CLAUDE WOLF, sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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         Jeanine Smolec-Rivais : Nous sommes dans votre monde de sculptures : à la fois des personnages, des visages… En même temps, un monde animalier qui s'intègre dans ce monde diversifié.

            Claude Wolf : Oui, je crée toujours un mélange d'humains et d'animaux. J'appelle l'ensemble mes "humanimaux". C'est aussi notre comportement que je retrouve là. Nous sommes dans un monde humain, mais toujours avec des comportements d'animaux. Alors qu'il existe des animaux qui pourraient avoir parfois des attitudes très humaines ! Je me retrouve dans cette démarche qui est le résultat de mon observation. J'aime bien observer les gens. J'en retire des attitudes, des expressions ; beaucoup pour le visage, le regard. La vie, tout simplement.

 

         J.S-R. : Certains de vos personnages sont à peine en trois dimensions ; d'autres, au contraire sont davantage en relief.

            C.W. : D'autres sont carrément double face.

 

         J.S-R. : Janiformes ?

            C.W. : Oui. Totalement. L'un d'eux, par exemple, est masculin d'un côté et féminin de l'autre. Un autre est masculin des deux côtés.

 

         J.S-R. : Donc, il n'est pas janiforme, puisque "janiforme" signifie absolument identique des deux côtés, comme les statues du dieu Janus..

Et même si les deux faces sont masculines, pour autant, elles ne sont pas forcément identiques.

            Je constate que certains de vos animaux, comme votre corbeau, ont des pieds humains ; que certains humains ont des nageoires. Comment passez-vous de l'un à l'autre ? Et qu'est-ce qui détermine vos choix ?

C.W. : Je suis toujours à la limite entre l'animalité et l'humanité. Il s'agit pour moi de marquer la limite de l'humain, comme l'un de mes oiseaux qui est couché et très proche de l'humain, alors qu'il est majoritairement animal. D'ailleurs, seuls les pieds font la différence, et vous pouvez remarquer que tous les embouts des ailes sont des doigts. Avec des ongles. Même mes petits anges ont toujours des ailes avec des doigts. En fait, les ailes sont en réalité des mains.

         J.S-R. : Mais alors, pourquoi ?

            C.W. : Pour moi, les mains représentent le contact ; et les ailes l'évasion. Nombre de mes êtres regardent vers le haut : ils cherchent à s'envoler. A fuir, en même temps. Une réalité, une forme de réalité, de dureté qu'ils évitent.

           De plus, les ailes sont toujours fixées à la tête : c'est donc une fuite par l'esprit. Par la réflexion. Par le cerveau. Une fuite par le mental. En même temps, c'est mon petit monde d'évasion.

 

         J.S-R. : L'un de vos hommes/poissons a, comme vous le disiez tout à l'heure des ailes, mais elles sont collées le long de son corps et terminées par des doigts énormes. Il y a bien tous les appendices que vous avez définis, mais à quoi lui servent-ils, puisqu'ils sont collés à son corps ?

            C.W. : Certains ont les ailes déployées. Celui-ci, contrairement à ceux qui veulent s'élever mais qui ont une crainte, est serein. Il est "encore" tranquille. Il est dans un moment de quiétude.

 

         J.S-R. : Pour certains, vous laissez le bois très lisse. Pour d'autres, vous avez créé une sorte de pigmentation sur la peau. Même question que précédemment : quand décidez-vous de créer un être lisse ? Un être à la peau granuleuse ?

            C.W. : Cela dépend du bois. Là, c'est entièrement le bois qui commande. Qui me guide. J'utilise majoritairement des fruitiers : cerisiers, pommiers, poiriers, pruniers. Suivant le veinage du bois, je les laisse ou non naturels. Mais dans tous les cas, je les laisse un bon moment sans peinture. Cela peut durer des mois. Et, une fois qu'une couleur me vient, je la leur attribue. Pour certains, donc, le veinage suffit. J'en ai apporté un seul. Il a les yeux fermés, il est en méditation. Il n'a aucun besoin de peinture, parce qu'il n'est pas tourné vers l'extérieur. Il est dans son monde intérieur, donc l'extérieur est le plus lisse possible. Il est d'ailleurs le seul à avoir le visage absolument lisse. Pour les autres, il reste toujours la trace des outils. Cette volonté de lisser le visage a pour but de montrer qu'il est en introspection.

 

         J.S-R. : Justement, j'allais vous parler de ce personnage certes atypique, mais vraiment paradoxal, parce que, d'une part, comme vous l'avez dit, il est complètement centré sur lui-même ; mais d'autre part, il a les ailes complètement déployées. Et comme je ne vois pas d'ongles…

            C.W. : Ils sont derrière, parce qu'en même temps les mains sont ouvertes. On ne les voit donc pas de devant. Il est en introspection, mais en même temps, il est, tel un capteur, ouvert, prêt à capter tout ce qui passe autour de lui. Je dirai qu'il est en réception. Il est dans une position d'accueil.

 

         J.S-R. : Pour certains, vous avez longuement travaillé le visage, au point qu'il soit presque réaliste. Surallongé, mais pratiquement réaliste. Tandis que pour d'autres, la bouche est à peine dessinée, le nez est juste évoqué. Encore une fois, qu'est-ce qui détermine votre choix ?

            C.W. : Je passe toujours par une phase de croquis avant de sculpter. A partir de ce que j'ai perçu à un moment donné, du monde qui nous entoure, je fais quelques croquis. Ces croquis donnent les lignes de force de la future sculpture. Mais c'est aussi pour m'assurer que je n'oublierai pas, parce que ce moment peut être lié à une information précise, à une émotion, tout ce que je peux ressentir et qui peut m'arriver. Je fais ce croquis pour ne pas oublier la ligne. Après, je le traite un peu aussi avec un petit côté bande dessinée dont j'aime beaucoup l'humour. Je lui donne un petit côté coquin. J'en rajoute un peu ! Alors que d'autres vont rester plus sévères, plus réalistes. Mais c'est totalement dépendant du moment et de l'émotion ressentie à ce moment précis. C'est un dessin spontané, il n'y a pas de quête particulière.

            Après, quand je sculpte le bois, j'essaie de me tenir à mon croquis.

         J.S-R. : J'en reviens à ces deux personnages qui n'ont pratiquement pas d'épaisseur, qui sont presque en deux dimensions : Pourquoi ?

            C.W. : Parce que j'aime bien ce côté "ils ne prennent pas de place". Ils se font oublier. Ils sont contre un mur, ils sont étroits, longilignes, les mains bien serrées contre le corps. Du style "j'observe, mais vous ne me remarquez pas". Ils sont pratiquement dans une position d'oubli. Ce sont les discrets ; en somme, ils observent mais discrètement.

 

         J.S-R. : La façon dont vous avez disposé vos œuvres fait que chaque personnage qui pourrait être proche de l'humain, est entouré par des poissons. Pourquoi cette récurrence des hommes/poissons, des poissons/hommes, des poissons/poissons… ?

            C.W. : Pour moi, le poisson nous ramène aux origines. On sort de la mer ou on y retourne, et c'est un élément que j'aime beaucoup. Je trouve le poisson très proche de l'humain : il vit en groupe. J'aime bien le côté "banc de poissons", c'est comme une bande d'humains. Ils ont le même comportement grégaire, réagissant ensemble à un évènement, à une crainte.

 

         J.S-R. : En fait, vous jouez un peu La Fontaine ou Esope, en donnant à vos animaux les caractères humains ?

            C.W. : Oh là ! Je n'ai pas cette prétention. Mais oui, bien sûr. C'est une tentation facile. Pour moi, cela coule de source : j'aime bien cette attitude sans prétention qui consiste à regarder en se positionnant du côté de l'animal.

 

            J.S-R. : Y a-t-il d'autres thèmes que vous auriez aimé aborder et que nous n'avons pas évoqués ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

            C.W. : Non, je ne pense pas. Nous avons bien évoqué ce qui ressort. J'aime bien, au contraire, la spontanéité du regard des gens. C'est bien.

 

         J.S-R. : En tout cas, c'est surprenant, parce que vous avez créé là une sorte d'univers qui est dans une sorte d'envol. La façon dont vous avez placé tous vos personnages, sans qu'ils soient bien alignés, tous plus ou moins de guingois, c'est vraiment un monde en mouvement.

            C.W. : Ah oui, oui ! Mais surtout un monde "en évasion". S'évader par l'esprit, ne pas rester accroché, figé. J'ai toujours l'espoir d'un mieux-être. D'un ailleurs, même.

 

         J.S-R. : C'est la première fois que vous exposez dans un festival d'Art singulier ?

            C.W. : Oui.

 

         J.S-R. : Comment ressentez-vous ce contexte ?

            C.W. : Je trouve le lieu très beau, la promiscuité avec les autres artistes très intéressante. J'aime beaucoup le mélange de tous ces gens.

 

                ENTRETIEN REALISE A BANNE, DANS LES ECURIES DE BANNE, LE 4 JUIN 2011.