MICHELE NOSEDA, sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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         Jeanine Smolec-Rivais : Michèle Noseda, je vois que vous signez simplement de votre nom de famille. Est-ce pour donner l'impression d'être un garçon ?

            Michèle Noseda : Non, pas du tout, c'est parce que c'est plus simple !

 

J.S-R. : D'où vous est venue cette obsession des poissons, des insectes, des vilaines bestioles genre crabes, scorpions, etc. ?

            M.N. : Mais je ne les trouve pas du tout vilaines ! Je les trouve au contraire très mignonnes !

Cela vient de mon enfance : j'ai toujours passé mes étés au bord de la mer. J'avais à peine quatre ans que mes parents me tenaient en laisse sur un bateau ! J'ai commencé très tôt à pêcher avec eux. Puis j'ai fait de la plongée sous-marine. Je pense donc qu'il y a un goût récurrent dans mes œuvres, qui vient de là.

 

         J.S-R. : On aurait pu penser que vous montreriez vos poissons dans des aquariums, par exemple, du moins dans des lieux clos comme on a l'habitude de les montrer ? Tandis que vous les placez à plat, sur un support que l'on pourrait logiquement penser être un fond sous-marin, tout au moins aquatique : Erreur ! Ils sont à l'air libre ! Ils ont donc évolué, et trouvé le moyen de respirer ?

           M.N. : Non, pas du tout ! J'essaie de les montrer dans leur situation naturelle, c'est-à-dire tels que je les ai vus, moi, quand j'étais en plongée sous-marine ! J'essaie de traduire la vision que j'ai eue dans cette situation-là !

         J.S-R. : Il faut donc faire abstraction de ce que nous avons en tête concernant les poissons ; ne pas penser aux algues, aux coraux, etc., avec les poissons "posés dessus", c'est-à-dire à l'air libre ? Tandis que vous, vous les "placez" au fond de la mer ! Dans leur milieu naturel, comme vous venez de le dire !

            M.N. : Absolument. C'est donc l'interprétation qui joue : ce ne sont pas forcément des algues, des coraux… C'est une interprétation de ce que, moi, j'ai vu, que j'ai connu !

 

         J.S-R. : Mis à part vos poissons qui sont des créations complètes, le reste est de la Récup' ?

            M.N. : Tout est de la récup', les poissons aussi.

 

         J.S-R. : Dans ce cas, qu'est-ce que vous récupérez ? Qu'est-ce que vous glanez ?

            M.N. : Beaucoup de pâte à papier qui me sert souvent à faire la masse. Des plastiques provenant de bouteilles d'eau. Du zinc provenant de vieilles gouttières. Des filets qui servent à emballer les fruits et les légumes.

 

         J.S-R. : Mais tous ces objets sont des choses très terrestres. Alors que je dois croire que vous êtes au fond de la mer !

            M.N. : Oui, tout à fait ! C'est justement cela, le paradoxe ; qu'avec tous ces objets que nous rejetons, que nous ne voulons pas garder, j'essaie de redonner l'image de la nature. Avec ces objets qui ne sont pas du tout naturels.

 

         J.S-R. : une fois que nous avons quitté ces poissons au fond des mers, nous en venons à des crabes. Mais là, vous introduisez ce que je vois comme de l'humour : Certes, vous êtes toujours dans la Récup', mais ce sont des boîtes sur lesquelles vous avez laissé le nom du produit qu'elles ont abrité. En somme, vous avez gardé le contenant en laissant le nom du contenu. C'est un peu comme si vous aviez constitué un panneau publicitaire ?

            M.N. : Oui, c'est l'intervention de l'homme qui a jeté cette boîte et elle est tombée au fond de la mer. Le Bernard l'hermite, lui, en tant que Bernard l'hermite étant sans coquille, est obligé de se trouver un habitacle. Peu importe ce qui est écrit sur la boîte qui est devenue sa coquille.

 

         J.S-R. : Donc, ce ne sont pas des crabes, ce sont des Bernard l'hermite ! J'avoue mon ignorance !

            M.N. : Ce n'est pas grave ! Il reste qu'il est indifférent à l'objet dans lequel il séjourne !

 

         J.S-R. : Du moment qu'il trouve un contenant à sa taille. est-ce pareil dans la réalité ?

M.N. : Oui, c'est pareil. J'en ai vu dans des timbales, par exemple, donc ce que j'ai créé est du domaine du possible.

 

         J.S-R. : Nous en venons au troisième aspect de votre œuvre. Il serait peut-être plus décoratif, n'était que vous aviez travaillé avec une telle minutie sur vos poissons : ce sont vos bouquets. Pour les composer, vous êtes vraiment partie d'éléments qui viennent de la mer ?

            M.N. : Même pas, sauf un ou deux que j'ai récupérés en Bretagne. Mais peu importe, un galet est un galet. Mais moi, je n'y vois pas des bouquets, j'y vois des bancs de poissons.

 

         J.S-R. : Je voudrais revenir aux composantes de vos poissons, parce que, à mesure que je les regarde, je vois des petites lampes, des petites ampoules, etc. Quand vous récupérez quelque chose, faites-vous comme les récupérateurs de bois, bois flottés, etc. Vous dites-vous, je vais les mettre de côté, et un jour je trouverai l'occasion de les utiliser ? Ou bien, est-ce que, dès que vous les trouvez vous avez le sentiment de savoir à quoi ils vont servir ?

            M.N. : Les deux ! Parfois, je récupère en me disant qu'un jour, peut-être, j'aurai une idée pour l'utiliser ; d'autres fois j'ai le flash immédiat comme c'est le cas pour les petites ampoules que vous venez de regarder. Il n'y a pas de règle.

 

         J.S-R. : Mais alors, dans cette actualité où nous sommes en train de rejeter toutes les vieilles ampoules, ce doit être pour vous une véritable manne !

            M.N. : Non, parce que, malheureusement, elles ne sont pas toutes à mon goût.

 

         J.S-R. : Regardons vos petites seiches qui, normalement, ne sont pas de cette couleur ! Puisqu'elles sont en verre, comment les repeignez-vous ?

            M.N. : Ce n'est pas du verre, c'est du plastique. Je choisis donc des bouteilles bleues. J'ai décidé de faire des petites seiches bleues parce que je trouvais que le bleu était joli ! Cela ne me gêne pas de changer la couleur de mes poissons, ce que je ne veux pas, c'est changer la couleur du matériau. Je n'interviens jamais avec de la peinture. Le matériau est ce qu'il est, il faut que je fasse avec. Je dois donc choisir celui qui est le plus adapté à ce que je veux rendre. Parfois, la couleur n'est pas exactement ce que j'avais prévu, mais ce n'est pas gênant. Il faut faire avec, ne pas essayer de bousculer le matériau.

 

         J.S-R. : Pour revenir à vos petits bancs de poissons, si vous n'avez pas peint dessus, qu'avez-vous employé ?

            M.N. : C'est du papier journal. Ce n'est que du papier journal sur une petite structure de fil de fer. C'est rempli avec de la pâte à papier faite à partir de papier journal. Et la couleur est aussi celle du papier. Je déchire dans les journaux les espaces les plus colorés, et je compose mes poissons avec ces éléments. Je n'interviens jamais, jamais, avec de la peinture.

 

         J.S-R. : Je dirai que vous prolongez cette note d'humour en ajoutant vos deux baigneuses, qui sont partout sauf au bord de la mer ?

            M.N. : Non, c'est autre chose, si ce n'est que j'utilise les mêmes matériaux. Ces compositions-là sont uniquement pour me faire plaisir, parce que je retrouve le plaisir du modelage qui n'est pas celui des poissons. Les poissons, ce sont des assemblages, des problèmes techniques. Dans les personnages, c'est vraiment pour moi du modelage pur. Mais toujours fait avec du papier mâché.

 

         J.S-R. : Du papier encollé ?

            M.N. : Non, il n'y a jamais de colle dans ma pâte. Bien sûr, je colle la dernière couche avec de la colle à papier peint, mais dans la pâte elle-même, il n'y a jamais de colle.

 

         J.S-R. : Mais alors, vous mâchez réellement cette sous-couche ?

            M.N. : Avec mon batteur pour monter les blancs d'œufs en neige. Je fais tremper mon papier dans l'eau chaude, et je le passe au batteur. Cela me donne une pâte homogène, très intéressante !

         J.S-R. : Dans l'ensemble, alors que l'on imagine les profondeurs sous-marines très colorées –c'est du moins ainsi que nous les voyons à la télévision- vous constituez vos ensembles dans les gris ; et vous avez seulement quelques bancs qui sont colorés : A quelle profondeur êtes-vous descendue ?

            M.N. : A cinquante mètres.

 

         J.S-R. : Donc, à cette profondeur-là, nous sommes encore dans des compositions relativement neutres ?

            M.N. : Oui. A cinquante mètres, vous n'avez de la couleur que si vous êtes éclairée. Si vous utilisez un éclairage extérieur. Si vous n'avez pas de lampe, vous ne voyez aucune couleur, vous êtes dans le gris. Même les poissons rouges et noirs, paraissent gris.

 

         J.S-R. : Est-ce que ce n'est pas paniquant, de sentir autour de soi tout ce grouillement ?

            M.N. : Non, on est très à l'aise, au contraire. La plongée est un vrai bonheur. On est en état d'apesanteur, c'est assez particulier, mais c'est très plaisant.

            Entretien réalisé dans les Ecuries du festival de Banne, le 4 juin 2011.