LA CARAVANE D'"AVIS DE PAS SAGES"

AU FESTIVAL DE SAINT-AMANT-ROCHE-SAVINE 2011

Entretien de Jeanine Smolec-Rivais avec MARCEL DELTELL ET ODILE VAILLY, sculpteurs.

 

(Etaient présents au festival, avec leur caravane, Madeleine Ossikian, Marcel Deltell, Stéphanie Chardon, Odile et Eric Vailly.

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ossikian deltell chardonles  vailly
ossikian deltell chardonles vailly

Jeanine Smolec-Rivais : Nous avons déjà, dans le passé, réalisé des entretiens sur vos œuvres. Aujourd'hui, je voudrais que nous parlions de l'Association que vous avez créée depuis lors. Quelle est l'exacte dénomination de cette association ?

            Marcel Deltell : Elle s'intitule "Avis de Pas Sages". Nous l'avons créée il y aura bientôt deux ans, en Bourgogne, d'ailleurs, dans le fief d'Odile et Eric Vailly. C'est une idée qui courait déjà depuis une année, à travers le festival de Maguelonne qui s'intitulait "La Caravane des Singuliers". On peut dire aussi que c'est un enfant du festival de Banne, puisque nous nous sommes tous retrouvés là-bas à des moments différents. Nous trouvions intéressante, l'idée d'exposer dans des lieux un peu insolites, puisque nous nous réclamions de l'Art insolite et de l'Art singulier. Et nous trouvions que la formule d'une caravane était une manière de présenter des œuvres d'une manière insolite. D'où l'idée d'un collectif de caravaniers, donc de galeries ambulantes. L'association s'est créée, localisée, focalisée, chez Odile Vailly.

deltell
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            J. S-R. : Il faut donc un grand lieu, une grande cour…

Odile Vailly : Il faut un grand terrain. La première année, nous avons été plusieurs artistes à exposer dans les caravanes d'une école de cirque qui nous les avait prêtées. Chaque artiste s'était engagé à peindre sa caravane en échange du prêt. Nous avons tous trouvé cela tellement sympathique que nous avons décidé de nous grouper en association, à la condition que chaque artiste investisse dans une caravane. Et ensuite l'aménage en concordance avec son travail.

 

         J. S-R. : Chacun de vous a donc désormais SA caravane ?

            M. D. : Oui. Il a d'abord fallu en trouver. Nous avons investi dans des caravanes d'occasion, de sorte que chacun en est au moins à sa deuxième, voire pour Odile à sa troisième ! Ce qui montre bien qu'entre le souhait, le désir, il a fallu passer par la réalité ! D'autre part, maîtriser une caravane n'était pas évident. Nous n'avions pas l'habitude de nous déplacer avec un tel ajout derrière nos voitures ! Donc, gérer les caravanes ; les décorer pour qu'elles nous plaisent. Là aussi, il y a eu plusieurs essais avant d'être satisfaits. On peut donc dire qu'il y a eu toute une période de rodage et que l'an dernier a été l'année de la maturité.

 

         J. S-R. : Puisque c'est une association, quel est votre statut ? Et combien êtes-vous de caravaniers ?

            M. D. : Nous sommes association 1901. Au début, nous étions dix, et maintenant nous sommes douze. Plus une caravane musicale, parce que l'originalité du projet a aussi été d'avoir une démarche transversale. Bien sûr, fondamentalement, nous tournons autour de l'Art singulier ; mais nous voulions inclure d'autres activités artistiques et nous avions la possibilité d'avoir des musiciens de blues qui nous ont accompagné au cours de la première année. L'affaire fonctionnant bien, nous avons décidé –et ce sera officiel à partir de la rentrée 2011- d'avoir aussi une caravane musicale.

         J. S-R. : Et il n'y a pas de gens superstitieux dans le groupe ?

            M. D. : Bonne question ! Nous voilà à treize ! Pour l'instant, nous raisonnons en terme de douze plus un, donc pas encore vraiment "treize" !

 

         J. S-R. : Votre association comprend un président –que vous êtes- ; une trésorière qui est Madeleine Ossikian ; et les autres sont "Messieurs-dames Tout le Monde" ?

            M. D. : Non, Eric Vailly est le secrétaire.

vailly o.
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         J. S-R. : Pour les déplacements, est-ce que vous vous invitez dans les manifestations ? Ou est-ce que l'on vous invite ?

            M. D. : Un peu les deux. Nous sommes encore dans l'expérimentation. Nous sommes jeunes. Nous pouvons être sollicités pour des manifestations culturelles, mais nous pouvons aussi prendre des initiatives. Pour le moment, nous n'avons pas arrêté de position définitive. Mais si s'inviter ou être invités est fort sympathique, nous aimerions aller vers des projets différents. Pour l'instant, nous avons celui de Bourgogne dont on peut dire qu'il nous est le plus proche, puisque c'est de là que nous sommes partis. Mais il y a d'autres évènements qui pourraient exister autour des caravanes. Par exemple, à Saint-Cyprien près de Perpignan, en partenariat avec l'Office du Tourisme qui nous a donné le feu vert, nous pouvons organiser ce que nous voulons.

            Mais nous envisageons aussi d'avoir notre propre festival…

 

         J. S-R. : Et ce festival aurait lieu sur le terrain des Vailly ?

            M. D. : Le lieu Vailly est un lieu qui existe déjà, mais le projet n'est pas réducteur !

           

J. S-R. : Le projet deviendrait donc une manifestation itinérante d'Art singulier ?

            M. D. : Voilà. De toute façon, nous sommes dans l'itinérance.

 

         J. S-R. : Oui, mais jusqu'à présent, vous n'êtes que des "parties" de festivals.

            M. D. : Oui, mais nous pourrions aussi investir une ville où nous arrêterions nos caravanes. Et, à partir de là, nous pourrions moduler notre projet : pourquoi pas faire venir d'autres caravanes ? Nous ouvrir à d'autres arts, par exemple des marionnettes… ?

 

         J. S-R. : Revendiquer l'itinérance implique que vous soyez tous libres comme l'air ? Donc que vous ne travailliez pas, ou que vous ne travailliez plus ?

            M. D. : Tout dépend de ce que l'on appelle "travailler". Beaucoup d'artistes vivent de leur art. Bien sûr, ils n'ont pas des horaires de travail fixes. D'ailleurs, l'activité des artistes d'Avis de Pas Sages ne se résume pas à l'activité des caravanes : ils ont leurs propres expositions, leurs propres galeries.

         O. V. : Nous ne sommes pas obligés de nous déplacer toujours avec l'association.

 

         J. S-R. : Vous pouvez donc fonctionner individuellement, bien qu'étant dans l'association ?

            M. D. : Individuellement, et sans les caravanes. L'idée des caravanes nous plaît bien, mais nous pouvons parfaitement exposer où bon nous semble.

            Il faut que nous restions dans cette idée ouverte qui est, d'ailleurs, propre à l'itinérance. Il y a, aujourd'hui, beaucoup d'échos de ce qui se passe dans l'Art Singulier. Son histoire est passée par l'investissement de lieux particuliers, de galeries, de festivals… Que cela passe aujourd'hui par des caravanes ou de chapiteaux, etc… Pourquoi pas demain, je ne sais pas, par des montgolfières ou d'autres moyens, tout cela montre bien la richesse et la diversité des idées qui règnent dans ce milieu.

 

ossikian
ossikian

J. S-R. : Quand vous êtes invités dans des festivals, les organisateurs doivent-ils avoir des autorisations spéciales pour vous ?

            M. D. : Je ne sais pas trop. Mais par exemple à Lyon, pour la Biennale, ou à Saint-Cyprien, nous pouvons très bien nous retrouver sur un terrain de Gens du Voyage !

         O. V. J'aimerais ajouter que, très souvent, les gens partent en vacances en caravane, c'est un moyen populaire de voyager. Ce qui est intéressant, c'est que nous nous approchons d'un public qui n'a pas peur d'entrer dans les parcs, qui ne craint pas d'entrer dans les caravanes. Il y a une curiosité, des souvenirs, beaucoup d'émotion qui entrent dans les caravanes, et je crois que cela renforce l'intensité de notre travail.

            M. D. : Cela renforce ce dont nous avons parlé ce matin, c'est le souci de la médiation ; comment être le plus près possible du public. La caravane, avec toute sa symbolique de départ en vacances, de disponibilité des gens, son caractère accessible physiquement… s'y prête parfaitement.

 

         J. S-R. : En même temps, et je l'avais déjà remarqué à Banne, c'est presque une visite individuelle que font les visiteurs. Il est difficile d'être à plusieurs dans chaque caravane. Est-ce que cela change le regard des gens d'être seuls au milieu de vos œuvres où vous n'êtes d'ailleurs pas forcément, au lieu d'y être de façon grégaire ?

            M. D. : Je pense que oui. Le fait de pouvoir mettre en valeur notre propre univers, et non pas d'être assis derrière une table dans une galerie participe de cette activité, de cette recherche : cela permet au visiteur de mieux saisir la réalité de la vie d'un artiste ; et puis d'être plus à l'aise dans un lieu qui n'est pas anonyme, qui est plus intimiste. Quand les gens sortent des caravanes, ils parlent, ils commentent ce qu'ils ont vu.

         O. V. : Je crois que nous l'avons bien senti en Bourgogne où tous les artistes avaient leur caravane, avec en plus trois artistes invités qui avaient des caravanes prêtées. Pour ces artistes-là, cela a moins bien fonctionné. Ils n'avaient pas investi les caravanes. Les caravanes sont costumisées, ce sont "nos" caravanes, elles ne peuvent pas être prêtées.

 

         J. S-R. : Vous voulez donc dire tous les deux qu'il y a une prise de possession progressive du lieu. Ce n'est donc finalement pas comme un atelier ?

            M. D. : Nous y vivons presque. Nous y sommes comme si nous étions chez nous. Moi, je dors dedans. Si vous allez chez les Vailly, vous verrez que, hormis bien sûr les détails de la vie quotidienne, il n'y a pas de différence avec ce que vous voyez dans leur caravane. C'est cette proximité, cette intimité avec l'artiste que permet la caravane. Qui permet aussi, en retour, une certaine aisance, un vrai travail de médiation avec le spectateur qui est vraiment très proche de l'artiste. Encore une fois, que l'on n'a pas dans un lieu anonyme qu'est une galerie, même si elle est chaleureuse. Prenons Banne, puisque nous y sommes tous allés : ce n'est pas la même chose d'y avoir exposé dans ma caravane ou d'être dans les Ecuries.

 

chardon
chardon

         J. S-R. : J'en reviens aux trois invités que vous avez évoqués tout à l'heure : vous pensez que "cela n'a pas fonctionné" parce qu'ils n'ont pas su entrer de but en blanc dans des lieux qui leur étaient inconnus ?

         O. V. : Oui, je crois qu'ils n'avaient pas su s'approprier l'espace, et que le public l'a ressenti. Comme le disait Marcel tout à l'heure, nous avons mis un an pour avancer dans cette appropriation. Il nous a fallu changer parfois de caravane, avant que ce soit "la bonne", changer de couleur, etc.

            M. D. : L'appropriation a été difficile au départ. Il nous a fallu réfléchir sur nos créations.

 

         J. S-R. : Vous avez évoqué tous les deux à plusieurs reprises, l'exposition chez les Vailly. Comment fonctionnez-vous dans ce cas-là ? Les douze caravanes, ou douze + une, sont-elles regroupées ? En fait, vous êtes déjà, comme vous en annonciez l'intention plus haut, un festival à vous tout seuls ?

         O. V. : Nous avons un grand lieu. Nous avions envie de partager ce lieu avec d'autres artistes. Nous commencions à avoir un carnet d'adresses. Nous avions envie de "partager". Nous n'avions pas la place pour héberger tous les artistes dans des bâtiments en dur, donc nous leur avons demandé de venir avec leurs caravanes que nous pouvions garer.

vailly e.
vailly e.

            J. S-R. : Y a-t-il d'autres sujets dont, l'un ou l'autre, vous auriez aimé parler ?

         O. V. : Il s'est passé quelque chose de très fort. Nous avons créé cette association en ajoutant des caravaniers un peu au hasard des rencontres. Par la suite, il s'est passé quelque chose de tellement fort que nous sommes devenus une grande famille. Et ce qui nous unit, c'est la création. Nous avons tous des situations complètement différentes : certains n'ont pas un sou, d'autres en ont plus ; certains sont âgés, d'autres sont plus jeunes ; nos vies sont complètement différentes, nous venons du Nord, du Sud. Mais il y a un lien puissant entre nous. 

            M. D. : Cela a créé un relationnel de qualité. Il est possible d'en faire des tonnes, en sachant bien que demain il peut se produire des choses désagréables ; parce que cela nourrit aussi nos capacités créatrices.  

         O. V. : Cela n'a pas toujours été facile !

            M. D. : Bien sûr, il y a eu des divergences, des dissensions. Mais je crois que la passion commune qui nous anime est vraiment un facteur relationnel positif.

 

         J. S-R. : Donc, vous êtes des "gens du voyage" heureux ?

            M. D. : Oui, on peut le dire !

            O. V. : Heureux de voyager ensemble.

Entretien réalisé au Festival de Saint-Amant-Sur-Savine, devant la caravane de Marcel Deltell, le 10 juillet 2011.

 

Blog de l'Association : http://avisdepas.sages-over-blog.com

VOIR AUSSI LA LISTE DES CARAVANIERS :

 

 

BESSON-GIRARD JOCELYNE.

BONAVENTURE Caroline, dite CARO : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : Banne 2008.

CHARDON STEPHANIE.

DELTELL MARCEL : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : Banne 2006.

FAYON CHRISTINE.

LE NEN BERNARD : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : " LES GENEALOGIES FANTASMAGORIQUES DE BERNARD LE NEN" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER.

MOSS : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS / http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : Banne 2007).

OSSIKIAN MADELEINE : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : BANNE 2007.

SALAVERA SYLVIE : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES PETITS THEATRES EN ROND DE SYLVIE SALAVERA" N° 56 de Décembre 1995 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. (http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER.)

SCARCELLO GIOVANNI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : Banne 2006.

VAILLY ERIC.

VAILLY ODILE : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS BANNE 2009.

**** Les 2 musiciens de la caravane Blues sont:

Gaspard OSSIKIAN.

Michel BONAVENTURE.