VALERIE BLANCHARD, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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Jeanine Smolec-Rivais : Valérie Blanchard, ma première impression, et apparemment, comme vous me l'avez confirmé, cela arrive souvent, c'est que votre travail est très "exotique". J'avais tout de suite pensé aux créateurs haïtiens ; mais vous me dites qu'il n'en est rien !

            Valérie Blanchard : Non, en effet !

 

         J.S-R. : Dans ce cas, de quelle origine êtes-vous ? Et comment en êtes-vous venue à cette création ?

            V.B. : Je suis d'origine parisienne ! En fait, ce sont des scènes de vie, des scènes que j'ai vues dans mon quartier, dans mes déplacements…

 

         J.S-R. : De quel quartier de Paris, parce que certaines sont tout de même inattendues !

           V.B. : Il y en au aussi de Marseille, Barcelone où j'habite maintenant, et d'Andalousie où j'ai vécu un moment.

 

         J.S-R. : Ce sont souvent des scènes de la rue. Des scènes du quotidien.

            V.B. : Voilà ! Des scènes que j'ai vécues.

 

         J.S-R. : Donc, toutes ces scènes sont autobiographiques ?

            V.B. : Oui. Ce sont mes racines, en fait.

 

         J.S-R. : Soyons logiques et revivons ces scènes de gauche à droite. Sur l'un des tableaux, vous avez des gens dans la rue, en train de regarder une voiture en feu !

            V.B. : En fait, j'habitais Paris. Une nuit, il y a eu une scène entre un couple de voisins. Et l'homme a jeté une torche par la fenêtre, sur la voiture qui a pris feu. Puis il est parti. Panique, pompiers, etc. !!

 

         J.S-R. : Une deuxième scène se passe également dans la rue. Est-ce une expulsion ? De qui s'agit-il ?

            V.B. : Non? Non pas du tout ! J'étais à l'ANPE où j'attendais mon tour depuis au moins deux heures, et je regardais ce qui se passait dans la rue. Et j'ai vu une dame qui allait chercher ses enfants à l'école…

 

         J.S-R. : Nous pourrions ainsi résumer tableau après tableau, d'autant que sur certains vous avez même mis des petits textes. Que dites-vous, dans ces petits textes ? Vous racontez l'histoire ? Ou vous donnez vos impressions ? Ou c'est tout à fait autre chose ?

            V.B. : Sur l'un des tableaux, je fais de l'ironie sur le machisme. La femme est en train de faire les courses, courir partout avec les enfants, les papiers. Son téléphone dans sa poche se met à sonner : c'est le mari, tranquillement à la maison, et qui se met à crier qu'il a faim ! Sur une autre, j'étais au restaurant avec mon beau-père, et j'écoutais une femme apparemment un peu cinglée, et qui parlait toute seule !

 

         J.S-R. : En fait, ma question était : Est-ce que le texte raconte l'anecdote, et dans ce cas fait doublon avec la scène peinte ? Ou bien est-ce que vous inventez un commentaire ?

            V.B. : En fait, j'écoutais ce qu'elle disait, je l'ai copié sur mon petit carnet, et je l'ai recopié sur le tableau.

 

         J.S-R. : Donc, pour chaque œuvre, nous avons une scène de la rue, ou parfois une scène d'intérieur comme celle que vous avez intitulée "Grands et petits drames en Andalousie".

            V.B. : C'était une série d'évènements qui sont survenus en quinze jours, pendant que j'étais à Grenade. Une vraie série noire. Un ami qui s'est suicidé ; des amis qui étaient à la plage et une voiture qui est tombée devant eux ; une copine qui avait laissé sa fille seule à la maison et un voleur qui est rentré par la fenêtre, etc. Et moi qui me suis fait attaquer à trois heures du matin !

 

         J.S-R. : Tous vos personnages sont des gens costauds, bien plantés ; et la façon dont vous les peignez est extrêmement linéarisée. Il n'y a pas d'hésitation sur les contours de ces individus.

            V.B. : Ils sont toujours très tranchés, en effet. Très contrastés. J'aime les rapports de couleurs entre eux, les contrastes.

 

         J.S-R. : En même temps, vous avez un mélange de populations, avec beaucoup de Noirs. Ce métissage était-il ainsi dans la vie, ou l'avez-vous fantasmé ?

            V.B. : Oui, oui ! Ce sont partout des populations extrêmement mélangées !

 

         J.S-R. : En même temps, on peut dire que vous peignez les gens tout à fait au naturel ! Même s'ils sont très raides, ils sont carrés, massifs. Et leurs visages traduisent tous les sentiments imaginables dans des évènements quotidiens ! Par exemple, l'effarement, la surprise devant la voiture en feu ! De grands yeux apeurés comme celui qui est encore dans l'entrebâillement de la porte… Coléreux comme ceux qui se battent dans la piscine, devant la foule amassée ! Jouissance, étonnement, tout y passe ! Dubitatifs, là je ne sais pas trop ce qu'ils regardent ?

            V.B. : Ils regardent les gens à la plage, en fait. Ils regardent les filles sur la plage, tout en sirotant une bière.

 

         J.S-R. : En somme, juste avec les yeux ; même pas forcément avec la position du corps, vous arrivez à traduire tous les sentiments que peuvent éprouver des humains !

            V.B. : Oui. C'est comme une photo. A part que je ne prends pas de photos. Je préfère les montrer en peinture.

 

         J.S-R. : Je trouve très jubilatoire la scène où le balayeur est en train de donner un coup de pied à un chien !

            V.B. : Non, c'est après e vernissage : il enlève les mégots après que tout le monde soit parti ! Il nettoie, il reste tout seul pour faire ce travail !

 

        J.S-R. : Comment définiriez-vous votre œuvre ? Diriez-vous que c'est seulement anecdotique ? Ou diriez-vous que c'est ethnographique ?

            V.B. : Ethnographique, non. Anecdotique, certes. Un peu sociologique, aussi. Ma façon de raconter la vie des gens. Aujourd'hui. Maintenant.

 

         J.S-R. : Vous êtes donc dans un paradoxe : à part ceux qui sont en short dont on peut dire que c'est un vêtement de tous les temps, d'une façon générale vos personnages portent des vêtements sans connotation d'époque, et sont dans des lieux sans précision géographique ou historique ? Diriez-vous que vous les voulez atemporels ?

            V.B. : Je n'ai pas pensé à cela ! En fait, mes personnages ont des vêtements dans le style de ce qui se porte actuellement. Je pense qu'ils sont de notre époque, pas atemporels.

 

         J.S-R. : Par ailleurs, vos couleurs sont magnifiques. Vous avez une façon bien à vous de les associer. On peut dire, cependant, que les couleurs de l'environnement (muret, mer, etc.) sont aussi raidement dessinées que les personnages.

            V.B. : Oui, pareil. Avec les mêmes contrastes. Les jeux, les rapports des couleurs entre elles.

 

         J.S-R. : Et les fautes d'orthographe dans certains de vos commentaires, sont-elles faites exprès ? Ou est-ce que ce sont des "accidents" ?

            V.B. : Non, elles ne sont pas exprès ! J'étais mauvaise à l'école et j'ai continué ! On ne peut pas être bon partout !

 

J.S-R. : Donc, cet aspect-là est également autobiographique !

            V.B. : Oui, absolument ! Ce sont les restes d'une scolarité médiocre !

 

         J.S-R. : Finalement, j'apprécie infiniment tout cet humour qui se dégage de votre travail : vous faites vos personnages très raides, mais on sent que vous les aimez, qu'ils ont fait partie de votre vie.

            V.B. : Oui, c'est un peu ironique.

 

         J.S-R. : Oui, mais gentiment, sans méchanceté.

            V.B. : La tragi-comédie de la vie.

 

         J.S-R. : Vous n'avez pas répondu à la question où je vous demandais quelle définition vous donneriez de votre travail ?

            V.B. : Vous voulez parler du style ?

 

         J.S-R. : Eventuellement. Mais plutôt la portée que vous donnez à ce travail ? Et puis, par exemple, pour ces scènes-là alors que dans une même journée, vous en avez sûrement vécu d'autres ?

            V.B. : C'est selon l'inspiration. Lorsque les images m'arrivent, j'en reprends quelques-unes, selon la force avec laquelle elles me viennent. C'est selon !

 

         J.S-R. : Est-ce que vous faites des dessins avant ?

            V.B. : Oui, je dessine !

 

         J.S-R. : Et pensez-vous que ces dessins sont la cause de la raideur de vos personnages, de cette apparente absence de spontanéité ?

            V.B. : Ce n'est pas pareil si je ne les dessine pas d'abord. J'ai besoin de ces dessins. Mais en fait, moi je ne les vois pas raides ! Ils ont un petit côté cubique, mais raide non !

 

         J.S-R. : En fait, il me semble que votre œuvre que j'aime infiniment, serait classable plutôt dans l'Art populaire ou l'Art naïf que dans l'Art hors-les-normes ?

            V.B. : Je ne sais pas. Je ne sais pas le définir.

 

         J.S-R. : Je pense à des musées d'Art naïf où l'on trouve de nombreuses œuvres de la même facture, où il n'y a pas de remords sur le dessin ; pas d'hésitation : c'est net, c'est léché.

            V.B. : Je ne sais pas. Je suis autodidacte, et j'ai appris sur le tas ! Alors, au fond, qu'importe

 

         J.S-R. : Et si vous êtes autodidacte, à quel moment vous êtes-vous mise à peindre ?

            V.B. : J'ai toujours beaucoup dessiné. Et en 93 où j'habitais à Grenade, j'ai posé pour un peintre qui faisait des portraits. Rien à voir avec ce que je dessinais. Et un matin, je suis allée dans un magasin acheter du matériel, et je me suis lancée. Une révélation !

 

         J.S-R. : Et dès le début, vous avez peint comme vous le faites aujourd'hui ?

            V.B. : Oui. C'est sorti tout de suite. Mais après, cela a évolué. Je n'ai pas cherché, j'ai trouvé, comme le disait Picasso.

ENTRETIEN REALISE A LA BIENNALE HORS-LES-NORMES DE LYON, LE 1ER OCTOBRE 2011.