CATHERINE BERTIN, créateur verrier

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

*****

Jeanine Smolec-Rivais : Catherine Bertin, vous êtes créateur verrier. Toutes les œuvres que vous présentez à Banne sont-elles des vitraux ?

            Catherine Bertin : Non, ce ne sont pas des vitraux.

 

         J.S-R : Dans ce cas, comment les définissez-vous ?

            C.B. : Un vitrail est un verre serti de plomb. Ici, vous n'avez pas cela. Vous avez plusieurs techniques : du thermoformage qui consiste à former le verre par l'action de la chaleur : je crée un moule et c'est dans le moule que je vais fondre le verre qui, en se refroidissant, va prendre l'empreinte de la matrice qui est dessous. Ensuite, il y a de la pâte de verre qui s'apparente à peu près à la fonderie d'art. Sauf qu'au lieu de mettre du métal en fusion, on met du verre. Ce verre va fondre, remplir les interstices du moule, pendant une cuisson très longue, d'une dizaine de jours.

 

         J.S-R : Donc, quelle que soit la nuance de votre création, c'est par la chaleur que vous réalisez vos œuvres ?

            C.B. : Tout à fait. Avec mes dernières créations, qui sont des poissons et des bustes rouges, il y a un mélange de verre et de céramique. Et il y a toujours l'action de la chaleur qui intervient.

 

         J.S-R : Si je regarde vos œuvres les unes après les autres, j'ai l'impression d'une création minimaliste…

            C.B. : C'est exactement cela. J'ai fait une série de croquis modèles vivants ; puis j'ai pris des bustes de femmes coupés juste au-dessous de la tête, et sans les bras, pour ne garder que l'essentiel et en faire des nus très épurés, voire abstraits. Un travail aussi sur le vide et le plein, afin d'avoir une lecture en premier sur les vides, et ensuite sur les pleins. C'est-à-dire le corps.

 

  

 J.S-R : Je ne l'aurais sans doute pas exprimé comme vous, mais l'idée d'abstraction m'était venue. Et lorsque l'on regarde vos poissons qui sont en fait des tranches, on a l'impression que, puisque la partie que vous avez créée est en relief, l'espace environnant est forcément en creux.  

 C.B. : Tout à fait. Cela fait partie de mon travail, le plein/le vide, le doux/le rugueux, les contrastes. Et puis, -je m'en suis surtout aperçue en regardant les poissons- j'ai travaillé sur l'idée du passage, le temps qui passe, la sédimentation, par le biais de portes gothiques un peu symbolisées. Et je m'aperçois que mes poissons qui sont non pas horizontaux mais verticaux, semblent sortis de l'eau ; et qu'il y a encore cet instinct de vie avant la mort.  

 

J.S-R : Je dirai que ce que vous venez de développer est de l'ordre du discours, du "dit"…

C.B. : Oui.

J.S-R : Et non pas du "prouvé". Si je regarde votre poisson, je le vois très brillant, les ouïes très brillantes. En tenant compte de votre façon fragmentée de le gérer, je n'ai pas du tout l'impression qu'il va mourir ! Donc, l'idée de mort tient à votre "dit".

C.B. : Oui. Vous avez raison. Mais si la mort n'est pas encore présente, nous en sommes au stade du passage.

         J.S-R : Oui, mais un poisson qui est "hors de l'eau" a la bouche ouverte, alors qu'il n'en est rien pour les vôtres.

            C.B. : C'est vrai ! Ce qui est intéressant c'est le regard d'autrui sur une œuvre. Car il enrichit cette œuvre. C'est super intéressant, ce que vous dites là.

 

         J.S-R : Mais pourquoi avez-vous envie que l'on pense que vos poissons sont sur le point de mourir ? Parce que vous les avez mis verticaux au lieu de les mettre horizontaux ?

            C.B. : Oui, tout à fait. Ils sont hors de l'eau. Ils ont été sortis de l'eau encore frétillants !

 

         J.S-R : J'ajouterai vicieusement que la ficelle que vous avez mise génère une sorte de géographie qui fait que, pour le spectateur, ils sont à coup sûr "dans" l'eau.

            C.B. : La ficelle est uniquement le câble de suspension.

 

         J.S-R : Oui. C'est bien de lui que je parlais. Il crée une géographie aléatoire, en fait. Que vous n'avez pas forcément voulue. Mais qui fait que le poisson est en-dessous, et qu'intuitivement, on le pense dans l'eau.

         Je suis d'accord que c'est de l'ordre du hasard, et de la subjectivité. Que dans votre esprit, le fait de l'avoir mis vertical crée en vous l'idée qu'il est mort ; alors que, pour moi, il est "comme un poisson dans l'eau" !

            C.B. : En tous les cas, jamais je n'aurais mis ces poissons horizontaux. Pour moi, ils étaient indéniablement verticaux.

 

            J.S-R : Pourquoi ?

            C.B. : Parce qu'il y a une dynamique, un élan vers quelque chose qui m'intéresse.

 

         J.S-R : Vous avez parlé, tout à l'heure de losange, certains d'entre eux ont pratiquement cette forme. Losanges arrondis, certes, mais losanges tout de même. Ce qui fait retrouver cette forme, intuitive ou non, mais récurrente dans votre travail.

            C.B. : Je ne m'en rends pas compte, c'est en effet, tout à fait intuitif.

 

         J.S-R : C'est intéressant aussi. D'ailleurs, si l'on considère vos bustes de femme, vous avez presque la même chose. Vous avez une sorte de géographie tellement linéarisée avec des taches rouges et ponctuellement des noires ; une géographie violente qui fait que l'on ne voit même pas le fond. Un fond, d'ailleurs, non signifiant.

            C.B. : Un fond qui n'est pas signifiant ? Oui, d'accord. En fait, tout cela est parti du concept de la peau, des êtres humains, de l'intégration, des différentes techniques, etc. C'est un verre à base d'or. A l'origine, c'est un verre jaune ; mais plus je le fais chauffer, plus il rougit. Et si je le fais réchauffer, il va devenir brun, voire noir. C'est ce qui m'intéresse dans le travail de cette sorte de verre. A côté, il y a des vides travaillés sur de la mosaïque, sur lesquelles j'ai voulu –de manière très symbolique- représenter des cellules épithéliales. Grossies énormément. Ce qui donne aussi un rythme, une matière au vide.

 

         J.S-R : Là, je dois dire que je n'aurais pas pensé aux cellules épithéliales, j'aurais pensé à un ciel étoilé. Si j'avais voulu donner un sens au fond. Quand je dis que vous avez un "fond non signifiant", cela signifie qu'il ne s'agit pas d'une ville, d'un lieu quelconque, quelque chose que je peux analyser spontanément. Pour moi, ce fond est complètement abstrait. Simplement, il est là pour mettre en évidence le tronc dont les lignes sont magnifiques.

            C.B. : Oui, c'est plausible. Mais en arrière-pensée, c'était ce que je vous ai décrit. Même si cela n'apparaît pas vraiment et qu'il faille que je l'explique. Mais certaines personnes se sont arrêtées devant et toutes seules l'ont remarqué, sans que je leur en fasse part.

 

         J.S-R : C'est là qu'intervient la subjectivité. Dans un tel tableau, -puisque finalement, c'est un tableau- ce qui m'intéresse, c'est le corps, les lignes du corps ; pourquoi c'est cette partie que vous avez choisie, pourquoi le nombril est argenté alors que les tétins et le triangle du sexe sont noirs… Ce sont tous ces éléments qui me posent problème. Ce qui est autour pourrait ne pas l'être, si ce n'est que cela fait ressortir la partie qui m'intéresse.  

            C.B. : Je comprends. Pourquoi le nombril est-il représenté de manière aussi précieuse ? Parce que c'est le lien avec la vie. Et puis, esthétiquement, c'est un point d'accroche sur le regard ; qui fait qu'ensuite ce regard part sur les lignes latérales.

J.S-R : Vous dites que vos œuvres sont des tableaux, ou des sculptures ?

            C.B. : Celles qui sont dans l'espace relèvent plus de la sculpture ; tandis que celles qui ont un fond sont plutôt des tableaux.

 

         J.S-R : L'une de vos œuvres me semble différente des autres, c'est celle qui a une fleur. On pourrait dire que c'est un soleil noir. On pourrait aussi penser que c'est un personnage avec la tête dans le soleil ?

            C.B. : Oui, c'est exactement cela. C'est un travail plus ancien que les bustes et les poissons. Mais je trouvais qu'il correspondait bien au thème du festival, c'est pourquoi je l'ai apporté.

 

         J.S-R : Toutes vos créations, d'une façon ou d'une autre sont pratiquement transparentes, sauf les fonds. Mais ce soleil est travaillé de façon à être à peine translucide.

            C.B. : C'est une autre technique, c'est de la pâte de verre, c'est ce que j'expliquais tout à l'heure. C'est tout à fait technique : quand le verre est en contact avec la matière, en l'occurrence le moule qui est en plâtre réfractaire, il devient mat. Ensuite, il faut le passer sur des machines pour retrouver le brillant, le poli, la transparence. En l'occurrence, je voulais qu'il reste mat.

 

         J.S-R : Puisque vous avez fait des sortes de branchilles tout autour, on peut conclure comme nous venons de le faire, que c'est un soleil. En même temps, il a une tête de personnage : nous sommes donc maintenant, dans le monde du masque, et non plus dans celui du visage humain. Et, tout autour, vous avez mis ce qui peut être pris pour des pattes d'oiseaux : comment, dans votre esprit, tout cela se combine-t-il ?

            C.B. : En fait, c'était un travail sur "l'être et le paraître". Ce que l'on semble être aux autres, et ce que l'on est vraiment à l'intérieur. Le côté kaléidoscope, recomposé, du moi par rapport à autrui. Avec cette petite mosaïque qui parcourt le visage. Après, chacun fait son histoire par rapport à cela.

 

         J.S-R : Le moins lisible pour moi, est une grande œuvre, où je vois tantôt des fesses de femmes avec l'amorce des cuisses ; mais je me demande alors où est la tête ? Ou je me dis qu'en haut il y a un papillon, et que devient alors le bas ? En fait, ce tableau est pour moi une sorte d'antinomie que je n'arrive pas à analyser !

            C.B. : En fait, c'est complètement aléatoire. Les brisures le sont complètement. Si vous voyez un papillon et des fesses de femme, moi jusqu'à présent je ne les avais jamais vus, mais je peux les voir maintenant. Mais pour moi, ce n'était pas le plus important. Le plus important c'était l'ensemble ; la recomposition puis le lien par cette mosaïque. Je ne m'étais pas rendu compte qu'en fait, il y avait un dessin.

 

         J.S-R : Pour vous, alors que la mosaïque est à l'avant et qu'elle apparaît en premier lieu, il faudrait en faire abstraction et ne regarder que le fond ?

            C.B. : Tout à fait. Encore une fois, on retrouve le même travail que pour les bustes, c'est-à-dire que le vide et le plein sont antinomiques et que le vide est plus présent que le plein.

 

         J.S-R : Mais ces deux yeux que vous avez faits, sont-ils dans "l'être" ou dans le "paraître" ?

            C.B. : Ce sont des yeux recouverts d'or, un peu distordus, qui regardent dans tous les sens comme ceux d'un caméléon. Qui veulent tout voir et tout appréhender.

 

         J.S-R : Finalement, cette œuvre reste pour moi une énigme.

            C.B. : Alors, c'est parfait, puisque c'est l'être et le paraître.

 

         J.S-R : Venons-en à vos minuscules tableaux qui sont de petites plages complètement aléatoires, abstraites…

            C.B. : Oui, ceux-là sont parfaitement décoratifs. Il n'y a dedans aucune démarche intellectuelle. Simplement, c'est de la poudre de verre fondue dans la matière.

 

         J.S-R : Y a-t-il d'autres thèmes que vous auriez aimé aborder ?

            C.B. : Je voudrais simplement dire que je suis créateur-verrier depuis douze ans. J'ai toujours travaillé en parallèle l'artistique et l'artisanat. Et, maintenant je voudrais m'orienter davantage vers l'artistique, parce que m'éclate plus dans ce domaine.

Entretien réalisé au festival de Banne, dans les Ecuries, le 3 juin 2011.