MARINA DI DONA , Sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais.

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Jeanine Smolec-Rivais : Marina Di Dona, votre nom a une consonance italienne. De quelle origine êtes-vous ?

           Marina Di Dona : C'était le nom de famille de mon arrière-grand-mère qui était née dans la petite île d'Ischia, en face de Naples. Mais je suis française, et je vis en France depuis toujours.

 

         J. S-R. : Nous nous étions parfois brièvement parlé, mais je n'avais jamais pensé que vous aviez une production de terre aussi importante !

            M. D-D. : Je travaille la terre depuis une quinzaine d'années

         J. S-R. : Comment en êtes-vous venue à cette idée de chorale, puisque tous vos personnages sont groupés et apparemment en train de chanter ?

            M. D-D. : Je dis que c'est une chorale, mais en fait, ce sont des êtres dans une grande solitude !

 

         J. S-R. : Ils m'avaient donné l'impression d'être en couples…

            M. D-D. : Non. Ils donnent l'idée d'un groupe ; mais c'est l'individualité en même temps.

 

         J. S-R. : Tout de même, il y a une récurrence dans tous ces personnages : aucun n'a de bras, même pas celui dont la posture suggère qu'il est le chef d'orchestre ? Tous n'ont que des jambes tronquées. En fait, ce sont des personnages-troncs ?

            M. D-D. : Oui. L'intérêt étant que, dans cette multiplicité, le corps devienne support. Seul, le visage est différent.

 

         J. S-R. : Les femmes ont de petits seins, mais les "hommes" sont asexués…

            M. D-D. : L'un d'eux a des signes distinctifs ! En fait, celui-ci est le méchant !

 

         J. S-R. : Est-ce celui qui a des cornes ? Pourtant, il a l'air si gentil ! Et pourquoi est-il affublé de ces appendices ?

            M. D-D. : Il en fallait un !

 

         J. S-R. : Mais alors, il aurait fallu son opposé, réaliser un "gentil" !

            M. D-D. : Oui, sans doute, mais il n'est pas encore arrivé.

 

         J. S-R. : Ce qui est également curieux, c'est votre parti-pris de faire des personnages monochromes, sauf un (là encore) qui porte un pagne coloré.

Mais revenons à vos personnages masculins : pourquoi les faites-vous asexués ?

            M. D-D. : Je n'en sais trop rien ! Tout de même, s'ils ressemblent bien à des hommes, certains ont des oreilles d'épagneuls… Je ne sais pas s'ils sont vraiment humains ?

 

         J. S-R. : Là, je suis sidérée ! Hier, quand je les ai longuement regardés, ils m'ont paru tous très humains ! Cela ne me gêne pas qu'ils soient des personnages-troncs. Leurs visages sont tellement expressifs. Si vous leur faites des oreilles d'épagneuls, diriez-vous que ce sont des personnages-chiens ? Mais à vrai dire, il m'est difficile de les voir en tant qu'oreilles, parce que j'ai l'impression qu'il s'agit du bas des cheveux !

         A les regarder de près, il est impressionnant de voir combien vous avez soigné les détails, dessiné leurs petites dents, etc.

         Tous, sont en train de chanter ? Ou de crier ?

            M. D-D. : Chanter. Ou crier.

 

         J. S-R. : Lorsque l'on observe le groupe, puisque vous avez réalisé une mise en scène qui laisse penser qu'ils sont en train de chanter ensemble, on oublie que certains sont lourds, que d'autres ont des yeux un peu tristes, ou encore une petite tête penchée… Que chacun s'exprime à sa façon. Mais, à l'évidence, ils sont à l'unisson.

            M. D-D. : Ils sont à l'unisson, tout en étant très seuls.

 

            J. S-R. : Mais ce n'est pas paradoxal. On peut se sentir seul, et chanter à l'unisson avec quelqu'un ?

            M. D-D. : Oui, absolument !

 

         J. S-R. : Mais alors, que chantent-ils ?

            M. D-D. : Ils chantent "La Montagne" de Jean Ferrat ! *

 

         J. S-R. : Tout de même, si l'on s'attarde à les regarder un par un, on s'aperçoit que tous ont une sorte de malformation sur le visage : l'un a la lèvre du haut surdéveloppée ; un autre a un dentier de travers. D'autres encore répètent semblables caractéristiques. Mais certains sont vraiment très typés, comme celui du fond qui, avec ses deux dents aiguës, me fait penser à Nosferatu le Vampire ! Vous les avez ainsi réalisés volontairement, ou c'est aléatoire ? Toutes ces malformations sont-elles inconscientes ? Ou bien est-ce parce que, dans votre esprit, tous les individus sont ainsi affublés d'éléments inattendus ?

            M. D-D. : Tous les individus ont des caractéristiques différentes. J'ai procédé ainsi pour exprimer les différences d'expressions entre les individus.

 

         J. S-R. : J'en reviens à l'idée de couleur monochrome, pour remarquer que certains ont malgré tout des cheveux de couleurs différentes. Certains sont ton sur ton, d'autres un peu plus rouges.

            M. D-D. : Oui, plus rouges, plus gris…

 

         J. S-R. : Qu'est-ce qui guide ainsi vos choix ?

            M. D-D. : C'est la tête. C'est elle qui décide quand j'ai fini la forme et que je commence à patiner. Je "sens" que celui-ci doit avoir telle couleur ou telle autre.

         J. S-R. : De même, pourquoi l'un a-t-il un pagne en jute et pas les autres ? Et pourquoi ont-ils ou ont-elles des nombrils aussi démesurés ? J'ai eu l'impression que ce petit renflement avait pour effet de couper la ligne, créer une rupture ?

            M. D-D. : En fait, j'aime bien ce petit triangle au milieu de nulle part. Quant aux pagnes, les premiers personnages que j'ai réalisés avaient tous des pagnes en jute, mais cela ne me convenait pas.

 

         J. S-R. : Vous trouvez que les parties blanches sont plus neutres que celles qui sont en jute naturel ?

            M. D-D. : Oui. Le blanc éclaire le personnage.

 

         J. S-R. : Ce n'est pas ce que j'aurais dit ! J'aurais dit que c'est lui qui crée leur côté grégaire.

         Et pourquoi pas de bras ? Cela ne les empêcherait pas de chanter ! Ils pourraient tout aussi bien chanter avec des bras !  

            M. D-D. : Oui, mais à ce moment-là, la gestuelle des corps ne serait pas la même.

 

         J. S-R. : Tout de même, ce n'est pas tout à fait aussi simple, parce qu'ils ont tous des amorces de bras. D'ailleurs, s'ils n'avaient pas ces amorces de bras, le spectateur n'y penserait pas, il n'aurait pas ce sentiment d'un manque. Mais il y a l'amorce, et cela donne le sentiment d'une amputation.

         Et avez-vous une explication pour le fait que, tout en chantant à gorge déployée sur un même air, certains sont gais, tristes, rêveurs, etc. ?

            M. D-D. : Même s'ils chantent la même chose, cela n'empêche pas qu'ils éprouvent des sentiments divers. Regardez une chorale à la télévision. Vous coupez le son. Et vous verrez absolument les mêmes nuances.

 

         J. S-R. : J'aurais aimé que vous parliez plus longuement de vos personnages. Parce que, lorsque l'on entre le matin dans la grotte, alors que personne n'est encore là, et que l'on découvre cette foule avec des individus à la fois tellement similaires et si différents, l'impression est vraiment TRES forte.

            M. D-D. : Je m'en réjouis, parce que c'est exactement ce que je voulais obtenir.

Entretien réalisé au Festival de Banne, dans la Grotte du Roure, le 4 juin 2011.

           

* Allusion au moment des discours où tous les artistes, montés sur l'estrade autour de Marthe Pellegrino, ont chanté (hélas pas à l'unisson, mais dans une cacophonie bien sympathique), "La Montagne" de Jean Ferrat, en hommage à cet artiste disparu récemment. (Une autre chanson de lui était à l'origine du thème du festival de cette année : "Nul ne guérit de son enfance").