CENDRINE PANNIER, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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Duo sur la ville lumière
Duo sur la ville lumière

Jeanine Smolec-Rivais : Cendrine Pannier, vous évoluez dans le monde de l'enfance, peut-être dans le monde du conte parce que je vois des personnes en lévitation ? En même temps, tous vos personnages évoluent dans une attitude très ludique, ce qui me fait pencher davantage pour l'enfance ?

            Cendrine Pannier : Je ne le perçois pas ainsi. Peut-être que, par les couleurs, mon travail fait penser à l'enfance ? Je me vois davantage dans un monde onirique, où les gens qui seraient de mon âge, entre la trentaine et la quarantaine, évolueraient dans un univers où tout pourrait être merveilleux. Où il n'y a plus de contraintes, où c'est la liberté. Il n'y a que de la joie. Il ne reste que le monde retrouvé de la joie.

 

         J.S-R. : Nous serions donc en pleine utopie ?

            C.P. : Voilà. Cette idée me convient mieux que l'enfance.

 

         J.S-R. : Ce qui m'avait amenée à cette conclusion, c'est que l'un des personnages tient un ballon, un autre un accordéon ; les uns chantent, les autres jouent de la musique…

            C.P. : Oui, par ce côté, nous serions proches de l'enfance.

 

         J.S-R. : Ce qui est récurrent dans vos œuvres, c'est l'idée de musique ?

            C.P. : Oui.

 

         J.S-R. : Par ailleurs, comme vous êtes parfois dans le monde du cirque, je pensais que peut-être, bêtes et gens se parlent, se comprennent. Donc comme vous l'avez dit, dans un monde onirique, mais en même temps, dans un monde ludique.

            C.P. : Oui, on peut considérer les animaux comme une continuité ou les égaux de l'homme.

 

On attend des amis
On attend des amis

         J.S-R. : Vous m'avez répondu négativement lorsque j'ai parlé d'enfance : nous sommes donc dans un monde adulte ; mais des adultes qui auraient gardé leur part d'enfance ?

            C.P. : Voilà. Qui auraient tous les droits : celui de voler par-dessus les maisons, de jouer de la musique, etc.

 

         J.S-R. : Justement, sur plusieurs œuvres, vos personnages sont en lévitation. C'est là, ce qui me fait dire que, en plus, nous sommes dans le monde du rêve. Ou dans celui des contes du Moyen-Orient, les "Contes des mille et une nuits", par exemple.

            C.P. : Il y a quelque chose vers quoi je ne pars surtout pas, c'est l'idée du spontané. Il y a un côté virevoltant des personnages qui fait que l'on est à la limite du rêve et de la psychologie. Par exemple, l'un de mes tableaux intitulé "Dans le ciel de ta campagne" montre deux personnages au-dessus de leur ferme. Ils sont en train de s'élever à la campagne.

 

 

         J.S-R. : En même temps, il y a une petite connotation biblique, avec ce personnage chevelu et barbu qui, lui, descend apparemment du ciel et est en train de les accompagner. Mais peut-être est-ce l'inverse ? Vers où les accompagne-t-il ? Dans leur montée vers le ciel ? Ou dans leur descente vers la terre ?

            C.P. : Il les emmène où le veut celui qui les regarde ! Moi, je ne sais pas ! Mais en fait, peut-être sont-ils "entre deux", et n'y a-t-il pas toujours à choisir. Il suffit de se laisser porter.

 

         J.S-R. : Par contre, vous avez –et j'ai trouvé cette œuvre un peu surprenante, parce que c'est la seule où j'ai relevé cette idée- un passage vers la cruauté. Dans l'angle haut, à droite du tableau, se trouve un aigle. Par terre, il y a un poignard. Un serpent en train d'être dévoré par un lion. Dans cette œuvre, nous ne sommes plus dans un monde d'harmonie et sans souci, nous sommes dans un monde où le plus fort va manger l'autre ? Ou tout au moins un monde de danger.

            C.P. : Oui, peut-être rejoignons-nous ici le réel. Il y a toujours la nature, un cercle qui tourne, la chaîne de la vie en fait, qui est représentée, mais de manière très symbolique.

 

Nativité
Nativité

         J.S-R. : Mais alors, vos personnages si heureux, sans soucis, qui s'élèvent entre deux monde, d'un seul coup, les voilà soumis à ces aléas ?

            C.P. : A la loi ! Peut-être que, dans celui-là, ils "avaient besoin" de revenir vers le monde réel !

 

         J.S-R. : Venons-en à vos couleurs. Vous avez des œuvres extrêmement colorées ; et cependant vous avez très peu de couleurs. Mais vous les combinez de telle façon que vous créiez des harmonies remarquables.

            C.P. : Oui, parce que je joue souvent sur la gamme des bleus, jaunes ou orange. Et le fait qu'il y ait du mouvement et de nombreux détails dans les robes et les vêtements, génère cette impression de couleurs. Il peut m'arriver de varier, mais j'aime beaucoup cette triade de couleurs. Je les utilise souvent.

 

         J.S-R. : Et vous les prolongez par des violets, des verts/jaunes, etc.

            C.P. : Oui. J'ai toujours aimé poser des couleurs. Depuis toujours, vraiment. Parfois, je me demande si le reste n'est pas qu'un prétexte ? J'ai même pensé parfois faire de l'abstrait.

 

         J.S-R. : Parlant des personnages, vous donnez toujours l'impression d'hésiter à les faire réalistes ? Au contraire, vous choisissez de les styliser, les rendre un peu difformes avec des jambes très longues, tordues dans tous les sens, des bras immenses : des jambes qui leur permettent d'aller d'un clocher à l'autre sur la tête d'un oiseau, etc. Et chaque fois, alors que vous partiez pour faire une œuvre réaliste, comme celle que nous avons évoquée, les voilà avec des bras qui se retournent trois fois… des bras, donc, complètement démesurés.

            Comment fonctionnez-vous pour partir d'une tendance réaliste et parvenir à quelque chose de complètement impossible ?

            C.P. : Je pense que, dans la vie, nous sommes tous différents ; nous avons tous des différences visibles lorsqu'elles sont physiques, difficiles à voir lorsqu'elles sont à l'intérieur. Ce sont ces différences physiques que je représente par des bras tordus, des jambes démesurées, etc. D'autant que, pour moi, la réalité et la perfection d'une personne n'existent pas. Qu'est-ce qui définit que ceci est beau ; que ceci peut être beau… ? Ce que j'exprime dans mes toiles, c'est que tout peut être disproportionné, mais tout peut être aussi harmonieux.

 

Je suis de sortie avec Colombe
Je suis de sortie avec Colombe

         J.S-R. : En même temps, vous donnez l'impression de créer la déformation en fonction de vos besoins ? Par exemple, dans le tableau dont nous avons dit qu'il était cruel, le bras droit de la fille, tout à fait normal, est appuyé sur le bras du garçon. Alors que son bras gauche est complètement disproportionné, parce que vous avez besoin d'aller l'appuyer sur le deuxième bras du garçon. Et il faut, d'autre part que ce bras fasse le tour de la tête !

            C.P. : Oui, ce doit être vrai. Mais je ne réfléchis pas à ces détails !

 

         J.S-R. : En fait, on pourrait dire que, dans votre création, la nécessité crée l'organe !

            C.P. : Oui. En fait, comme je ne veux pas me créer de contrainte, je ne vais pas me poser de question pour savoir si c'est normal qu'un bras soit dix fois plus long que l'autre ! J'ai besoin qu'il soit plus long, donc je le fais plus long effectivement ! De même, si je vois que le pied d'une dame est monstrueux par rapport à l'autre, je ne vais pas me donner la peine de le corriger. Puisque je veux qu'elle vole, elle prendra appui sur ce pied-là. De même qu'il n'y a pas de détails sur les doigts, les orteils… parce que pour moi, ce n'est pas important.

            De toutes façons, selon ce que j'ai voulu représenter, la symbolique est différente. Au visiteur d'y rentrer ou non. Par exemple, sur l'un de mes tableaux, j'ai un champ labouré. Une colline. Des personnages par-dessus les maisons. Celui-ci est beaucoup plus symbolique. Il ne fonctionne pas de la même façon que les autres. Il n'a pas été construit avec la même idée de faire un plan, un arrière-plan, etc. Il est très symbolique, il fait appel pour moi à quelque chose de beaucoup plus spirituel. Il fait appel à des choses que les gens n'ont pas l'habitude de voir, de connaître, alors que les arbres, par exemple, n'ont pas la même connotation. On ne peut pas y entrer si l'on n'a pas le même système de valeurs, si l'on n'adhère pas à ce langage symbolique. C'est comme une écriture en psychanalyse, si l'on n'adhère pas au langage, on a du mal à y entrer.

 

Dans le ciel de ta campagne
Dans le ciel de ta campagne

         J.S-R. : Mais dans la symbolique de votre tableau, je vois la lune au bas de l'échelle, et le soleil en haut. Quelle est la symbolique dans cette disposition ?

            C.P. : Le soleil est quelque chose qui élève. Il a un fort pouvoir. Il est rayonnant. La lune est le côté ombre, le côté qu'il faut ramener vers la lumière. Pour que l'échelle qui sert à s'élever ait son pouvoir symbolique, il faut montrer que la lune peut s'élever, c'est-à-dire les zones d'ombres du personnage, en l'occurrence ici c'est une femme. S'élever aussi par le son et la musique. La lune, petit à petit, est mise en lumière par le soleil. Mais elle fait progressivement son ascension, elle monte petit à petit. On la retrouve sur sa tête, car elle la porte en elle. Et le monsieur porte aussi un soleil qui est transformé. Ce soleil a été transmuté. Le titre est d'ailleurs "Le haut et le Bas réunis", donc il y a toujours cette question de bas et de haut qu'il faut réunir et harmoniser. S'ils sont réunis au centre de cette toile, c'est aussi pour réunir chez lui le côté masculin et féminin, on harmonise les contraires. D'être au centre signifie tout cela. Par ailleurs, il y a le dragon ailé qui porte l'épée de la justice et doit protéger la femme. Et le lion qui symbolise la force, et qui est là pour sauvegarder cet ensemble, et maintenir l'équilibre.

 

         J.S-R. : Par ailleurs, ce tableau est conçu sur un cercle. Alors que les autres sont conçus côte à côte. Et là, nous avons un cycle de vie complet.

            C.P. : Oui. C'est la vie elle-même ou la roue qui tourne. Qui est représentée aussi par la symbolique des couleurs en dégradés. De sorte que la boucle est un peu bouclée.

 

         J.S-R. : Nous pourrions parler également des éléments décoratifs que vous ajoutez : des petits S, des points, des points dans le point, des arabesques…

            C.P. : Je ne suis pas sûre qu'ils aient un but décoratif. Les ronds, les croix sont des symboles. Mais je ne me pose évidemment pas toutes ces questions. Je m'intéresse avant tout à ce que les couleurs respirent de lumière et de joie.

Le haut et le bas réunis
Le haut et le bas réunis

         J.S-R. : Y a-t-il d'autres thèmes que vous auriez aimé aborder ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

            C.P. : Il y aurait sans doute bien d'autres choses à dire. Mais, à la limite, je me dis que si nous n'avions parlé de rien, ce serait aussi bien. Parce que parfois, la parole ne convient pas. Au bout d'un moment, je ne la trouve pas assez forte et présente.

 

         J.S-R. : Je trouve que le langage conforte, corrobore ou oppose certaines démarches. Par ailleurs, cet entretien peut vous servir d'archives, dans votre recherche picturale. Et puis, vu qu'il va aller sur Internet, et qu'il y restera donc jusqu'à la fin des temps, quelqu'un, un jour, découvrira forcément vos images et votre "dit". Vous-même pouvez le redécouvrir quand vous serez passée à autre chose.

            C.P. : Oui. Le problème est que, pour moi, ce qui est valable aujourd'hui ne sera pas forcément valable dans un temps futur.

 

                ENTRETIEN REALISE A BANNE, DANS LES ECURIES DE BANNE, LE 4 JUIN 2011.

 

Les oiseaux vont nous unir
Les oiseaux vont nous unir