STEPHANIE CHAVE, alias BILOOO, peintre.

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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            Jeanine Smolec-Rivais : Stéphanie Chave, vous semblez avoir choisi un bien étrange pseudonyme !

            Bilooo : En effet, mon nom véritable est Stéphanie Chave, mais mon nom d'artiste est Bilooo !

 

         J.S-R. : Et pourquoi avoir changé pour un pseudonyme tellement différent de votre nom ?

            B. : Parce que "Stéphanie" est tellement commun !

 

         J.S-R. : Et ce pseudonyme, "Bilooo", avec trois "O" a quelque chose à voir avec "se faire de la bile" ?

            B. : Non, pas du tout ! Il y a trois "o" parce que le chiffre "3" est important pour moi, c'est tout !

         J.S-R. : Avec votre travail, nous sommes totalement dans le monde des humains ; mais avec des personnages surlignés de façon très rudimentaire (sans que ce mot soit péjoratif, bien sûr), c'est-à-dire avec parfois un trait un peu tremblé… S'il y a un petit dérapage, vous ne le corrigez pas ?

            B. : Non, ils sont même faits volontairement !

 

         J.S-R. : Ah bon ! J'avais pensé que, lorsque vous étiez lancée, vous ne vouliez pas interrompre la ligne commencée.

            B. : Non, c'est une façon de dessiner un peu comme les enfants. Au contraire, il faut que cela déborde…

 

         J.S-R. : Donc, si cela ne déborde pas, vous le faites déborder exprès !

            B. : Voilà !

 

            J.S-R. : Pourquoi cette volonté de procéder ainsi ?

            B. : Je ne sais pas l'expliquer, mais c'est quelque chose qui me plaît beaucoup ! Je pense que c'est peut-être pour casser le côté réalisme ? Mes personnages sont beaux, ils sont bien vivants ; mais en même temps ils sont un peu décalés. Ils sont abîmés par la vie, en fait !

 

         J.S-R. : Si je considère l'ensemble, je vois que vous avez des personnages seuls sur des tableaux très verticaux ; puis des personnages par deux. Parfois, ils sont quatre… Quel sens donnez-vous à ces groupements ?

            B. : Il n'y a pas de règles. Chaque groupe raconte une histoire, et c'est tout.

 

         J.S-R. : Quand ils sont seuls, diriez-vous que leur costume crée leur fonction ? Par exemple, l'une semble être aux bains de mer, avec des poissons qui tourne autour d'elle ; la seconde semble en promenade, puisque nous avons l'amorce de son sac et qu'elle tient une clef dans sa main…

            B. : La clef est très importante pour elle.

J.S-R. : Quels mondes va-t-elle lui ouvrir ?

            B. : Elle joue un rôle dans les couleurs, etc. En fait, chaque élément est un complément à l'histoire que je raconte et que mes personnages me racontent.

 

         J.S-R. : Que vous racontent-ils ?

            B. : Je n'en sais rien, tout dépend de la personne qui regarde. Ils me racontent leur histoire à laquelle je réponds. Aux gens qui passent de raconter la leur. Parfois, c'est la même que la mienne, d'autres fois non. C'est ce qui fabuleux. Il va de soi que chaque réaction est personnelle.

 

         J.S-R. : Quand ils sont à deux –et, à moins que "mon" histoire ne soit pas la même que la vôtre-, ils ne se regardent pas. Ils sont côte à côte certes, mais ils ne regardent que le visiteur qui est en off ?

            B. : Si, certains se regardent.

 

         J.S-R. : Oui, mais ceux-là sont des dessins. Ils n'appartiennent pas à la série que vous avez mise au mur ?

            B. : C'est parce que je ne travaille pas dans la continuité. Je pratique la technique mixte, donc je mets ce que je veux comme matériaux… Après, il y a une évolution du travail. Parfois je tends vers l'illustration, d'autres fois vers du carton, de la toile. En fait, je fais ce qu'il me plaît de faire à un moment donné.

            Il n'y a pas non plus de règle quant à la place des personnages ; ils peuvent ou non se regarder : tout dépend de ce que j'ai envie de faire.

 

         J.S-R. : Souvent, vous avez ajouté un petit texte, une petite phrase, une bribe de phrase. Par exemple, sur l'un des tableaux, je lis "Le désordre" : Les personnages sont-ils fâchés ? Qu'entendez-vous par "Le désordre" ?

            B. : Là encore, les mots doivent donner lieu à des interprétations que chacun doit faire personnellement.

 

         J.S-R. : Tout de même, nous parlions de clef tout à l'heure, il faudrait que vous m'en donniez quelques-unes ! Que vous me donniez quelques réponses !

            B. : Ce n'est pas que je ne veux pas vous répondre ! L'artiste met quelque chose dans son œuvre, et c'est au public de dire ce qui, selon lui, se passe, ce qu'il voit, etc. Ce n'est même pas forcément clair pour moi. Mes personnages me parlent, mais rien n'est définitif. Quand je lis ces mots, je me dis que oui, ils sont fâchés, qu'il y a du désordre dans leur vie… Après…

 

         J.S-R. : Donc, le gros nuage gris au-dessus de leurs têtes serait le symbole de ce désordre ?

            B. : Sans doute ? Représentatif de quelque chose lié à la phrase.

 

            J.S-R. : Plusieurs autres tableaux me semblent fonctionner dans le même esprit ? Par contre, l'un d'eux –que vous avez d'ailleurs placé au milieu de votre cimaise- avec un personnage féminin dans un arbre, et qui dit : "A ma place", se trouve au milieu d'une série de citations ou de parties de citations, de mots… Cette espèce d'aura est-elle son soleil ? Et est-ce la raison pour laquelle elle se sent à sa place ?

            B. : Je ne sais toujours pas ! Des gens ont vu un soleil, d'autres une lune, d'autres encore la parure de l'arbre, en fait. Et moi, je ne sais pas ! En tout cas, elle a trouvé sa place ! Peut-être a-t-elle vécu ailleurs, d'autres aventures ? Et elle a trouvé sa place là où elle est.

         J.S-R. : En tout cas, il me semble y avoir un paradoxe, car elle a les yeux clos et elle est donc complètement introvertie…

            B. : Non, elle n'a pas les yeux clos, je crois qu'elle regarde en bas ? Ce qui est enterré sous l'arbre ?

 

         J.S-R. : C'est-à-dire qu'il y a encore du grillage et des problèmes ?

            B. : Non, ils sont sous l'arbre, je pense qu'ils sont réglés.

 

         J.S-R. : Dans ce qui me semble être du dessin ou des aquarelles, les œuvres que vous proposez me semblent beaucoup plus en mouvement que celles que nous venons d'observer. Les personnages semblent avoir enlevé leurs masques qu'ils ont mis derrière leurs têtes…

            B. : Non, je crois qu'ils ont des masques permanents. Ils ont collé leurs masques dans leur dos, et le masque, c'est leur visage d'apparence.

 

         J.S-R. : Je crois que nous disons la même chose. Ils ont enlevé le masque, et ils sont en train de se disputer : la situation semble aller très mal, parce que l'enfant qui est entre eux deux a l'air particulièrement malheureux ?

            B. : Il a l'air triste, mais il s'est protégé : il est dans sa bulle. Il a trouvé une solution.

 

         J.S-R. : Ces trois-là qui sont paradoxalement plus lisibles, me semblent plus poétiques. En même temps, ils sont dans un contexte où l'on pourrait un peu les situer géographiquement (la lune, des étoiles, etc.), alors que la plupart sont hors de tout contexte ?

            B. : Tout est poésie, en fait. Tous ne sont que poésie.

 

         J.S-R. : Plus loin, l'un de vos personnages est complètement désarticulé…

            B. : Oui. Ils sont tous en morceaux. Un peu comme des marionnettes. Abîmés par la vie, comme je l'ai dit tout à l'heure. Mais ils sont complètement dans l'irréel, aussi. La maman a une robe faite de briques. Bien sûr, il y a des étoiles. Ce qui nous emmène dans un monde un peu idéaliste.

 

         J.S-R. : Finalement, si je considère le tableau que vous avez intitulé "Il était une fois…", je me dis qu'en effet, votre monde est un peu irréel, mais en même temps, très terre à terre.

            B. : Terre à terre, oui, mais c'est une illustration, et je la trouve en quête d'équilibre. Et il n'est pas évident qu'elle l'ait trouvé.

 

         J.S-R. : En quête d'un équilibre par la culture ?

            B. : Non, pas forcément. Il y a le thème du livre pour enfant, de la quête aussi, cette quête qui l'emmènerait vers l'équilibre. Et, peut-être qu'elle pourra y parvenir par ses lectures qui nous emmènent vers l'enfance ?

 

         J.S-R. : Enfin, une autre série sont des collages ?

            B. : Il y a du dessin, et de la couture. Un peu de collage pour le bas.

J.S-R. : Comment "lisez-vous" ces œuvres par rapport aux autres qui sont directement posés sur la toile ?

            B. : C'est un besoin, à un moment, de travailler sur ce papier qui est du papier recyclé et qui est super ! J'en ai fait toute une série, et à un moment ils se sont arrêtés. C'était fabuleux, parce que c'était une autre façon de travailler, d'autres personnages encore. Et c'est une série que les gens aiment bien regarder !

 

         J.S-R. : Je vous imagine plus longuement sur ceux-là, parce que vous avez une façon d'adapter un corps étranger, morceau de tissu, de papier… qui devient partie intégrante de l'œuvre.

            B. : Chaque œuvre me prend très longtemps. En fait, je travaille sur plusieurs tableaux à la fois, jusqu'à ce que les personnages finissent leur histoire. Quand j'ai fait un ajout sur l'un, j'en prends un autre. Parfois, je défais et je refais complètement ce que j'ai fait. Jusqu'à ce que ce soit terminé. A un moment, ce sera terminé.

 

         J.S-R. : Et cet oiseau enfermé dans sa cage, que fait-il-là ?

            B. : Ca, c'est ma déco perso !

 

         J.S-R. : Il n'est donc pas dans la démarche de vos œuvres ?

            B. : Non.

 

         J.S-R. : Passons à d'autres œuvres où l'écriture n'est pas utilisée de la même façon que sur les œuvres précédentes. Jusque-là, vous aviez une phrase ou un morceau de phrase. Sur celles-ci, il me semble bien que vous ayez au moins un texte ? Que l'histoire écrite prenne autant de place que l'histoire dessinée ?

            B. : Oui, souvent quand je dessine un personnage, il a un prénom, et il y a une petite histoire qui se met en place, et rejoint l'illustration. Une petite histoire, mais c'est tout simple. Mais, souvent, ce sont des mots très importants, qui correspondent vraiment au tableau ; et d'ailleurs, souvent, c'est le titre du tableau.

Parfois, pour m'amuser, je prends un conte, et je le fais fonctionner à l'envers. Par exemple, dans "Le petit Chaperon rouge", c'est le loup qui emporte son goûter…

 

         J.S-R. : Justement, je voulais vous demander si vous avez déjà illustré des contes pour enfants ?         

B. : Non, pas encore. Mais je pense que c'est quelque chose que j'essaierai de faire, parce que cela me plaît énormément. J'avais fait un concours pour une affiche pour un livre de jeunesse ; et j'ai illustré un livre pour un ami, mais ce n'était pas un livre pour enfants.

 

         J.S-R. : Enfin, complètement différente du reste, mais bien intégrée dans votre ensemble, c'est une sculpture en bois…

            B. : "Gingo Cacahuète" !

 

         J.S-R. : Là, nous sommes entièrement dans le monde de la Récup' ?

            B. : Oui.

 

         J.S-R. : Et ce personnage est sans ambiguïté très sexué, complètement différent des autres qui ont l'air gentils … Tandis que celui-ci a un vrai sexe très développé…

            B. : Celui-ci aussi veut être gentil ! En fait il prend un caractère un peu particulier parce que je l'avais fait dans le cadre d'une exposition et j'ai eu envie de l'apporter. Je préfère ne pas vous dire le titre !

 

         J.S-R. : Je crois qu'il ne me gênerait pas !

         Y a-t-il s'autres thèmes que vous auriez aimé aborder ? Ou des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

            B. : Non. Déjà, je ne pensais pas dire autant de choses sur mon travail ! Je voudrais simplement parler d'un petit livre sur l'histoire de ma vie…

 

         J.S-R. : Si c'est votre autobiographie, les gens vont la lire. Vous ne pourrez pas vous dérober et dire que c'est à chacun de se faire une opinion !

            B. : Bien sûr. Mais je persiste à dire qu'il est très intéressant de recevoir des avis différents sur une même œuvre.

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES AU FESTIVAL DE BANNE, LE 3 JUIN 2011.