EvaSIONS DE LA PEINTURE

EXPOSANTS 2011.

Mechthild Ehmann est-elle une adepte des croyances moyenâgeuses, qu'elle semble penser que la terre est plate ? Du moins la représente-t-elle ainsi ! Ou bien, contrairement à Galilée, lui est-il, dans sa fantasmagorie, évident qu'elle ne tourne pas, puisqu'elle est accotée à un axe vertical ? L'effet alors produit, est double : esthétiquement, cette cohabitation lui permet d’exprimer un paradoxe : les flancs légèrement ovés, d'une texture longuement polie de part et d'autre d'une arête aiguë, jouant subséquemment des matités et des brillances ; et le support grossièrement taillé, comme directement transporté de la carrière d'où il a été extrait. Psychologiquement, pas encore parvenu à l'état de sphère, cet univers semble donc en gestation. Le tout générant une antithèse, une sensation de mouvement immobile, d’équilibre et de déséquilibre, de symétrie et de dissymétrie qui, apparemment, sont les mots-clés de l'œuvre de cette artiste.    

EHMANN Mechthild, Invitée d'honneur :

ANDRESZ Nelly, dite Nelly :

Telle une démiurge, Nelly Andresz joue avec les galaxies : tantôt les ordonnançant autour de ce qui semble un tronc ; tantôt les découpant pour en donner les éléments principaux ; tantôt enfin les prenant en gros plan pour en exposer les détails. Car chaque élément est conçu avec l'infinie précision de quelque astronaute qui aurait observé en chacun plusieurs nucléus, autour desquels graviteraient des lunes disposées en spirales, en combinaisons géométriques, etc. Et, lorsque, de part et d'autres de l'une d'elles, l'artiste déploie tous les détails, ce sont alors jeux de gemmes, saphirs, oeils de fer, onyx et autres obsidiennes …

AUDEBERT Joséphine :

Parfois, Joséphine Audebert couvre ses toiles de lourdes plages monochromes dans des teintes automnales et des géométries approximatives, dont les rythmes non signifiants laissent penser qu'elle se veut abstraite ? Mais d'autres fois, ces géométries prennent du sens, deviennent toits d'usines, cubes de HLM, étagères de bibliothèques, etc. Et miracle, se mettent à pousser dans ce béton polychrome, d'étranges cactées, palmiers gringalets, arbres miniaturisés : La voilà alors presque figurative !… Même lorsqu'elle quitte les lieux géographiques et aborde des nus, ils sont couverts de semblables plages, mais bistrées ou noires, qui en assurent alors les courbes harmonieuses.

AYN :

Depuis la nuit des temps, les églises grecques et orthodoxes orientales s'ornent d'icônes. Ayn et quelques collègues dont Chantal Bonvalot, tout en respectant les rituels sacrificiels et techniques traditionnelles, créent en Bourgogne des œuvres dont l'esprit témoigne d'une volonté de modernité. Leurs personnages, placés dans un nuage ou sous une coupole, proposent -à ce que disent les glyphes- ici un "Patriarche", couvert d'une chasuble richement ornée, ailleurs un ange drapé dans une chape, ou Saint-Jean Baptiste modestement couvert d'une aube, etc. Nuages, végétation… linéarisés à l'extrême, servent d'arrière-plan. Les couleurs pures, (les 4 couleurs basiques), et les ors cernent ces personnages paradoxalement mobiles, contrairement à la tradition.

BARON Agnès :

Longtemps, elle a essayé de résorber son problème relationnel et son besoin de solitude. Puis, un jour, Agnès Baron a entrepris de se créer un monde bien à elle, en donnant vie à des "présences" qui lui tiendraient compagnie : les "Nénettes" étaient nées ! Et, désormais, de Nénette autobiographique en Nénette "témoin" des évènements marquants de son existence ; de Nénette enfermée dans son cadre en Nénette évanescente et fantomatique ; de petite coquette à la chevelure sophistiquée en laideron chevelue et visage ingrat… oubliant le monde extérieur et ses aléas, oubliant son sentiment d'aller cahin-caha ; l'artiste "SE" cherche… Sachant que chacune de ses petites créatures lui apportera un court moment de pur bonheur !

BENOIT D'ANTHENAY Odile :

La campagne ; les prairies aux levers du jour du plein été, au moment où le ciel encore gris rend bleus les arbres, joue des ombres sur les touffes de fleurs ; et crée des contrastes avec le vert jaunâtre des prairies. Ou bien l'automne, avec ses perspectives sur un village endormi sous les nuages courant au gré du vent. Prés, bois, maisons, vus dans des roux où ne subsistent que quelques touches de verts tandis que les obscurcissements s'allongent jusqu'à lécher les vieilles pierres qui bordent les chemins creux. Un travail tout en finesse, où seule la végétation intéresse Odile Benoist d'Anthenay, puisqu'aucun animal, aucun humain ne viennent soudain barrer l'horizon.

BENZI Josiane :

Dans la diversité de ses créations, Josiane Benzi garde néanmoins une unité par le truchement d'une quête récurrente : l'homme. L'homme des origines sur fond abstrait de grottes rupestres, effilé, tout juste linéarisé, primal. L'homme grégaire, semblant émerger pour se regrouper au centre de quelque magma chaotique vaguement viscéral. L'homme sur fond protéiforme, fragmenté comme sur les vitraux, combinaison de claustras abstraits, de bonshommes-têtards, entremêlés de motifs linéaires irréguliers…. La montée chromatique se faisant ton sur ton dans le premier cas ; en dégradé de bruns ocrés au blanc bistré dans le second ; allant dans le troisième exemple, du jaune orangé au bleu/vert du personnage.

BERTHOLON Guy :

Reculs, avancées, inclinaisons, impulsions des silhouettes, suggèrent dans les peintures de Guy Bertholon, ce que disent d'habitude les traits de visages ici absents. Composition des tableaux à partir de trois valeurs ou couleurs à "lire" en deux temps : d'abord les "foncées" qui génèrent d'emblée une série de personnages… Puis, les demi-teintes formant un monde intercalaire de petits êtres nichés parmi les premiers. Le tout conçu de façon à accentuer le côté narratif de ces illustrations irréalistes de la vie imaginée par l'artiste. Lequel s'en va parfois vers la couleur, et ce sont alors des corps qui ont l'air de danser des bacchanales échevelées, mais sont en fait posés en de très naturelles complémentarités, en des relations calmes et harmonieuses…

BIRINGER Gérard :

Qu'est-ce que la jungle, pour Gérard Biringer ? Est-ce la ville et son incroyable capacité d’absorption ; cannibale, boulimique, mais aussi fragile et sensuelle ? Est-ce la forêt vierge, espace étouffant, sans aucune liberté de geste ? Il semble bien que dans le premier cas, ses individus longilignes, taillés à l'emporte-pièces, cheveux hirsutes… soient enclos dans la froideur impersonnelle des gratte-ciel ? Tandis que dans la sylve, ils tentent de cheminer en des enchevêtrements, une profusion végétale. Mais toujours, leurs grands yeux exorbités et leurs bouches ouvertes disent qu'ils ont été jetés sur le matériau comme des cris d'alarme, qu'ils pourraient être autant d'autoportraits cabossés par le mal de vivre de leur auteur dans un monde qui ne lui convient pas.

Le Prix 2011 de l'Association EVA a été attribué à l'unanimité à Gérard Biringer.

BLAISE :

L’artiste va de l’abstraction de deux formes juxtaposées réalisées sur une base carrée qui se serait rompue à la suite d’un choc, et où l’emboîtement serait devenu aléatoire ; à celle d’une unique forme très longiligne, où les "comparses" sont enlacés en volutes ascensionnelles, confondus, à peine ébauchés. Cette création abstraite est harmonie, à la fois plénitude et ductilité des formes. Cependant, avec d’autres œuvres, Blaise passe par une figuration très primitive, réalisée avec des éléments combinés à des matériaux de toutes variantes, au gré de son imaginaire… Des motifs picturaux de couleurs douces, gris-bleuté, répétitifs bien qu'aléatoires, ornent ces "stèles", leur donnant l'aspect d'objets précieux.

BOUDET Sylvie :

Un premier regard aux œuvres de Sylvie Boudet, laisse penser qu'elles sont abstraites. Mais voilà qu'émergent de ses grands élans lyriques de rouges carminés, de ses harmonies de gris ou amalgames de bistres, ici la silhouette de remparts que dominerait la coupole d'une mosquée ; là une porte d'entrée dans le mur d'une maison de guingois façon enfant apprenant à dessiner ; ailleurs des murailles couvertes de graffiti, de fleurs, etc. Toutes formes suggérées plutôt que montrées, en une sorte de flou… Tout, dans sa démarche, ressemble à ces aubes où un individu ne garde d'un rêve qu'un souvenir partiel ; où ne subsiste des "péripéties nocturnes" que des lambeaux dont il essaierait en vain de ré/unir les détails qui lui échappent !...

BRETEL Corinne :

Peintures, gravures ou peintures-gravures, les œuvres de Corinne Bretel. proposent toujours un monde diffus, où s'entrelacent animaux, végétaux… fourmillants, incertains, et d'où émergent des humains aux corps serrés, tout juste insinués, à peine esquissés … Comme si, boulimique, elle se hâtait d'exprimer ce qui bouillonne en elle ; comme prise de frénésie de remplir l'espace qu'elle sélectionne. A tel point que, bien souvent, cet espace peut être assimilé à un huis clos où elle aurait du mal à ménager ici ou là le plus infime interstice ! Figuratives, ses œuvres le sont incontestablement. Et elle use sans limite de toutes libertés, voyageant picturalement vers des sphères où règnent la plus grande fantasmagorie, le plus complet onirisme.

CHANFRAULT Béatrice :

Comment définir l'œuvre de Béatrice Chanfrault qui semble tout entière tournée vers une profonde angoisse existentielle ? Qui, dès qu’elle prend ses pinceaux, confie à la toile, de complexes alchimies : Comme si, en son esprit, régnait une sorte de Golem, auquel elle s'efforcerait de donner corps. Créant le "magma" duquel il puisse "naître" : posant, superposant, apposant à grandes traînées du pinceau surchargé, épaisseurs sur épaisseurs de peinture ; étageant des transparences qui provoquent des nuances et des granités inattendus… Jusqu'à ce que "vive" "son" personnage … Sculpteur, à la glaise elle confère le rôle de mémoire, ici entassant verticalement des têtes qui génèrent des stèles ; là construisant des cases à la manière des funérariums…

 

CHANU Claude :

Cesse-t-il de peindre de sages paysages "à l'imitation de…" (Pissaro, Monet, etc.), Claude Chanu aborde, dans l'humour, les personnages dont il s'est inspiré : ainsi, représente-t-il Salvador Dali coiffé façon Rembrandt, grosses lunettes, mais moustache de guingois, qu'il intitule "Dalissime" dans une volonté de démesure. Mais lorsqu'il "s'en prend" à lui-même, il fonctionne en sens inverse : personnage jeune, menu, échevelé, façon Rimbaud… Enfin, parfois, il se veut psychologue et le titre fait alors redondance comme ce "Double je", fait de deux personnages siamois féminins, aux yeux en accent circonflexe, au long nez et au nombre de bouches erroné. A ce "double… jeu", Claude Chanu semble s'amuser beaucoup.

CUXAC Françoise :

Les oeuvres de Françoise Cuxac, oniriques, rêveuses, mémorielles… sont composées uniquement à partir de récupérations, le végétal, l’animal, le minéral… Parfois matières façonnées par l’homme, mais souvent rouillées par les pluies, polies par les vagues… Réunies le jour où surgit une évidence : l’objet entre alors dans une composition ; chaque composition revenant vers l’humain, la naissance, la vie, la mort… Tantôt tout à fait humanoïdes, d’autres fois à peine évoqués… Partant en somme de l’éphémère, et allant vers la pérennité de l'œuvre achevée qui devient à son tour témoignage de sensations passées, de souvenirs à demi-enfouis…

Le Prix du Jury 2011 a été attribué à l'unanimité à Françoise Cuxac. Le Président du jury Benoît Lannes définit aiçnsi sa création :"Un travail novateur, et tourné vers l'humain ; qui oblige le spectateur à exercer un oeil contemporain".

DENIEUL Luc :

                La pierre, les pierres ; mais jamais de façon réaliste : Visages allongés, disproportionnés, carrément réduits à un simple cercle dépourvu du moindre détail facial… Corps chantournés, creusés comme pour supprimer toutes rotondités ; concaves et convexes, courbes et contre-courbes inverses de la réalité… Membres inférieurs absents, amalgamés en assises géométriques ; "bras" intégrés dans les angles saillants dont les avancées aiguës captent la lumière. Mille façons, pour  Luc Denieul, de prouver que chaque pierre est unique, qu'elle peut s'avérer tendre, dure, colorée… Bref, que chacune a sa personnalité. Mais qu'il a su la découvrir, se la rendre familière, lui faire dire qu'elle peut être froide, mais aussi tellement chaleureuse et sensuelle !

DE WITTE Irma :

Autodidacte, Irma De Witte peint de drôles de paysages, d'où est exclue toute perspective. Au milieu desquels coule une rivière où se baignent des gens heureux… lorsque soudain, surgit un dinosaure, un coq folklorique… Paysages où se confondent, en somme, réalisme et fantasmagorie… Un travail tellement coloré, tellement jeune, que l'artiste semble se promener d'un passage de conte à un autre ; d'une petite histoire vécue à une autre… d'un souvenir à un autre… d'une image à une autre… sans volonté d'être conséquente ; sans vouloir que les passages soient liés. De sorte que tout spectateur peut entrer dans sa peinture, au gré de sa subjectivité. De la pure poésie !

DORE Nathalie :

Nathalie Doré a-t-elle vu de tels couchers de soleil ? Contre quelles nostalgies lutte-t-elle pour que ses œuvres en apparence si calmes soient toutes "stratifiées" ? En avant-plan, une plage tourmentée sous les coups du pinceau large, passé et repassé, presque sec au point que c'est le grain de la toile qui génère les reliefs. Puis un passage contrasté, tel un coucher de soleil au moment où il va mourir au-dessus de l'horizon. Les traces du pinceau ont disparu, la lumière se fait vive, disparaît sous une couche sombre, frémit dans la couche suivante… Et au-dessus de ce frisson de vie à peine sensible, le ciel bas et plombé. Les contrastes naissant également de ce que, partie en gris bleuté, l'œuvre se termine en des jaunes mêlés de gris.

DUPLAIX Michel :

Du léger au très lourd comme cette ville semblant émerger d'une coquille Saint-Jacques ; du raide au déséquilibré tel cet homme au corps creux dansant dans le vide ; du réel au fantasmagorique; des formes réalistes flottant dans l'espace aux pesanteurs de ses bas-reliefs ; du grave au facétieux… les sculptures de Michel Duplaix, tantôt en fer, tantôt en bronze, emmènent le spectateur tour à tour vers les problèmes du monde, sérieux et angoissants ; ou au contraire vers une vision amusée proposée par celui qui, ayant pendant des années, considéré ce monde à travers les faux-semblants de la pellicule cinématographique, a acquis une philosophie et su prendre du recul.

FAGET Michel  :

Comme tout photographe, Michel Faget cherche à saisir le monde, un instant, un regard, un mouvement, un arrêt sur image. Puis le photographe cède la place au photo graphiste : Commencent alors des séries de trucages, de retouches… Des apports plus ou moins baroques s'ajoutent à la scène originelle : La photo devient tableau.  L'artiste a alors le problème de tout créateur d'Art-Récup' : relier des éléments dans la redondance, l'osmose ou au contraire l'antithèse. Mais son cheminement doit impliquer une réflexion sur la sensation finale produite par l'œuvre. Redondance, osmose ou antithèse doivent témoigner d'une logique. De sorte que l'œuvre finie ait la force d'une histoire. Que l'image, partie de la copie réaliste et devenue fantasmatique, constitue un tout harmonieux porteur d'un nouveau sens.

FANTI Véronique :

La peinture de Véronique Fanti est tournée vers des thèmes campagnards, naturels, paradoxalement vides de présence humaine. Conçus à des époques où les paysages sont dans leur plus grande rigueur, réduits à leurs linéarités les plus crues ; où la lumière rasante s'attache sur les protubérances des végétaux et laisse en noir profond les déclivités. En plans serrés sur les nœuds d’un cep de vigne, les bleus tourmentés d’un coin de ciel, la froideur des piquets ou des vieux troncs d'arbres burinés par le temps, etc. Par opposition aux teintes chaleureuses des sols réalisées dans des tons ocres ou des verts délavés, avec des pigments mêlés aux peintures acryliques.

FLAMEN Jean-Claude :

Il semble de prime abord que les œuvres de Jean-Claude Flamen soient des vitraux. Mais bientôt, il est évident que ce sont des tableaux, parce que l'artiste ne place des lumières qu'à l'avant de l'œuvre. Travaillant avec de l'inox et du verre, il joue ainsi des opacités et des transparences. Découpant les éléments de ses compositions (fruits, oiseaux, personnages, etc.), il peut ainsi susciter des plages entières de brillances, ou au contraire des matités surprenantes. Chaque œuvre se retrouve donc statique, mais paradoxalement animée par des chromatismes entièrement tributaires de l'heure, de l'orientation de l'œuvre, en somme de son jeu avec la lumière.

GEYMANN Guy :

Les œuvres zoomorphes de Guy Geymann sont porteuses d’une symbolique très forte comme La colombe de la paix étendant ses ailes sur le monde ; ou réminiscences de poésies, tels ce Héron, ce Chat saisis dans leurs allures de prédateurs... Quant aux œuvres homomorphes, les unes remontent aux sources les plus lointaines, simples Vénus ovées, à peine émergées de la glaise originelle ; tandis que d’autres aux seins épais, aux bassins lourds et aux rondeurs rassurantes, évoquent des maternités tutélaires. Œuvres polies, miroitantes, appelant la caresse, l'intimité par leurs replis chauds et soyeux… jusqu’au fantasme.

JARLAUD Jean-Philippe :

Certes, Jean-Philippe Jarlaud sait photographier des touristes sur la jetée de quelque bord de mer ; jouer des clairs-obscurs autour d'un cycliste en panne sous un réverbère… mais là où il excelle, c'est aux Comices agricoles, lorsqu'il est, comme les paysans, "au cul des vaches" ! Son appareil devient alors lyrique, capte les jeux de cornes, les poils tamponnés de bleu de la croupe animale ; la main ridée d'un vieux fermier qui pince la couenne de la bête ; celle de son voisin appuyée lourdement sur sa canne ; la face matoise d'un autre, l'attitude relaxée d'un groupe au bord de la place, etc. Dans ce milieu familier, il possède de toute évidence "l'oeil du photographe" qui lui permet de "témoigner" par des œuvres réalistes, plus vraies que nature !

JEANNIN Elisabeth :

Observant dans la nature, les êtres et les lieux, Elisabeth Jeannin les saisit aux moments où celle-ci, dans sa plus matinale intimité, ou au déclin du jour, n'offre que des jeux d'éclairages imprécis. Parfois, sur un fond plus clair, défile en ombres chinoises, une harde de chevreuils. D'autres fois, des clairs-obscurs mettent en relief les méandres d'un serpent lové en quelque coin. Ou, d'un fond très sombre, jaillit un oiseau en plein essor et la lumière se diffracte un instant sur le rouge vif de ses ailes ; bondit quelque animal, et l'on voit alors luire le roux du museau d'un renard et ses yeux acérés, les bruns du groin d'un sanglier… Abandon, menace, solitude ou grégarisme défilent sous le faisceau de lumière de l'artiste.

JOURDAN Jean-Pierre :

Quel est le lien entre les vitraux et les photographies de Jean-Pierre Jourdan ? L'humour ! Quelle différence ? la sobriété face à la pléthore ! Les vitraux en effet, cadres rigides s'il en est, proposent en un unique fragment entouré de plus petits, ici un hibou sur une branche ; ailleurs, incongrues, deux dames en corset façon 1930… Tandis que le photographe, devenu photo graphiste donne à ses oeuvres des aspects cataclysmiques : Moulin Rouge et son environnement de voitures craquelées, envahis d'une nuée pléthorique de sauterelles… Entrée du métro Bastille couverte de végétation sylvestre et de singes… Des fins du monde, en somme, qui seraient, apparemment, la faute des hommes dont ne subsistent que de rares spécimens réduits à l'état animal… ?

LACAILLE Christine :

Les œuvres de Christine Lacaille sont-elles des paysages brouillés par quelque cataclysme ? D'ailleurs, s'agit-il de paysages ? Ou bien ses fantasmes l'entraînent-ils vers de lointains cosmos en gestation ? Ne s'agirait-il pas plutôt de ces sensations qui subsistent au moment du réveil, où l'individu essaie de restituer une cohérence dans les dédales de chaque scène parcellaire ? En vain interroge-t-il sa mémoire pour en extraire les détails non-rémanents ! Seul subsiste, impossible à effacer, le malaise ! Et l'artiste jette alors sur la toile ce qui semble être des fragments de terre, des collages, d'autres ajouts peut-être, sur lesquels la peinture de bleus éteints poncturés de minuscules taches de rouges, créerait un lien dans le chaos ?

LACHOT Guy :

La peinture de Guy Lachot exprime le chaos en couleurs somptueuses, génère glacis et matités des fonds lourds, compacts, par des amas de peinture et coulures aléatoires…  une sorte de magma aux bords duquel, l’artiste grattant le support du pinceau ou du couteau, fait apparaître des formes évocatrices créant dans cette œuvre a priori abstraite, de puissants moments d’émotion. Il procède à grands élans de matière jetée et "traînée" sur la toile, coupés de brusques retours en minuscules plages, telle une symphonie triomphante soudain interrompue, pour repartir dans un nouvel élan mouvant et chaud.  Avec chaque œuvre, l'artiste, en somme, tente de découvrir l’étrangeté magique et la singularité de ce qui bouillonne en lui. Dessine-t-il un trait, déjà il habite la toile. Y cherchant jusqu'à l'obsession, la lumière et l’équilibre.

 

LEFORT Christian :

Photographe, Christian Lefort semble avoir couru le monde, ce monde aux couleurs si diverses, si violentes parfois. Et, cependant, il est resté fidèle au noir et blanc pour en traduire la beauté. Comme si ce choix lui permettait de jouer des contrastes, des symétries, rendre toute la pureté du travail. Ainsi s'attarde-t-il ici sur la corde traversant les naseaux d'un buffle, là sur le minuscule noevus posté au-dessus des rides d'une femme andine au visage cuivré ; ailleurs, il fait se refléter dans l'eau bourbeuse un enfant riant de toutes ses dents… Un beau travail ethnologique. Une technique raffinée attestant qu'il promène partout son "œil de photographe".

LEGRIS Halina, dite Halina :

Récurrence d'un thème pictural : l'eau. Tantôt la lande bordant la mer, avec ses herbes roussies par le vent et le sel ; tantôt l'intimité d'une petite crique aux contours envahis de roseaux ; ou bien parfois les jeux de lumière sur l'eau brune, tandis qu'au fond un ciel gris presque uniforme bouche l'horizon. Parfois, Halina Legris promène son pinceau au milieu des marais, où se confondent l'eau et les touffes d'herbes folles. Ou bien, elle se réfugie sous des frondaisons bleutées qui se reflètent dans l'eau de quelque ruisseau, jouant alors des nuances céruléennes pouvant aller jusqu'au blanc. Mais jamais d'êtres vivants dans ces univers aquatiques !

Halina a obtenu le Prix du Public 2011.

LEMAIRE Christine :

Telle une magicienne, Christine Lemaire qui travaille grandeur nature, fait naître d'une vieille tôle rouillée par les intempéries, d'une barre de fer abandonnée dans quelque cour, des objets métalliques glanés au cours de ses voyages, ici un couple de femmes en robes moulantes, tenant à la main leur réticule ; ailleurs un personnage sans doute masculin enveloppé d'une cape… Objets ayant eu une histoire, qu'elle lisse, brosse, vernit… comme pour faire disparaître les aléas de cette ancienne vie et leur en conférer une nouvelle. Avec un sens inné du mouvement aérien. Une longue recherche, en somme, dans les arcanes de l'Art-Récup'. A laquelle s'ajoute un minutieux travail sur les jeux d'ombres murales projetées par ses personnages.

MAILLET Françoise :

"La ville palimpseste", tel est le titre d'une œuvre de Françoise Maillet. Et c'est bien ce dont il s'agit dans ses peintures : des sortes de "documents" appartenant au passé de quelque monument détruit par le temps ; le bric-à-brac couvert de tissus effrités d'un bazar ; la bibliothèque d'un savant fou, peut-être… Dont elle laisse entrevoir les éléments architecturaux désormais de guingois. Entre lesquels elle accumule des multitudes-de-petits-alvéoles emplis de multitudes-de-boîtes-de-formats-divers, emplies de multitudes-d'objets-indéterminés, etc. Le tout se côtoyant en des équilibres précaires ; peints dans de belles couleurs brunes et des verts bleutés… En fait, n'était que ces cités sont désespérément vides de toute trace humaine, animale et même végétale, ne s'agirait-il pas d'éléments arrachés à la tour de Babel ? Qui sait?

Françoise Maillet a obtenu à l'unanimité du jury, le Prix 2011 du Conseil général ; et le Prix Univers des Arts.

MARTINEAU Jacky :

Rares sont les artistes qui, connaissant l'alchimie du verre, décident de graver dessus. Et pourtant, ce travail permet des œuvres d'une finesse exceptionnelle. Jacky Martineau est de ceux dont les productions sont composées de verres transparents de différentes épaisseurs et couleurs : Incrustées à l'intérieur, se retrouvent des formes tantôt presque figuratives ("La dame du Pont") ; tantôt abstraites ("La colonne")… en des entrelacs de matériaux : étain, albâtre, peintures, etc. ; la lumière jouant entre éléments opaques et transparents, donnant ainsi, vie à l'oeuvre, par les complémentarités ou les oppositions qu'elle génère.

MOUREY Christian :

Christian Mourey a-t-il de lointains ancêtres africains ou indiens ? Toujours est-il que ses peintures sont comparables à ces tentures murales sur lesquelles, ici trônent des dieux tutélaires, là de farouches guerriers, ailleurs des masques, oiseaux exotiques, mains porteuses d'un œil, etc. Tous ces éléments parfois alignés en grande cérémonie, d'autres fois dans le désordre le plus systématique (du moins apparemment). Mais toujours reliés par de petits personnages facétieux façon BD, plantes linéarisées, lignes brisées, flèches et autres signes cabalistiques… Un travail pseudo-ethnologique, alliant l'humour et la bonhomie.

NOURY Marie-noëlle :

Tridimensionnel, Maurice, le petit bonhomme de Marie-Noëlle Noury, est sans âge. Nul ne sait s'il a fréquenté l'école, mais chacune de ses attitudes, de ses pensées est l'occasion d'un détournement de langage, d'un jeu de mots, d'une allusion à quelque vieil adage. Par contre, lorsque, au gré de la fantaisie de sa génitrice, Maurice se retrouve en deux dimensions, il est alors arraché à ses petites aises et ses petites habitudes calmes et confortables ; il passe d'un monde chargé de certitudes, de tranquillité psychologique, d’égocentrisme bien que doté d’humour réactif, à la solitude, aux errances psychodramatiques dans des villes fantomatiques, aux aperçus d’un ailleurs où autrui est à la fois omniprésent mais jamais amical. Gageons qu'il se préfère en relief !?

SMIT Nelleke :

La femme, le couple dans leurs moments d'intimité. Les œuvres de Nelleke Smit sont peintes à grands traits du pinceau ou du couteau, tantôt surchargé de matière, tantôt presque sec de façon à laisser des traces rugueuses sur l'ensemble et générer, avec les aplats et les plages où la pâte est longuement appliquée en couches épaisses, des reliefs sur le vêtement ou sur la peau. Les contrastes jouant à leur tour avec la lumière qu'ils reflètent tantôt en des espaces chatoyants, tantôt au contraire en des clairs-obscurs sensuels. Ainsi, par ces dissimilitudes, par l'amplitude du geste ou au contraire ses moments ponctuels, l'artiste réussit-elle à donner une impression de flou, de moelleux, de tendresse, de suavité générant l'intimité évoquée plus haut.

SYCHA :

Est-ce uniquement une raison esthétique qui pousse Sycha à créer des œuvres aux volumes absolument lisses ? Afin qu'y jouent la lumière et les ombres, révélant la sensualité d'un cou tendu, d'un corps lové sur soi-même, des fesses d'un couple amoureusement enlacé dont chaque fois, les brillances attirent la main ? Mais pourquoi alors tant de sculptures dichotomiques ? Afin peut-être, justement, d'aller au-delà de la pure beauté, dire combien chaque personnage est duel, combien les disharmonies sont aussi puissantes que les harmonies, combien sous le beau le plus éclatant, peut parfois se cacher l'incertitude, la douleur, la révolte, la vie en somme… ?

TOMMY-MARTIN Charlotte :

De ses visages, de ses arbres, de ses amorces de paysages gravés sur le plexiglas à longs coups du grattoir passé et repassé, longeant, contrariant le rouleau qui a déposé ici du noir, là du bleu… Charlotte Tommy-Martin passe aux lavis dans de belles couleurs ocre. Travail antithétique du premier, puisqu'il s'agit alors d'accepter les effets aléatoires du papier mouillé, de travailler, revenir, savoir ménager des blancs, moduler les nuances des couleurs primaires, secondaires… Se confronter en somme avec le matériau, lui arracher son personnage, traduire la tendresse d'une mère tenant son enfant, la sensualité d'un "nu assis", etc.

Tous les textes sont de Jeanine SMOLEC-RIVAIS. Ils ont été publiés dans le CATALOGUE EVAsions DES ARTS CONTEMPORAINS 2011.

Les illustrations font partie du catalogue.