tous ont une toute petite bouche, mais de très gros yeux, dans lesquels se situe parfois ce qu'ils sont en train de penser. L'un a des étoiles, un autre ce qui me semble être un petit cheval…

            J.C-C. : Ce ne sont pas forcément des dessins. Non, je ne crois pas.

         J.S-R. : Donc, ce sont leurs pupilles qui sont simplement fantaisistes ?

            J.C-C. : Oui.

 

         J.S-R. : Leurs cheveux sont, eux aussi, on ne peut plus fantaisistes. Ils sont tout embroussaillés, jamais bien lissés. Je dirai que tous vos personnages sont hirsutes.

            J.C-C. : Je pense qu'ils se réveillent. Peut-être sortent-ils d'un rêve, d'un cauchemar ?

 

         J.S-R. : Pour la plupart, on voit bien qu'ils ont un nez ; mais qu'est-ce que cette barre qui traverse leur visage ?

            J.C-C. : Cela a posé problème aux gens qui visitaient, hier. Beaucoup m'ont demandé pourquoi je barrais tous les visages ?

 

         J.S-R. : Moi j'ai pensé à la censure, même si cela me semblait incongru ! Mais c'est tellement récurrent que cela a forcément un sens fort ?

            J.C-C. : En effet, l'idée de censure ne serait pas du tout dans l'esprit des tableaux. Cette barre matérialise un nez, tout simplement.

 

         J.S-R. : Elle serait donc le nez ? Tout de même, elle est tellement omniprésente ! Elle fait descendre la bouche au niveau du menton ! Elle ne peut pas être "innocente" !

            J.C-C. : Souvent, je mets des écritures sur ce nez. Et ce ne sont pas des écritures choisies au hasard, elles sont là pour faire passer un message.

 

         J.S-R. : Et que dit ce message ?

            J.C-C. : Là, c'est un texte de Pierre Rabhi¹ que j'aime beaucoup. Ailleurs, c'est un texte que j'avais écrit. Des textes que j'aime bien, en fait. Sur l'amour du couple, l'envie de s'embrasser. C'est souvent le message du tableau.

 

         J.S-R. : Sur certains corps, vous avez en plus des dessins (des moutons, des chèvres…), des écritures… Quelle est la signification de ces ajouts ?

            J.C-C. : Pour certains, c'est simple, comme celui que j'ai intitulé "La vie en vert", qui symbolise donc la nature. Un autre qui est la brute de quartier, est intitulé "L'été sera show"… "Le bruit, la fureur et le tumulte" suggère le petit bagarreur de banlieue.

 

         J.S-R. : En fait, l'écriture qui est sur leur nez ou leur corps annonce leur personnalité ?

            J.C-C. : Pas toujours.

 

         J.S-R. : S'il fallait résumer l'esprit de votre travail, que diriez-vous ?

            J.C-C. : La naïveté, l'émerveillement, et peut-être un peu le fait d'être en retrait du monde actuel ?

J.S-R. : Question traditionnelle : y a-t-il des thèmes que vous auriez aimé évoquer et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

            J.C-C. : Peut-être comment j'en suis venue à cette forme de création ? J'ai habité un certain temps à Grenoble et à Nîmes. J'ai suivi des cours du soir aux Beaux-arts. Des apprentissages très académiques, des nus, des natures mortes. J'avais toujours envie de faire de la peinture, mettre de la couleur. Et puis, plusieurs facteurs se sont combinés : j'ai arrêté le travail, je me suis inscrite dans un atelier aux Vans. On m'a offert un carton énorme rempli de matériel. J'ai commencé à peindre, en tâtonnant un peu. Et puis, l'an dernier, je suis venue voir le festival. Quand je suis rentrée dans cette immense salle, cela a été le déclic ! Je me suis dit : "Voilà, c'est ce style-là que je veux faire" ! C'était vraiment ce que je cherchais. En rentrant à la maison, je me suis mise à peindre. Comme je ne voulais pas avoir l'air de peindre "pour rien", j'ai choisi comme prétexte de décorer les vitres que je possède. Puis j'ai commencé à faire certains tableaux, et je ne me suis plus arrêtée !

 

         J.S-R. : Il y a tout de même un sujet que nous avons oublié, c'est que ce sont des collages.

            J.C-C. : Pas tous. Assez souvent, c'est un support de papier froissé collé sur lequel je peins. Mais pas tout le temps.

 

         J.S-R. : Qu'est-ce qui détermine que, par moments, vous ayez envie de les peindre ; à d'autre de vous appuyer sur des papiers collés ?

            J.C-C. : En général, ceux qui sont grands sont des collages. Cela me donne une matière au fond que j'apprécie beaucoup.

 

         J.S-R. : Donc, Banne est votre première exposition ! Qu'avez-vous ressenti en vous installant dans les Ecuries ?

            J.C-C. : J'avais peint tout l'hiver, seule dans ma cuisine, dans mon monde. Et souvent, quand je termine un tableau, je suis contente de ce que j'ai fait. Mais quand je suis arrivée avant-hier, et que j'ai vu tout ce qu'avaient fait les autres, quelle émotion ! J'ai eu un grand doute ! Mais le public me dit que c'est bien, alors cela m'encourage. Quand on ne côtoie pas d'autres artistes, il est difficile de se trouver tout à coup avec eux !

 

         J.S-R. : Oui, c'est souvent leur drame !

            J.C-C. : Mais j'ai été bien acceptée, alors tout va bien. Même si le premier jour, mes tableaux se sont décrochés ! Cela a été comme un bizutage ! Mais je suis très contente d'être venue.

Entretien réalisé dans les Ecuries, au festival de Banne, le 4 juin 2011.

¹ Pierre Rabhi (Kenadsa, Algérie 19381) est un agriculteur, philosophe et essayiste français d'origine algérienne, inventeur du concept « Oasis en tous lieux ». Il défend un mode de société plus respectueux de l'homme et de la terre et soutient le développement de pratiques agricoles respectueuses de l'environnement et préservant les ressources naturelles, l'agroécologie, notamment dans les pays arides.