HUGUES PICHERIT, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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         Jeanine Smolec-Rivais : Hugues Picherit, votre monde est totalement imaginaire, un peu fou. Un monde dru, avec de multiples personnages serrés les uns contre les autres, qu'ils soient humanoïdes ou totalement fantasmés. Mais, dans l'ensemble, il s'agit d'un monde "humain" ? En même temps, vous y incluez des animaux, des sortes de monstres qui sont peut-être des personnages issus d'une quelconque religion ?

            Hugues Picherit : Un monde un peu boschien ?

 

         J.S-R. : A la différence que vos œuvres sont beaucoup plus colorées ; que l'essentiel ne se trouve pas sur une ligne : L'essentiel couvre tout le tableau.

            H.P. : Oui. En plus, ils sont tous complètement différents. Même si la technique est similaire, les thèmes varient de l'un à l'autre. Certes, les couleurs sont proches, la façon de dessiner, mais c'est le sujet qui varie.

         J.S-R. : Passant de l'un à l'autre, nous trouvons pour l'un des humains sans ambiguïté, pour un autre des insectes en train de se battre…

            H.P. : Ce tableau-là s'intitule "Machin au bilboquet" : c'est un "machin" ! Je ne veux pas le définir plus précisément. Par contre, il a un bilboquet à la patte, ce qui est très concret. C'est le contraste entre cette chose improbable et le bilboquet dont tout le monde sait ce que c'est. J'aime bien taper dans une forme d'étrangeté, mais qui ne soit pas forcément sombre. J'aime me dire que le cerveau du spectateur est dans l'indécis, le bizarre, l'étrange.

 

         J.S-R. : Vous dites "être dans l'indécis", mais tout de même vous avez dessiné tout le squelette du personnage : je ne suis pas sûre que tous les éléments soient dans l'ordre, mais ils y sont tous.

            H.P. : Oui, on peut voir cela de cette façon !

 

         J.S-R. : Un autre de vos tableaux est conçu différemment : vous avez un gros personnage imitation Spiderman… qui ferait face à de pauvres humains malheureux parce qu'apparemment ils n'ont plus d'eau ? Nous serions donc dans une scène plus réaliste ?

            H.P. : Non, pas du tout ! C'est une mise en scène qui pourrait être un cliché d'une pièce de théâtre.

 

J.S-R. : Mais alors, que me dit cette mise en scène ?

            H.P. : En fait, cette toile a une histoire : Je devais participer à une exposition à Luxembourg, qui ne s'est pas faite. Et je me suis dit : "Moi qui suis de gauche, aller exposer à Luxembourg, aller exposer chez l'ennemi, c'est un peu dur, quand même !" Et, comme acte de rébellion, j'ai fait cette toile. Qui, en fait, exprime ce que dirait un gros bourgeois ! Un requin ! Et, en plus à moitié un obsédé. Et pourtant, j'ai peint cette toile avant l'histoire Strauss-Kahn ! Pour faire simple, le robinet est plutôt une bite !

 

         J.S-R. : Qui est tout de même bizarrement placée !

            H.P. : Il croise, dans le parc peut-être la maman de la petite, mais peut-être aussi une nourrice ? Il raconte ce genre d'histoire !

 

            J.S-R. : Et alors, le petit garçon serait dans l'imitation de son père ?

            H.P. : Oh la la !

 

         J.S-R. : Mais il a la même chose sur le ventre ! Ah! le "oh la la" voulait dire "oui", et plus encore !

         Quant aux autres tableaux, on pourrait dire que ce sont des morceaux de ces toiles à mises en scène : nous avons un rhinocéros, une tête de chien, un polichinelle ou un clown, en tout cas, il a un habit en patchwork, un écorché… Chaque fois, ils sont placés sur un paysage qui pourrait être réel. Simplement, les couleurs seraient excessives par rapport à la réalité. Comment situez-vous ces êtres isolés sur la toile, qui la remplissent, par rapport à ce que vous avez défini comme des "mises en scènes" ?

            H.P. : Je cherche à faire des images fortes. J'essaie donc de remplir le support en prenant un unique sujet. Cela pourrait aussi se rapprocher de la peinture de propagande. Après, je laisse à chacun le plaisir de découvrir ce que, pour lui, exprime le tableau, vu que chaque fois que l'on me parle de mes œuvres, on me raconte des choses différentes. Pas forcément à côté de la plaque, d'ailleurs !

 

         J.S-R. : C'est bien l'intérêt pour un artiste, que chaque spectateur ait un avis différent, que l'œuvre laisse place à la subjectivité de chacun. Mais je vous demande de m'expliquer pourquoi dans certaines scènes vous avez une foule de gens, et d'autres fois des éléments isolés, comme des gros plans sur un détail ?

            H.P. : C'est plutôt une façon de travailler. Je travaille toile par toile. Je commence une toile, je la finis. Et ainsi de suite. Donc, chaque fois que je commence une toile, je ne la vois pas comme un élément d'une série, elle est indépendante. Souvent, j'ai envie de changer. Quand j'ai terminé une mise en scène qui est un travail énorme, j'ai envie que la suivante soit plus simple pour me détendre un peu. Je ne dis pas que c'est plus simple, mais par exemple pour le rhinocéros, il y a moins de couleurs… La cohérence tient aux couleurs, à la façon de faire, bien qu'il n'y ait pas forcément de "suite" dans les œuvres. Par contre, on retrouve les nuages violets un peu partout. Ou les dégradés de bleus des fonds.

 

         J.S-R. : Je voulais remarquer que la conception des fonds (couleurs, fleurs, etc.) me fait penser au Douanier Rousseau. Il y a la même précision feuille à feuille, pétale à pétale, pli à pli…

            H.P. : C'est vachement plus précis que le Douanier Rousseau !

 

         J.S-R. : Non, je le trouve, lui aussi, infiniment précis. Et hier, en visitant votre stand, j'ai pensé tout de suite à lui. Mais c'était un regard comparatif très positif ! La comparaison est pour moi un compliment.

            H.P. : Tant mieux parce que j'aime bien le Douanier Rousseau ! Mais je ne veux pas forcément l'imiter !

 

         J.S-R. : C'est la même précision, la même naïveté dans la façon dont le décor entoure vos personnages. Passons aux dessins, aux aquarelles ?

            H.P. : Ce sont des dessins à la plume. (Sergent Major, bien sûr ! On en trouve encore, pas partout, d'ailleurs). Et puis je les travaille avec de l'aquarelle, ou avec de l'acrylique ; en noir et blanc aussi. Je prépare mes fonds avec des couleurs différentes, selon ce que je bois : des bruns si je bois du café ; des rouges si je bois du vin…

 

J.S-R. : En somme, vous faites une tache, et vous peignez dessus ?

            H.P. : C'est le même principe que les peintures, seule la technique change. Tantôt je commence par un dessin et après je fais des taches dessus ; Tantôt je fais des taches et je m'en inspire plus ou moins. Je fonctionne dans les deux sens.

 

        J.S-R. : Vous attendez que la tache soit sèche pour dessiner ? Ou vous jouez de l'effet buvard ?

            H.P. : Je fais les taches très rapidement, donc les matières se mélangent un peu, sur de petits passages. C'est le côté intéressant. C'est en fait très récréatif.

 

         J.S-R. : Le rôle de la tache est donc uniquement d'apporter des couleurs et non pas de jouer sur l'aspect final du dessin ?

         H.P. : Comme l'a dit quelqu'un dont j'ai oublié le nom, "un dessin c'est comme de la peinture avec des moyens limités". Avant, j'avais tendance à faire des dessins très noirs et blancs, parce que je voulais justement une efficacité maximum. Mais au bout d'un moment, je me suis demandé pourquoi vouloir toujours être dans une forme extrême ? Les taches sont jolies, je peux donc faire quelque chose uniquement pour le plaisir esthétique, sans aucune signification propre, ou sans atténuer la force du dessin. Mais je peux aussi vouloir autre chose !

 

         J.S-R. : En même temps, elles font un jeu d'ombres faussé par rapport au sujet qui est placé au milieu du support.

            H.P. : Oui.

 

         J.S-R. : J'avais commencé à évoquer le mélange entre des gens réels et des gens fantasmagoriques. Vous m'avez répondu "un monde boschien". Mais Jérôme Bosch n'avait que des personnages "réels".

            H.P. : C'était seulement pour un de mes tableaux. Car j'ai moult, moult références ! Cela va de l'Art brut aux Symbolistes en passant par l'Expressionnisme allemand, etc. etc. Il y a vraiment de quoi faire dans l'histoire de l'Art. A propos du rhinocéros, beaucoup de gens me disent : "Ah ! c'est surréaliste". Si on veut ! Peut-être à cause des cailloux qui partent en tous sens ?

 

            J.S-R. : J'aurais plutôt pensé à cause des lanières qui couvrent son corps…

            H.P. : Pour celui-là, donc, on me parle de Surréalisme ! Ailleurs, d'autre chose ! Chacun juge en fonction des références dont il dispose.

 

         J.S-R. : Et vos sculptures sont en quelle matière ?

            H.P. : C'est du tuffeau. Le tuffeau est du calcaire. Sommairement, c'est de la craie. Saumur, Nantes sont faites de tuffeau, avec leurs immeubles blancs. Je suis nantais. Ce matériau m'inspire.

 

         J.S-R. : Bien sûr, là encore, les personnages sont tout à fait fantasmés, mais –c'est sans doute lié à la matière- ils sont tellement raides qu'on n'y retrouve pas la folie créatrice des peintures. Elles sont beaucoup plus sages.

            H.P. : Ouais, si vous voulez ! Si vous le dites !

Entretien réalisé dans la Maison de la Cheminée du festival de Banne, le 4 juin 2011.