IXe BIENNALE DES ARTTSSINGULIERS ET INNOVENTS

SAINT-ETIENNE 2024

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HALLE DE L'HÖTEL DE VILLE, LANCEMENT DE LA BIENNALE 2024

Lancement de la Biennale : Louis Molle, Lise Van Baaren, et les responsables du service culturel de la ville
Lancement de la Biennale : Louis Molle, Lise Van Baaren, et les responsables du service culturel de la ville

          Décidément, celui qui a écrit que l'imagination des artistes est infinie a exprimé-là une idée au-dessous de la vérité ! Car, si tous sont capables de composer leurs œuvres avec toutes sortes d'objets hétéroclites, pouvant aller jusqu'aux déchets et épluchures, personne, semble-t-il, n'avait pensé à prendre des cagettes (plus banal que cet objet, tu meurs !), les découper en lanières de deux centimètres environ (imagine-t-on le travail, la patience et le mal aux mains que représente cette prouesse ?) et les combiner pour réaliser oiseaux, coquillages, animaux, etc. Auxquels elle ajoute un soupçon de métal et d'écorce ! Telle est la performance de Lise Van Baaren ! 

 

          Ainsi, ayant choisi surtout un monde animalier, passe-t-elle, sans complexe, d’un sujet à l’autre, offrant au visiteur quelques surprenantes propositions. Car elle a, apparemment, cette facilité à concevoir ses œuvres non seulement comme des objets plus ou moins "discrets" séparés par un espace neutre qui les entoure, mais comme pris dans le monde, modifiés par lui, leur donnant du sens à travers leur relation… Elle ne s'impose pas, pour ce faire que des choix diversifiés, des supports variés (grandes sculptures, rondes-bosses, petits formats…), elle agit aussi dans la conception d’une installation, qui fait du spectateur un agent essentiel.  Sachant que celui-ci va vouloir "tourner autour" de chaque réalisation, donc changer de points de vue, elle dispose ses objets de telle sorte qu'une perspective lui permettra de considérer l'ensemble comme un "tout" ; ou bien au contraire, de percevoir chaque élément sans qu'aucun autre ne trouble sa vision !  

 

            Pour en venir à cette perception, il faut à Lise Van Baaren concevoir ses œuvres autrement que les traditionnelles sculptures de bois, pierre, etc. De la première lanière installée, jusqu'au moment où elle décide que tout étant parfaitement équilibré, l'œuvre est finie, il lui faut pressentir la suivante qui va être le prolongement ou l'antithèse de la précédente. Sentir que de cette façon, les croisillons seront solides, apporteront du sens à la sculpture en gestation ; la colle donnant une forme définitive à la construction ! Une tête de cheval, un busard tendu vers une proie, un poisson, un coq… forment alors le florilège de cette œuvre fortement marquée par le poids de l’objet, ou plutôt son absence de poids, car, contrairement aux œuvres de terre dont le poids augmente à mesure que se construit l'œuvre, l'ensemble des lanières reste certainement d'une légèreté inattendue. Pressentant cette différence, le visiteur ne manque pas d'être intrigué par cette composition qui n'a évolué comme aucune autre ! 

 

          Tout de même, tout ne peut pas être parfait dans le monde de cette artiste : ce matériau si curieux est on ne peut plus sensible aux variations hygrométriques, aux différences de températures et au souffle du vent ! Ce qui l'impose impérativement et strictement comme des sculptures d’intérieur.

          Néanmoins, cette création hors-normes et originale, fait de Lise Van Baaren une créatrice sans limites, sans préjugés, sans contraintes. Le résultat est une œuvre protéiforme et cependant de la plus parfaite unité. Finalement, cette absence de définitions et cette recherche de formes tellement différenciées, n'est autre, pour la sculptrice, qu'une quête de liberté, apportée par ce nouveau matériau. Le plaisir, l'envie d'éviter le plein, d’exprimer le vide, l’espace, la lumière, la résonance avec tout ce qui fait partie de la troisième dimension ! 

Jeanine RIVAIS

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CENTRE SOCIAL BEAULIEU

MARION NARBONNET

MARION NARBONNET ET SON TOUR DES TROQUETS

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Est-ce son métier de psychomotricienne auscultant des patients de tous âges, toutes origines, toutes disgrâces qui a amené Marion Narbonnet à transmettre ses réactions à ses œuvres, peintures ou dessins ? Elle présentait récemment une série qu'elle affirmait être de trente-et-une aquarelles, toutes différentes, et cependant présentant toutes les mêmes caractères.

          Et d'abord, pourquoi ses personnages n'ont-ils jamais de jambes ? Parce qu'ils ne vont nulle part, bien sûr ! Parce qu'ils sont tous assis à une table de leur troquet favori. Ils sont d'ailleurs toujours incomplets, comme si chez eux, la fonction créait l'organe : ainsi, ont-ils tous des bras et des mains, qui leur sont indispensables pour tenir le verre ou la bouteille qui leur est compagnie ! ! Ils sont tous pourvus d'une tête, aussi, même si, pendant des heures, ils restent immobiles, les yeux dans le vague, complètement introvertis mais montrant qu'ils sont là, qu'ils pensent, bien que leur pensée soit unique : la solitude, le vide de leur existence.

          Un tel immobilisme permet au spectateur de se concentrer sur l'ovale de leur visage, sur leur large menton mafflu ou au contraire pointu en galoche, sur une chevelure blonde ondulée inattendue…  Ils doivent donc être bien laids ? Même pas, mais l'expression commune à leurs visages fait qu'ils sont loin d'être beaux, et ils sont bâtis finalement sur un stéréotype, comme aux heures de pointe dans le métro se fondent tous les visages dans un morne anonymat : à ceci près que Marion Narbonnet les peint là, remplissant la surface du tableau, ne laissant dans leur huis clos, la place que pour un seul décor, une table sur laquelle se tient un verre ou une bouteille ! Comme si, dans la quotidienneté qu'elle leur impose, l'artiste provoquait soudain en eux une sorte d'étincelle les amenant, l'espace d'un instant, à porter leur verre à leur bouche, voire à aspirer avec une paille le liquide contenu dans un flacon en forme de ruban représentant l'infini ; à saisir entre leurs longs doigts effilés, le biscuit qu'ils ont trempé dans le liquide ! 

La femme qui boit seule
La femme qui boit seule

          Et c'est alors qu'émerge du lot, celle qui les symbolise tous, celle que Marion Narbonnet appelle "La femme qui boit seule", celle que tant de poètes ont évoquée au long de leurs pérégrinations solitaires ; celle dont les yeux tristes sont soulignés de lourdes poches, cette femme aux cheveux roux au-dessus de son long cou dont le pompon du bonnet de marin est supposé être un porte-bonheur ; celle qui représente la solitude absolue, les multiples solitudes que l'artiste a rencontrées et dont elle rend compte.

 

          Pour échapper à cette sorte d'angoisse diffuse générée par cette succession de personnages et par tant de vacuité, le visiteur opère alors un retour sur image ; considère la science avec laquelle Marion Narbonnet, pourtant totalement autodidacte, l'a fait entrer immédiatement dans son univers composé d'impressions brèves qui ont pu la frapper au coin d'une rue, au pied de l'escalier, n'importe où, au cours du tour de France des troquets qu'elle a effectué, quêtant les tristes témoignages qui l'enjoindraient de devenir à son tour témoin... Témoignages  autour desquels se sont figés tant de souvenirs vivaces ! Si présents, si pesants, qu'elle les a intégrés à sa propre biographie et a "dû" les transcrire picturalement !

 

    Son travail est lui-même une sorte de cheminement fait de couches de peinture appliquées sur le papier. Il corrobore simplement son sentiment que le quotidien n'est jamais éclatant ; qu'en toute chose, en tout événement, prédomine la grisaille ! Ainsi ne laisse-t-elle à personne le soin de faire se découper ses personnages sur ses fonds non signifiants, et génère-t-elle des individus aux frontières de l'autisme, fagotés dans des vêtements imprécis ; des êtres sans aucune connotation temporelle, sociale ou sociologique, simplement liés par une unique misère ; en une œuvre puissante et singulière, par moments un peu naïve ; le plus souvent expressionniste !

Jeanine RIVAIS

 

 

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FLORA GUETON

 

LES CREATIONS DRAMATIQUES DE FLORA GUÉTON

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          Flora Guéton est sculptrice d'Art-Récup'. Mais n'est-elle pas aussi un peu campagnarde ? Car, si elle trouve au long de ses glanes, les ingrédients à ajouter à ses "corps" (objets protéiformes, boutons pour les yeux, bois flottés, etc.) où trouve-t-elle pommes de pins, cornes de vaches, branchettes indispensables à la mise en forme de ses personnages ? Dans les bois et les prés, assurément ! 

          Et la voilà donc libre de créer des êtres en marge de tout classicisme, avec le bois comme matériau de prédilection, le façonnant, le métamorphosant, le transcendant. Ainsi est-elle devenue, au fil des années, créatrice de populations essentiellement humanoïdes auxquelles elle a su donner vie. Elle demeure parmi ses trouvailles, non pour le plaisir d’entasser, posséder ces objets hétéroclites, mais pour celui de les toucher, les rapprocher dans des promiscuités ou des accordailles inattendues ; rattacher à chacun des souvenirs plus ou moins lointains ; créer en fonction de la définition qu’ils ont conservée ou au contraire déjà perdue, de nouveaux objets complètement différents de leur sens originel. Car Flora Guéton appartient à ces créateurs férus de méthodes ancestrales et d’archéologie, qui essaient de créer une "civilisation" personnelle, tout en gardant à leurs œuvres une connotation ancienne ! Pour ce faire, elle place côte à côte tels petits morceaux de bois qui lui semblent incontournables à cet endroit précis, -chacun s'aboutant à son voisin-, qui assureront la massivité du groupe, tolérant d'infimes creux et des bosses sur lesquels jouera la lumière. Elle en vient ainsi à des êtres qui ressemblent à ceux que l’on exhume au hasard des fouilles, comme arrachés au sol, patinés par des érosions multiples, aux coloris atténués par l'humidité dans laquelle ils ont été plongés nul ne sait depuis quand au hasard d'un coup de vent, d'un ruissellement... A partir de cette vie réinsufflée au gré de son inspiration, l’artiste a trouvé une démarche très personnelle pour mettre en scène ses compositions réduites parfois à de simples têtes, à des pages d'histoires, ou conçues en groupes de minuscules personnages suggérant des intimités spécifiques à son monde. 

 

Métamorphose
Métamorphose

Etrange, alors, et tellement personnelle, est la façon dont se constitue, par exemple, une tête lourde intitulée 'Métamorphose", morceaux emboîtés les uns dans les autres, constituant le bas du visage, de petits grains gonflant la pommette ; un triangle peint constituant un œil, l'autre brillant dans un arrondi ; l'un et l'autre sourcils ressemblant à des petits poissons ; et vertical et énorme, un morceau de liège devient un nez plantureux ; deux petites fourches sont les cheveux ; le front disparaît sous un minuscule bouquet de brindilles, et le crâne sous divers objets agglomérés… Pas de titre, mais un petit poème, au long duquel l'artiste s'interroge sur la nature du visage ainsi créé : Pour le visiteur, jugeant avec sa subjectivité, ce visage sévère, aux yeux acérés, est masculin. Mais, premier paradoxe, Flora Guéton se demande : " Nouvelle être / Nouvel être / Ni homme ni bête / Evolution divine / Evolution échappatoire / Quand l'âme prend la fuite / L'instinct la rattrape / Quand l'homme se réveille. / L'esprit reste le gardien / Douce éclosion / Inflorescences naissantes / Pas après pas / Il prend le chemin / Pas après pas/ Il suit son destin / Doucement venu / Alors il ose. Suivre le temps/ le temps de la métamorphose".

Le Bûcher
Le Bûcher

          Autre façon d'exprimer son ressenti, l'artiste procède à une crucifixion construite sur un second paradoxe : Plantée dans un Golgotha aux multiples composantes (dés à jouer, pions, croix, ficelles…), rustique à la limite du rudimentaire, une croix portant un christ constitué de trois planchettes oblongues, se dresse parmi de très sophistiquées, finement élaborées, -le tableau célèbre dans le tableau, dans le tableau…, en somme-. Mais tout se passe comme si la créatrice anticipait une suite prévisible, intitulant le poème attenant, "LE BÜCHER", "S'envole l'âme / S'envole l'être / S'embrase le passé / S'enflamment montagnes et regrets / Au bûcher de l'enfance / s'envolent jeux de l'innocence / Ni vie ni mort / seules restent les cendres de la / Renaissance".

Le Bal des Brûlés / Le bal des Monstres / Le Bal des Parfaits
Le Bal des Brûlés / Le bal des Monstres / Le Bal des Parfaits

Autre expression encore, non moins surprenante, qui les caractérise : les groupes de Flora Guéton. A priori, chacun apparaît au visiteur comme une sorte de communion de deux groupes face à face de part et d'autre d'un espace tantôt vide et blanc, tantôt occupé de taches aléatoires, tantôt encore laissant s'échapper un oiseau, ailes éployées, voire une sorte de fusée ? Chaque tableau est constitué de façon différente : parfaitement ordonnancé, soit en des ocre gris-brun ; soit légèrement méli-méloté en des bois brûlés ; soit une partie claire, l'autre brun foncé… Pour le visiteur, s'impose alors le troisième paradoxe. Car chaque groupe lui semble présenté en des attitudes calmes, apaisées, voire profondément mystiques. Or, pour Flora Guéton, se côtoient sur le mur, "le Bal des Brûlés" qui se demandent "Comment détourner son regard / Comment faire semblant / Semblant d'ignorer leur blessures…",'le Bal des monstres" (qui) recommandent de "Tomber le masque le temps d'une danse" ; "le Bal des Parfaits" où "Rien ne brille / Tout est pâle, lisse, fade…" ; "le Bal des Fêlés", "Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière, passer les jeux de mots"…

Le Bal des Fêlés / Le bal des Tordus
Le Bal des Fêlés / Le bal des Tordus

 Ainsi Flora Guéton poursuit-elle son cheminement vers "le Bal des tordus", "le Bal des con-trastés", "le Bal des originaux", etc. attestant ainsi que, si ses œuvres ont finalement un petit air naïf et bon enfant de l’imagerie populaire, elles témoignent d’une solide technique picturale, acquise apparemment dans la solitude, puisqu'elle est autodidacte. Attestant derrière la beauté pure de chaque collage, à travers l’alternance de vigueur et de fluidité, de son talent de sculptrice et de poétesse menant depuis des années son histoire poétique qui l'emmène vers SA civilisation lointaine dont elle a personnalisé les codes, grâce aux deux disciplines intimement liées dans son esprit.

Jeanine RIVAIS

 

 

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CHRISTINE CARRÉ

 

LES VITRAUX TIFFANY DE CHRISTINE CARRÉ

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Pour le profane, comment définir les luminaires de Christine Carré, autrement qu'en disant qu'ils sont beaux, que la lumière qui en émane est douce et reposante ? Mais comment expliquer sa technique ? Autant la laisser expliquer elle-même son cheminement : 

"Depuis une quinzaine d'années, je travaille le verre baroque. Je considère l'Art nouveau comme un mouvement riche en création (formes, couleurs, Art floral, jeux de lumières et d'ombres). Ma démarche s'inscrit donc dans la transparence suggestive et la résonance avec la lumière du jour. Le travail du verre (opalescent, iridescent) permet une richesse de création. 

Il existe deux méthodes de soudures : j'utilise la méthode Tiffany (soudure au ruban de cuivre et un alliage étain/plomb. Elle permet des soudures qui s'inscrivent dans le jeu du dessin, mais aussi l'utilisation de petits morceaux comme un puzzle. Ainsi, je peux aller jusqu'à des créations en volumes".

LA METHODE TIFFANY

Cette dénomination désigne une des nombreuses techniques du vitrail, mise au point par l'artiste américain LOUIS COMFORT TIFFANY (1848-1933) qui a exploré tout le domaine verrier. 

Les procédés de coupe et les instruments utilisés sont identiques à ceux du vitrail traditionnel (technique au plomb utilisée dans les églises), mais c'est la méthode d'assemblage qui diffère. 

Le vitrail des églises structuré était destiné à la prière, la méditation, la contemplation. Au fur et à mesure des siècles, le vitrail s'est libéré autant dans les techniques que dans les thèmes. 

Aujourd'hui, il n'y a aucune limite à l'imagination. Les motifs peuvent être figuratifs, contemporains abstraits, innovants. 

La technique Tiffany est certainement la méthode convenant à cette exploration d'émotion, de bien-être et d'ambiance affranchie de barrières. C.C. 

 

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MICHEL SMOLEC   

Rencontre amicale
Rencontre amicale

Continuant des œuvres dans lesquelles il explorait des arcanes où se retrouvait, énigmatique, semblable association / dissociation des corps et des visages, Michel Smolec a néanmoins quitté leurs yeux perturbateurs et commencé à se préoccuper des corps. Non pas des corps au sens académique du terme, mais des enchevêtrements de corps ; de cuisses enjambant des torses ; de positions droites ou tête bêche… Des méli-mélo de bras, de jambes, de têtes jaillissant en tous sens… Sans se préoccuper le moins du monde de cacher leurs nudités. Allant, pour être plus précis dans les détails, jusqu'à passer des pastels gras à la peinture.  

          Bien sûr, la connotation de ces postures gymniques a changé, s'est chargée d'érotisme. De là à penser au péché de… chair(s), ces chairs rebondies, potelées, roses ou mordorées… il n'y avait qu'un pas que l'artiste a franchi allègrement, faisant fi des tabous.

 

Jardin d'Eden
Jardin d'Eden

          Et puis, de citadins dansant à corps perdu de dancings en guinguettes, les personnages de Michel Smolec sont devenus campagnards. Oisifs. Libres. Emergeant du "Jardin d'Eden", ils se retrouvent explorant des parcs où, mine de rien, les sculptures ont des petits airs tellement familiers !!!  Les voilà jouant de la guitare sur une paisible rivière, bronzant dans une prairie au pied de quelque château… 

          Finalement, s'il est vrai qu'une peinture narrative accueille un temps, une histoire dans son espace, dans ses deux dimensions, alors, celle de Michel Smolec l'est résolument, où les scènes endiablées sont devenues immobiles ; où des tête-à-tête se prolongent, calmes, quasi-figés dans de belles ordonnances, presque réalistes ; où de gentilles amours se déroulent autour d'une fontaine, prolongeant l'érotisme récurrent des œuvres précédentes.… 

 

Bronzage entre amis et Repos dominical
Bronzage entre amis et Repos dominical

          Serait-ce alors, après tant de frénésie, une sorte de repos du guerrier ? Une seule certitude : cet artiste par surprise est devenu au fil des années, un véritable créateur “populaire”, développant une originalité qui fait fi de la perspective, des proportions, des règles traditionnelles de la peinture ; l'auteur de créations qui continuent d'entraîner le spectateur dans des implications variées, incroyablement humoristiques et jubilatoires.

Jeanine RIVAIS                                     

 

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BEATRICE KIEFFER

          "Le gris est une teinte intemporelle et indémodable qui s'adapte à tous les styles et tous les temps. Du plus clair au plus foncé, le gris s'invite partout pour apporter de la luminosité, du chic et du caractère". (Publicité)

          Il convient de souligner que cette couleur a été identifiée, tout au long de l'Antiquité et du Moyen-Âge, comme la couleur des pauvres, car c'était la couleur typique de la laine non teinte portée par les classes les moins aisées, ainsi que par les moines et les frères.

 

          Béatrice Kieffer a-t-elle pensé à ces origines, lorsqu'elle a peint en des gris perle, doux et veloutés, ses paysages aquatiques vides, où la mer toujours étale ne vit que par le friselis de ses vaguelettes ; tandis que le ciel sans nuages emplit la majeure partie de la toile ? 

          L'artiste s'attache à dévoiler la variété imaginative des effets naturels, la transparence et la profondeur, les formes plus sombres traduisant les sensations internes qui l'animent et débouchent sur un paysagisme presque abstrait conçu comme un lien entre la nature extérieure et son paysage intérieur. 

          Ainsi, le visiteur arrivant à une petite distance, reçoit-il Béatrice Kieffer comme une peintre du silence, par le ton de ses œuvres tout en nuances de gris qui confinent au murmure et qui incitent à un dialogue à voix basse.

     Jusqu'au moment où il s'aperçoit qu'en fait, il n'a pas été assez attentif, et que ces paysages qu'il pensait vides, sont habités. Qu'ici, nagent d'infimes personnages qu'il avait pris pour des taches nuançant les gris et qui, en fait, se détachent sur l'eau ; qu'un petit bonhomme assis regarde un oiseau blanc sur la branche d'un arbre immobile ; qu'une procession est partie à l'assaut d'un sentier zigzaguant en oblique sur la toile, etc.

          Mais une fois encore, parvenu tout près des tableaux, ce visiteur qui croyait avoir bien regardé, se rend compte de son erreur d'appréciation ! Car ces petites taches humaines ou animales qu'il avait perçues en un second temps, ne sont pas peintes ! Ce sont de tout petits êtres sculptés dans la glaise et collés en relief sur les surfaces grises ! 

          Admirant le mélange heureux des techniques déployées par Béatrice Kieffer, il reste subjugué par l'art avec lequel elle l'a bluffé ; et par la puissance de sa création, l'a progressivement amené à saisir la réalité de ses œuvres.

 

          A regret, il finit par s'en détourner pour contempler ses couchers de soleil flamboyants, tout en rouge, vert et or ! Et si, cette fois, son appréciation est juste, il constate la bizarrerie de chaque coucher de soleil conçu comme un orbe cerné de part et d'autre par des gris (tiens, là encore !!). Et dans cet orbe, où les couleurs tourbillonnent comme dans un cyclone, sont pris de petits personnages tout noirs, qui tiennent à bout de bras un ballon, ou un bouquet détaché du nuage, ou encore sont en train de danser devant ce tourbillon ! Cette fois, l'observateur a vraiment le sentiment que l'artiste a mis beaucoup d'humour dans ses tableaux, où ses petits individus impersonnels voudraient dominer les nuages !! 

 

         Quel âge a donc Béatrice Kieffer qui peut passer de façon si particulière, de ses plages calmes et grises à ses tourbillonnements colorés ? L’âge, sans doute, où le talent aidant, une artiste peut s’amuser sans complexes de l’étonnement et la perplexité suscités par ses œuvres, poétiques sans recherche d'effets, bouleversantes de sincérité, où sont étalées au grand jour ses intimités tellement lyriques, ses réactions intemporelles qui sont, chaque fois, de grands moments de retenue ou d’émotion jugulée.

Jeanine RIVAIS

 

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La retraite venue, DélA s'est lancée dans la peinture. Trois années plus tard, elle en est donc encore à l'exploration : les sujets traités en témoignent, qui vont de la girafe, la tortue, au linge étendu sur un fil et bousculé par le vent, l'arbre dont une seule branche reste verte ou encore les Beatles… Acrylique, encre, transferts, voilà des techniques et des procédés qu' utilise DeliA

 

Neuve encore dans son art, elle décrit le processus de transfert qu'elle utilise. Sans doute est-ce la raison pour laquelle ses sujets n'occupent qu'une infime partie de la toile, laissant une place importante aux fonds non signifiants ?  Artiste à suivre ! 

Jeanine RIVAIS

 

 

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AMICALE CHAPELON

ATELIER MARIE LAURENCIN DE MONTFAVET VAUCLUSE

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          Cette association venue de loin offrait au public une large gamme d'œuvres de ses "élèves", adultes ou adolescents, tantôt handicapés mentaux, tantôt demandant de l'aide contre leur mal-être, tantôt tout simplement désireux de venir créer, dans un cadre où la convivialité est garantie.

          Les sculptures offraient des preuves de l'imagination, du fantasmatique, voire du caractère obsessionnel de leurs créateurs, tout en restant le plus souvent proches du quotidien ; tandis que les peintures emmenaient le visiteur dans des mondes imaginaires, perdus dans le cosmos. 

Et la façon dans les protagonistes venaient tour à tour présenter leurs œuvres, traduisait leur fierté du travail bien fait. 

Une visite à la fois émouvante, humoristique, un encouragement pour cette association à continuer leur chemin. J.R. 

 

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MEDIATHEQUE DE LA RICAMARIE JULES VERNE

ALEX CLERINO

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ALEX CLERINO ET SA CEATION HUMANISTE

  Dans le dernier quart du XXe siècle, au temps où il était jeune, plein de fougue et d'énergie, Alex Clarino était déjà un créateur aux multiples talents, au service d'autrui : Ecrivain, d'abord, auteur d'ouvrages intitulés, 'Ecrire par plaisir", "Voyage chez les marchands de virgules", etc. Tous ouvrages qui avaient pour but d'aider les élèves à apprendre à lire ; aux maîtres à leur enseigner comment venir à bout de cet apprentissage. : "Faites écrire vos élèves", écrivait-il, "ils vous en sauront gré. Ils se passionneront à noircir du papier. Et vous constaterez combien, contrairement à ce qu'on entend trop souvent, ils ont des choses à dire et combien ils progressent vite dans l'art d'écrire."

Et puis, au fil des années, pour, en quelque sorte; assurer le repos du guerrier, il s'est lancé dans la gravure sur cuivre avec la pointe sèche et la manière noire. Rien de léger, là encore, les titres des quelque soixante œuvres réalisées, allant de "Famine au Soudan", "La ronde des prisonniers", "La mendicité selon Rembrandt", etc., prouvant déjà combien il se souciait des malheurs du monde. 

Des gravures
Des gravures

          Mais le maître mot de sa création, le modèle qui l'a motivé et expliqué peut-être toute sa carrière, c'est celui qu'il a prononcé après avoir vu "Le déporté" de Germaine Richier. Cette sculpture l'a tellement impressionné, qu'il s'est juré : "Un jour, je ferai, moi aussi" ! Mais croire qu'il se serait lancé dans une création sans âme serait lui faire grave injustice. Car le propre d'Alex Clérino est d'être une sorte d'acteur désireux de dénoncer toutes les violences, surtout celles de la guerre. 

          Mais pour ce faire, il avait besoin d'outils, les bons "outils" : En récupérateur aguerri, le voilà parti explorer les alentours du mont Thabor, rêvant de rapporter quelque trouvaille qui lui permettrait de réaliser ce qui lui trottait en tête. Or, à quoi sert alors ce champ ? A l'entraînement des soldats.  Et comment les choses se passent-elles ? Depuis des siècles, des troupes s'entraînent sur ce mont ; et même la bataille du Mont Thabor opposant les troupes de Napoléon et l'Empire Ottoman, date du 16 avril 1799. Toujours est-il qu'Alex Clérino commence à glaner des morceaux d'obus, "entre arbres à moutons et rhododendrons", écrit-il. Et, d'abord aidé de son épouse, puis d'amis qui l'ont accompagné, il se retrouve descendant à sa voiture de pleins sacs d'éclats d'obus, les uns rouillés, d'autres terreux ou au contraire indemnes ! 

          Alors, début des années 90, commence ce qui deviendra une véritable communion entre homme et métal : Alex Clérino décide que ces éclats aux formes tellement aléatoires, par toute la symbolique qu'ils renferment -matériaux de mort servant à parler des vivants-, seront la matière idéale pour exprimer ce qu'il souhaite dénoncer : L'homme dans ses souffrances ; la vie dans toute sa cruauté… Avec, pour principes, de respecter l'aspect dans lequel il a trouvé chaque morceau. De le grenailler, afin d'en détacher tous les éléments malencontreusement collés dessus. De le passer à la brosse électrique de sa meuleuse, afin d'en supprimer la rouille. Enfin, de le vernir. Le matériau ainsi protégé, Alex Clérino pouvait commencer son chemin vers la réalisation d'œuvres sorties de ses tripes et de son cœur, dénonçant les problèmes de notre monde. 

 

  Alex Clérino est désormais un vieux monsieur qui explique avec beaucoup d'émotion retenue le périple qui l'a amené là, face à ses œuvres, entre gravures et sculptures.

   Paradoxalement, les gravures sont plus narratives, plus descriptives que les sculptures, réalisées d'après des référents que l'artiste cite directement (Goya et ses "Désastres de la guerre", le "tres de mayo" ; Rembrandt et son bourgeois faisant l'aumône à des femmes entourées d'enfants ; Van Gogh et sa "Ronde des Prisonniers"…). Le visiteur s'apitoie, repense aux gravures créées par les référents ; se dit que décidément, autres temps, même misère, même cruauté, mêmes victim          Par contre, les sculptures sont plus directement évocatrices que les gravures, toutes filiformes, élancées, le matériau tourmenté (Germaine Richier semble être restée vivante dans la mémoire de l'artiste). Aux détails, ont fait place la force instinctive, la puissance suggestive : sont évidents la peur de l'homme qui tend devant lui ses bras en un geste de protection ; la joie de la femme qui tient son enfant à bout de bras en manière de jeu ; la dureté du chardon et ses pétales-épines ; la puissance du vent qui a courbé le vieil arbre ; le triomphe des musiciens dont l'un frappe sur son tambour ; le bonheur du couple dansant enlacé sur son socle ; l'arrogance du coq, peint en rouge pour la circonstance ! etc. Tant d'autres de la même veine s'accompagnant de petits encarts qui corroborent, soulignent l'œuvre correspondante !

L'Affiche. L'arrogance du coq. Alex Clérino expliquant ses oeuvres à Jeanine Rivais
L'Affiche. L'arrogance du coq. Alex Clérino expliquant ses oeuvres à Jeanine Rivais

 

          Aujourd"hui, pour Alex Clérino, l'heure de faire les comptes est venue. Avec la satisfaction d'avoir prouvé sa grande humanité ; réalisé son art comme un combat ; exprimé tour à tour les sentiments humains ; mené à bien en somme une œuvre-témoin qui entraîne le visiteur dans un voyage plein d'humanité, dans un grand élan pictural magnétisant son regard ; un fouissement obsessionnel si profond d'où il ne revient qu'à regret. Lui apparaît alors l'autre constante de l'œuvre de l'artiste : le perpétuel jeu de cache-cache de la vie et de la mort : tout cela vivant, grouillant au gré de créations du graveur et du sculpteur qui le mettent à égalité avec les référents évoqués plus haut dont il revendique farouchement la filiation.

Jeanine RIVAIS

 

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ARTO ENCADREMENT

SANDRINE VACHON-THIEBAULT 

SANDRINE VACHON-THIEBAULT

 

VOIR TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES PERSONNAGES DE SANDRINE VACHON-THIEBAULT" :  http://jeaninerivais.jimdo.com/ "LES INOUÏS CURIEUX CHAUMONT 2022 FESTIVALS. 

 

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