MARIE-MADELEINE ROURE, sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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            Jeanine Smolec-Rivais : Marie-Madeleine Roure, comment en êtes-vous venue à cette création de personnages filiformes, si élancés qu'ils donnent tous l'impression d'être dans un mouvement vers le ciel ?

            Marie-Madeleine Roure : Ils sont venus petit à petit. J'avais été intéressée par des crèches mexicaines, et j'avais commencé à travailler de la pâte à papier, parce qu'il n'est pas nécessaire de la cuire comme la terre ordinaire. J'en suis venue à mettre des socles en bois, de façon à fixer davantage mon fil de fer parce que j'avais, jusque-là beaucoup de mal à faire tenir mes sculptures. Cela m'a permis de les réaliser de plus en plus filiformes, élancées, aériennes.

            J. S-R. : Elles sont donc toutes un mélange de fil de fer et de papier mâché ?

            M-M. R. : De papier encollé.

           

         J. S-R. : Vous dites les avoir fixées sur un socle en bois ; mais pour autant, elles pourraient être massives, pataudes, etc.

            M-M. R. : C'est parce que j'aime le mouvement, la danse, et c'est une partie de moi qui s'exprime de cette façon. J'ai besoin de légèreté. C'est venu du fond de moi, sans que je puisse trop expliquer pourquoi. C'est le mystère de la création !

 

         J. S-R. : Si je vois bien, vous laissez le papier encollé brut. Vous ne repassez pas, vous ne repeignez pas dessus ?

            M-M. R. : Non. Simplement, parfois je mets un peu d'enduit pour faire plus blanc. Et je mets du Caparol pour le protéger.

 

            J. S-R. : Qu'appelez-vous du Caparol ?

            M-M. R. : C'est une sorte de médium utilisé en peinture pour ajouter un léger brillant.

J. S-R. : A regarder votre travail, je ne vois que des "humains". C'est donc l'humain dans son mouvement vers le haut ?

            M-M. R. : Oui, il y a juste un petit chien, et quelques oiseaux. Jusque-là, ce n'étaient que des femmes. Récemment, j'ai ajouté un homme. Quelques enfants. Ajoutés par rapport à la mère, la mère qui accapare. La mère qui bouge ou que les enfants empêchent de bouger, tout dépend de la façon dont on voit les choses.

 

         J. S-R. : Il me semble que tout est disproportionné, dans vos œuvres : soit le corps est démesurément long et les jambes courtes ; soit les jambes sont immenses et le corps réduit à sa plus simple expression… Pourquoi n'essayez-vous jamais de les faire réalistes ?

            M-M. R. : Cela ne m'intéresse pas. En fait, ces formes viennent sans réflexion préalable, j'accepte ce qui vient. J'ai besoin d'étirer, surtout les cous. Cela commence même en peinture. Il est vrai que j'ai de moins en moins de matière, cela joue sans doute sur ma démarche ?

 

            J. S-R. : Avez-vous déjà, comme certaines de vos collègues, essayé de travailler du fil de fer seul ?

            M-M. R. : Oui. Mais je ne les ai pas apportées.

            J. S-R. : Et, quand vous dites : "Je n'ai pas beaucoup de matière", vous entendez que vous travaillez uniquement sur la silhouette ; parce que celle que nous regardons sont complètement désincarnées ? Il semble aussi que, souvent, vos personnages n'aient pas le bon nombre de jambes : Les voulez-vous alors unijambistes ?

            M-M. R. : Non, c'est simplement que, parfois, je n'ai pas le désir de constituer le personnage complet.

 

         J. S-R. : Vous pensez vraiment que c'est votre cube de bois qui vous a "sauvé la vie" ; que sans lui, vous ne seriez jamais parvenue à stabiliser vos personnages ?

            M-M. R. : Oui. C'est le fait de pouvoir les fixer de manière sûre. Jusque-là, je posais les femmes sur leur jupe…

 

         J. S-R. : Je vous pose cette question, parce que vos socles me semblent complètement antinomiques des œuvres : ils sont de conception artisanale, bien rectangulaires, bien lisses, etc. Ils n'ont rien à voir avec la fantaisie que vous mettez dans vos personnages.

            M-M. R. : Oui, parce que pour moi, un socle est juste une base qu'il faut, d'ailleurs, oublier. Au début, je les laissais bruts, mais maintenant, je les peins pour qu'on les voie le moins possible

         J. S-R. : Quand vous mettez, comme nous l'avons dit tout à l'heure, des papiers que vous ne retouchez pas, ou à peine, vous avez néanmoins toujours des couleurs très douces. A peine évoquées. Ce sont de minuscules plages de couleurs. Ceci nous amène à votre remarque sur vos peintures : qu'est-ce que vous peignez ?

            M-M. R. : En fait, j'ai d'abord peint, puis je suis passée à la sculpture. Maintenant, je reviens à la peinture, mais j'utilise aussi du papier sur mes toiles.  

           

            J. S-R. : Vous faites donc des collages ?

            M-M. R. : Oui. Et même, parfois, je mets des volumes sur la toile.

 

            J. S-R. : Ceci est l'aspect technique ; mais qu'est-ce que vous peignez ? Des personnages ?

            M-M. R. : Oui, des personnages. Parfois, je pars avec des plages abstraites, mais je reviens finalement toujours à des personnages. C'est comme une obsession.

            J. S-R. : En somme, vous semblez tentée de revenir en deux dimensions ; mais alors cela vous semble insatisfaisant et vous ajoutez des volumes qui vous ramènent vers la sculpture ?

            M-M. R. : C'est un peu vrai, même si, lorsque je procède ainsi, mes personnages sont assez aplatis.

 

         J. S-R. : Nous dirons donc que vous évoluez dans un va-et-vient ; que lorsque vous êtes dans la sculpture, vous avez envie de peindre ; et inversement ?

            M-M. R. : Je ne me pose pas de questions en fait. Peut-être que si je travaillais sur un socle tournant, je verrais plus facilement mon personnage sous tous les angles ; sans être obligée de le tourner comme je le fais actuellement ?

 

            J. S-R. : Je vois devant nous une femme biface. Tous vos personnages le sont-ils ?

            M-M. R. : Il est vrai que, parfois, je leur fais deux visages. Mais pas toujours.

 

            J. S-R. : Cela semble signifier que, dans ces cas, le dos vous semble moins important que le côté face ?

            M-M. R. : Oui. Là encore, c'est une question de désir du moment.

Entretien réalisé à la Salle d'Art actuel, au Festival de banne, le 3 juin 2011.