BEATRICE A-COURLET, alias BEA.A

Sculpteur

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Jeanine Rivais : Béa, parlez-nous de votre travail ?

Béa.a : En fait, je voudrais vous expliquer que j'ai beaucoup de difficultés à mettre en mots ce que je fais. Beaucoup d'artistes intellectualisent leur art. J'en suis incapable. Et pourtant, le paradoxe, c'est que j'ai été pendant quarante ans chercheur en économie. Je dessinais sur du papier ce que je découvrais. J'ai écrit des livres. Tout cela, je sais le faire. Mon monde a donc toujours été l'écriture, les papiers.

            Il y a trois ans, je me suis mise à l'art. Et là, a commencé ma difficulté à expliquer pourquoi mes sculptures sont ce qu'elles sont. Pourquoi elles sont grosses ? Pourquoi elles sont en couleurs ? Pourquoi elles bougent?    

 

J.R. : Ce qui est amusant, c'est qu'en énumérant comme vous venez de le faire, les questions qui se posent ou que l'on vous pose, vous avez énuméré toutes les caractéristiques des œuvres ! Que l'on sache pourquoi elles sont ainsi, n'est pas très important !

Vous êtes sud-américaine ?

Béa.a : Oui, je suis brésilienne.

J.R. : Je dirai que votre création est un travail de mémoire ? Que, pour des Français, vos personnages semblent exotiques.

Béa.a : Par contre, si vous allez au Brésil, vous ne les retrouverez pas. C'est là, la contradiction. Les gens expliquent ces personnages par mes origines.

Ce sentiment tient peut-être à la couleur ?

 

J.R. : Oui, sans aucun doute. Et puis les bijoux, les cheveux, en majorité noirs et frisés, mais aussi d'autres fois, de couleurs très crues…

Béa.a : La taille, peut-être. S'il peut y avoir un rapport, il tient au fait qu'au Brésil, nous n'avons pas de préjugés avec les corps. Les femmes corpulentes se retrouvent partout, mais là-bas, elles sont très à l'aise avec leurs corps. Rien de comparable avec la situation en France, où les femmes guettent la minceur, veulent être filiformes. Les hommes ne les regardent pas comme ici, les comportements sont plus naturels. Avec la chaleur, les femmes se montrent, elles sont dénudées. Ce n'est pas pour être sensuelles, pour être sexy, c'est pour être à l'aise. Elles n'ont aucun tabou par rapport au corps.

J.R. : Vos femmes sont en terre ?

Béa.a : Oui, des terres cuites.

 

J.R. : Et ensuite, vous réalisez ces teintes irisées avec des émaux ?

Béa.a : Non, je travaille avec de l'acrylique.

 

J.R. : Vous les peignez donc une fois cuites ?

Béa.a : Oui. Ceci est la première étape. Puis vient celle des tissus. J'adore les tissus. J'ai une technique spéciale. J'utilise un produit écologique, une colle spéciale , le "power-tex" qui vient de Belgique. Cela me permet de durcir les tissus, les bijoux, les fils que j'utilise pour les cheveux. Tout est retouché, tout est dur. Cela devient une sculpture. En fait, ces produits sont utilisés pour d'autres choses, mélangés à des poudres. Moi, je les détourne, et cela me permet de travailler les tissus à ma façon.

Je travaille aussi parfois avec des cailloux, des pierres que j'habille aussi, mais c'est toujours la même technique, les mêmes matériaux. A la limite du kitsch.

J.R. : C'est exactement ce que j'allais vous dire ! Mais, ce qui est curieux, c'est qu'elles sont très grosses, elles sont très kitsch, mais en même temps, elles restent très attirantes. Elles sont féminines dans toute l'acception du terme. Et à l'évidence, elles sont toutes très coquettes.

Béa.a : Coquettes, oui !

 

J.R. : Chacune donne l'impression que quelqu'un est là, en off, en train de la regarder ; et pour qui elle se donne du mal ! Elles sont, avec cette coquetterie, dans un mouvement de représentation.

En même temps, ces mélanges de couleurs que vous faites, les unes avec des cheveux jaunes, d'autres rouges, etc., ces tailles exacerbées, qui d'ailleurs sont paradoxales par rapport à vous qui êtes mince…

Béa.a : A ce propos, j'ai été très vexée lors d'une rencontre avec un journaliste qui avait écrit : "voilà une femme filiforme qui crée des personnages énormes" ! Certes, je suis mince, mais j'adore les rondeurs. Et je ne suis pas vraiment mince, mais je sais qu'il y a des femmes qui cherchent la minceur excessive. Je trouve qu'aujourd'hui, la femme se cache, à la limite parfois de l'anorexie ! Je trouve que cette attitude n'est pas conforme au monde réel. Pour moi, la féminité est de toutes tailles. Chacun est comme il est ! Il faut exploiter cette féminité !

 

J.R. : Pendant que vous parliez, j'en suis venue à penser à Botero…

Béa.a : J'adore Botero !!

J.R. : Mais ses femmes sont raides, tandis que les vôtres sont toujours dans un mouvement, pleines de vie.

Béa.a : Je ne sais pas trop, mais je crois que je les fais ainsi par une sorte de provocation ; pour faire réfléchir les gens, J'ai eu des clientes qui m'ont acheté plusieurs de mes œuvres, et ces femmes étaient rondelettes, mais elles respiraient la joie d'être ainsi, et je trouve cette attitude merveilleuse. Pour moi, le plaisir est de s'assumer de façon gaie.

 

J.R. : Question traditionnelle : y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je vous pose et que je n'ai pas posées ; des thèmes que vous auriez aimé traiter et que nous n'avons pas abordés ?

Béa.a : Non. J'ai bien aimé ce que nous avons dit. Et, finalement, vous m'avez amenée à parler sans problème de mes œuvres !

Entretien réalisé à Banne le 3 juin 2011, dans la salle d'Art actuelle.