STEPHANE BEAUVAIS, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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         Jeanine Smolec-Rivais : Stéphane Beauvais, vous avez apporté, me semble-t-il, deux aspects de votre travail : l'un qui est de la peinture à l'eau, donc de l'aquarelle ; le second qui est de la peinture… ?

            Stéphane Beauvais : Oui, de la peinture acrylique.

 

         J.S-R. : Dans les deux cas, vos personnages se situent au milieu de la toile ; et tout autour, il y a un vide non signifiant. Ce qui veut dire que, quelle que soit l'histoire que vous racontez, on ne peut pas la situer temporellement, historiquement, géographiquement, et même socialement.

            S.B. : Non. Depuis le début des années 2000 où je suis vraiment parvenu à mon style, mes personnages sont toujours centrés, et encore beaucoup plus au départ que maintenant. J'avais du mal à m'éclater sur la surface entière du support. Mais expliquer pourquoi je suis ainsi centré, je ne le sais pas trop, en fait.

         J.S-R. : Les dessins à l'aquarelle me semblent beaucoup plus gestuels que les dessins à la peinture.

            S.B. : Oui, j'ai plus de facilité avec la plume et l'encre aquarellée. Le geste est plus sûr. Il n'y a pas très longtemps que je peins à l'acrylique, à peine cinq ans. J'essaie donc de varier les supports. Il y a des moments où je suis saturé d'aquarelle, alors j'essaie de passer à autre chose : peindre sur des cartons, du bois, un peu tout en fait.

 

         J.S-R. : Il me semble que certains de vos dessins sont plus oniriques que vos tableaux.

            S.B. : Oui, je m'en rends compte, mais je ne peux l'expliquer : peut-être tout simplement parce que je suis plus à l'aise avec la plume ?

            J'ai toujours beaucoup de mal à mettre des titres à mes dessins, parce que je ne sais jamais au départ, où je vais. Jamais. Alors, c'est peut-être le spectateur qui juge du résultat et décrit l'œuvre. Ce que j'ai du mal à faire.

 

         J.S-R. : Nous sommes dans un monde humanoïde, qui commence par un petit bonhomme.

            S.B. : Je commence souvent par l'œil.

 

         J.S-R. : A partir de là, de ce "signe" minuscule, vous composez le tableau. J'en vois un, par exemple qui semble partir d'un minuscule personnage qui se décompose en deux éléments ; pas forcément d'ailleurs de nouveaux personnages, je vois à un moment un âne. Mais ces deux éléments continuent à se dédoubler… Pour parvenir à un grand personnage le bras levé, brandissant une girouette…

            S.B. : Je pense que toute une symbolique ressort de mon travail, et que c'est plus spirituel, peut-être ?

 

         J.S-R. : Si vous parlez de spiritualité, vous impliquez une création intime. Donc, vous devriez pouvoir me l'expliquer !

            S.B. : Non, pour autant je ne sais pas l'expliquer. C'est quelque chose que je n'explique à personne ! Mais je pense que cela vient de mon enfance ? Quelques personnes ont su lire mes travaux, mais très peu : deux ou trois personnes. Et c'étaient des personnes qui avaient les mêmes problèmes que moi.

J.S-R. : Diriez-vous, comme Jean Ferrat, que "nul ne guérit de son enfance" ?

            S.B. : Exactement, oui je le crois. Je pense que mon enfance sera toujours là. Qu'elle ressort chaque fois que je dessine. Alors, j'ignore si c'est pour me libérer que je dessine ou que je peins, je pense que oui. Je ne sais pas si c'est une prison ou une façon de me libérer ?

 

         J.S-R. : Venons-en à vos tableaux peints. Là, par contre, vous avez à chaque fois deux personnages. Même s'ils ont l'air d'être seuls au départ, ils se dédoublent. Nous sommes donc toujours dans la dualité ?

            S.B. : Je ne l'avais jamais remarqué ! C'est vrai, mais les deux têtes que vous voyez représenteraient plutôt les deux yeux d'un même personnage.

 

         J.S-R. : Nous serions donc de nouveau dans la même problématique qu'avec l'aquarelle, où des personnages se dédoubleraient ?

            S.B. : Ils ne se dédoublent pas, en fait…

 

         J.S-R. : On aurait le corps, le bras avec les doigts/château. Mais il reste néanmoins que vos deux yeux sont habités ? Dans l'un vous avez un monde, dans l'autre une tête avec un bec d'oiseau. De sorte que, si je voulais surligner vos personnages, j'aurais du mal parce que chaque fois, je me heurterais à un élément supplémentaire, pas forcément justifiable, qui m'empêcherait d'aller plus loin ? Est-ce que c'est ce processus que vous définissez par "je ne suis pas guéri de mon enfance" ?

            S.B. : Oui, peut-être ? Vous l'interprétez de cette façon, mais moi j'ai du mal à transcrire oralement les choses que je peins.

 

         J.S-R. : Le moins que l'on puisse dire, c'est que votre parcours est très chargé d'éléments secondaires, en tout cas toujours inattendus : petites pendules, petits fruits, petits soleils. Mais c'est à peine si vos soleils ont des rayons. Ils vous entourent, mais ils ne sont pas du tout lumineux : est-ce parce que, pour vous, le soleil ne brille jamais assez ?

            S.B. : Sûr ! Je suis, dès le départ, d'une nature un peu pessimiste ! Mais ce serait une bonne analyse de ma relation au soleil !

 

         J.S-R. : Il y a aussi la récurrence des yeux : est-ce parce que vous vous sentez observé ?

            S.B. : Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais j'ai horreur de parler ! Sur le podium, cela a été terrible de me présenter : je ne suis pas renfermé sur moi-même, mais je suis assez introverti, même si je peux être assez ouvert si je m'entends bien avec quelqu'un.

 

         J.S-R. : Par ailleurs, il y a toujours, sur la tête de vos personnages, un autre personnage : j'en vois un en train de pêcher à la ligne ; un autre en train de regarder en bas un oiseau qui essore…   

            S.B. : Oui, j'aime bien m'inventer de petits mondes sur la tête de mes personnages…

 

         J.S-R. : Petit monde amical, ou petit monde qui vous écrase ?

            S.B. : A la place du cerveau ! Celui que nous regardons est amical ! Il n'y a là rien de choquant : les petits bateaux, les petits pêcheurs, c'est un monde paisible.

         J.S-R. : Finalement, dans tout ce monde qui nous semble un peu désordonné, un peu chaotique, la couleur nous ramène toujours à quelque chose de simple, presque serein.

            S.B. : Oui, il y a une sérénité ; et je pense que cela vient de mon métier : je suis coloriste. Je travaille donc la couleur toute la journée.

 

         J.S-R. : Mais vous faites cela dans quel cadre ?

            S.B. : Dans l'imprimerie cosmétique. Tous les jours je choisis des couleurs, en vue des ventes de produits. Mais je pense que cela me sert aussi pour les couleurs de mes tableaux. En fait, la couleur est ce que je veux faire ressentir aux gens en premier. En dehors des formes.

 

         J.S-R. : Deux de vos tableaux ont été placés en bas, à l'écart des autres, comme s'ils étaient en quarantaine, mais finalement on ne voit qu'eux. Sur l'un se trouve un personnage qui m'a fait penser à Sœur Anne… car elle est dans une posture d'attente, et un autre personnage en retrait semble en train soit de suggérer quelque chose, soit de la questionner ? Le second étant "La leçon d'anatomie" ?

            S.B. : Ceux-là, en effet, sont un peu différents des autres, c'est pourquoi que je ne les ai pas accrochés : ils sont, me semble-t-il, plus facilement explicables. J'ai aussi beaucoup travaillé sur le portrait. C'est un autre travail, parce que je ne veux pas m'enfermer dans l'aquarelle. J'aime aborder des thèmes différents.

 

         J.S-R. : En même temps, ce tableau est traité par l'humour. Vous avez stylisé les personnages, vous les avez cousus. Le chirurgien fait un clin d'œil, le mort lève un bras, un oiseau ressemble à s'y méprendre au corbeau du poème d'Edgar Poe, etc. Est-ce bien cela que vous avez voulu exprimer ?

            S.B. : Oui, par l'humour. Mon style est présumé gai. Or, "La leçon d'anatomie" de Rembrandt est tout de même assez grave, j'ai voulu faire un tableau joyeux : un personnage tire la langue, en regardant la scène…

 

         J.S-R. : Y a-t-il d'autres questions que vous auriez aimé que je vous pose ? D'autres thèmes que vous auriez souhaité aborder ?

            S.B. : Que pensez-vous de mon travail ?

 

         J.S-R. : J'aime beaucoup les dessins : je les trouve plus humains. En même temps, ils me semblent plus libérés que les peintures qui me semblent serrées, drues, mal à l'aise. Les dessins me semblent véritablement plus ouverts.

            S.B. : Par contre, je me sens plus à l'aise sur des supports moins nobles que la toile, j'aime mieux des supports plus durs, le bois, même le carton ondulé, qui répondent mieux. Et puis, je n'aime pas trop le tabou qui prévaut autour de la toile.

 

            Entretien réalisé au GRAND BAZ'ART A BEZU, le 11 juin 2011.